Emile Choukri Habibi est né à Haiffa en 1921, d’une famille arabe, chrétienne. Il poursuivit ses études secondaires à Haiffa puis à Aakka, et eut son diplôme de fin d’études secondaires en 1939. Il travailla dans les raffineries de pétrole de Haiffa, et prépara en même temps, pendant deux ans, un diplôme d’ingénieur de mine qu’il obtint de l’université de Londres. De 1941 à 1943, il travailla comme speaker, et responsable du service culturel dans la radio de Palestine émettant en arabe. Il démissionna pour s’occuper exclusivement d’activités politiques au sein du parti communiste palestinien. Il fut l’un des premiers créateurs de la «ligue de la libération nationale en Palestine» en 1945. Il était également le premier à œuvrer pour l’unité des communistes palestiniens et juifs en 1949 dans le cadre du parti communiste israélien. Il représenta son parti au Knesset pendant 19 ans, de 1952 jusqu’en 1972, année où il démissionna pour s’adonner aux activités littéraires ; ainsi s’occupa-t-il de la rédaction du journal du parti en arabe : ««Alittihad». -L’Union- Il réussit à le faire paraître quotidiennement depuis 1983. Il fut obligé en 1989 de démissionner de tous les postes qu’il occupait au sein du parti, y compris celui de rédacteur en chef du journal «Alittihad». En 1991, il démissionna du parti, et cessa toute activité politique. Son talent d’écrivain se manifesta depuis sa jeunesse. Ses premières nouvelles apparurent dans le journal Alittihad, qui fut créé en 1943, puis dans la revue Almihmaz-L’aiguillon- qu’il publia en 1946, et dans de nombreuses publications égyptiennes, libanaises et irakiennes. Il publia également six romans et pièces de théâtre. Le sextuple des six jours –1968, Almoutachail-1972-74, Lakaa fils de Lakaa en 1980- Akhtia 1985 –Fables de Saraya fille de l’ogre en 1991 et une pièce intitulée Oum Arroubabika, -le village Kassem -La Boucherie politique en 1976.
Enfin les amendiers bourgeonnent…
A mon pays… Rends-moi
A mon pays …Ne serait-ce que sous forme d’une fleur.
O printemps !
-« Dans les années romantiques de mon enfance, j’avais lu un roman de Dikenz «L’histoire de deux villes». J’avais beaucoup admiré le héroïsme de Sidney Karten qui, face à la guillotine, et pour sauver l’époux de sa maîtresse, se sacrifia en échangeant et ses vêtements et sa place avec lui.
Comme tout le monde, pas un seul de mes héros n’échappa à l’usure. Semblables aux années qui passent, ils arrivaient et repartaient à tel point qu’il n’en restait plus un seul, sauf le philosophe Grégoire, le personnage de Hugo, dans «le bossu de Notre-Dame», qui refusa lorsqu’on lui demanda de faire de même pour sauver la belle gitane Zemeralda. Quand on essaya de savoir pourquoi il tenait tant à la vie, il répondit que parce qu’il éprouvait un grand bonheur à passer ses journées toutes entières avec un homme de génie qui n’était autre que lui-même; et qu’il trouvait cela magnifique».
-«Et l’arabité?»
«-Si tu laissais de côté l’ironie et les reproches au cours de cette première rencontre, après vingt ans de rupture !»
C’était exactement mon but, lorsque je rappelai au professeur «M» l’arabité, alors qu’il me surprit par sa visite nocturne. Une visite qui suscita non seulement mon étonnement, mais aussi mes doutes, et mon désir de l’écouter avec la plus grande attention.
Nous étions des amis intimes au cours des études primaires et secondaires. Nous avions fondé ensemble la première association secrète à l’école primaire pour combattre les Anglais; une association qui ne comprenait que ses deux fondateurs. Et dont on ne récolta que cette habitude de fumer qu’on considérait alors comme condition sine quoi non de toute action secrète. On avait porté des lunettes de soleil noires pour cacher nos larmes comme le font les hommes, au cours de la fête de fin des études secondaires. Et on avait fait nos adieux, l’un à l’autre, et s’était fait des promesses.
Nos chemins divergèrent plus tard. Ainsi «M» partit-il à Jérusalem dans le but de terminer ses études à l’université arabe. Il revint ensuite au village où il travailla comme professeur d’anglais au lycée où nous étions ensemble. Et il y enseignait toujours. Depuis la création de l’Etat d’Israël, tout contact avec lui fut définitivement rompu. Il évitait même de me dire bonjour, quand il nous arrivait de nous rencontrer par hasard dans une rue. J’avais beaucoup souffert au début de cette rupture avant de m’y habituer, et de l’écarter à jamais de ma vie, en me rendant compte qu’il ressemblait à ces jeunes filles qui, au cours de leur jeunesse, ne finissaient un roman que pour en commencer un autre, mais qui une fois l’homme de leur vie rencontré, cessèrent toute lecture, y compris les faits divers des journaux.
Notre ami avec lequel je chantais les conquêtes de Khaled Ibn Aloualid, les oraisons funèbres d’Al Mutanabbi, et les poèmes théistes d’Abi Lâalaa, épousa la fonction. Comment pouvait-il alors conserver son arabité en Israël où la première condition pour y être fonctionnaire, est de couper tout lien avec toute personne contestataire des autorités, fût-elle ton frère germain, ton ami, ton cousin, ou ton proche ?
Soudain, au cours d’une de ces nuits d’après la guerre de six jours, il frappa à ma porte, et vint s’asseoir devant moi. Il dit :
-«Ecoute-moi jusqu’à la fin»
Où trouva-t-il le courage pour oser me rendre visite ?
Le professeur «M» continua son discours rompu tout à l’heure :
Sidney Carten perdit sa place dans l’album de mes héros et disparut comme les premiers poils de mon menton. Cependant le titre du roman de Dickens -Histoire de deux villes- ne cessa point de me poursuivre, de me fasciner, d’influencer mon goût, au cours de toutes ces longues années.
Cette influence se manifestait sous des formes qui me laissèrent perplexe au début. Je finis par l’accepter. Mieux, je l’aimai, je ne m’en séparai plus comme on ne se sépare plus d’une amulette que la maman nous met autour du cou depuis l’enfance.
Pendant les premières années où j’étais sous cet impact étrange, je commençai à écrire mon roman des «deux villes» ; deux villes de chez nous : Haiffa et Ennassira. Je rédigeai le premier chapitre. Et mon roman s’en arrêta là. Je le négligeai alors. Je décidai de me spécialiser dans deux domaines : l’anglais et le droit. Je n’y réussis pas. Ensuite, Je me mis en tête de composer des vers en anglais, et en arabe. Mais je ne composai que du vent. Actuellement, je souffre du fait de n’avoir qu’un enfant.
A suivre