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Nourddine Ayouche, publicitaire et fondateur de l’établissement de micro-crédit Zagora, homme très proche des centres du pouvoir, semble avoir trouvé la solution miracle à la crise de l’enseignement dans notre pays. Le problème ne réside ni dans l’infrastructure, ni dans les « politiques » choisies, ni dans notre conception du savoir, ni dans le contenu de nos programmes, ni dans les transformations et les évolutions que connaît le monde. Nos pédagogues et spécialistes de l’enseignement/éducation étaient jusqu’à présent ou des myopes, ou des érudits ignares. Ils n’hésitent donc pas à aller chercher leurs recettes à travers des pédagogies dans les sciences de l’éducation, dans les doctrines et théories savantes au langage barbare, dans la psychopédagogie ou la didactique. La solution, le « sésame ouvre-toi », la recette salvatrice est pourtant simple et sans frais. Tous ces spécialistes de l’enseignement-éducation n’avaient qu’à regarder autour d’eux, pas plus loin que le bout de leur nez, ou à écouter humblement Nourddine Ayouche et son équipe: la darija est la solution miracle. Cette grande invention doit être brevetée dans les plus brefs délais. Le problème de l’éducation n’est pas une spécificité du Royaume du Maroc, mais quasi-universel. Imaginez que les Français, les Allemands, les Anglais, les Américains ou les Chinois nous volent notre invention, eux qui connaissent les mêmes problèmes, et qu’ils commencent à enseigner en patois, en picard, en normand, et dans tous leurs dialectes régionaux, ou dans tous les langages utilisés par la pègre de Paris, de Marseille et d’ailleurs. Ce n’est pas une blague. Les bas fonds possèdent aussi un parler spécifique, leur langue maternelle en quelque sorte. Un gangster ne s’adresse pas à ses rejetons dans la langue de Voltaire, et il est de toute démocratie, de toute légitimité, d’éduquer leurs enfants et de les instruire dans leur jargon, un jargon difficilement compréhensible pour le profane, il est vrai, mais il est sans conteste leur langue maternelle, leur darija. Nous aurons au moins une pègre savante ou instruite dans l’avenir. Une première dans l’histoire de l’humanité.
Qu’une personnalité aussi imposante qu’Abdallah Laroui se joigne au débat, à la hâte, n’augure rien de bon. Que ce grand intellectuel qui fuit les médias accepte de se mettre sous les projecteurs dans un débat télévisé inégalé, face au publicitaire Nourddine Ayouche, atteste de l’importance de la problématique et des dangers qui en découlent. Laroui sent bien qu’il y a anguille sous roche. Dans sa démonstration, notre grand homme de lettres et historien a démontré, par des arguments irréfutables, que l’écrit est différent de l’oral, et qu’un enfant ne va pas à l’école pour apprendre la langue qu’il parle à la maison. L’enfant va à la schola, qui étymologiquement veut dire école, leçon, conférence, là où se déroule un enseignement basé sur l’écrit, et non sur l’oral. Il a même cité l’exemple de pays qui avaient expérimenté une telle initiative, mais leurs « cultures dialectales » étaient restées circonscrites à l’intérieur de leurs frontières. Pour Laroui, l’introduction de la darija dans notre système éducatif menace l’unité du pays.
Nourddine Ayouche part d’un postulat sur lequel il construit toute sa démonstration, laquelle aboutit à une vérité absolue: nos enfants ne réussissent pas à l’école parce que l’enseignement qu’on leur administre se déroule en arabe classique, sous-entendez une langue étrangère, une langue seconde. Ce postulat et la construction mentale qui s’ensuivent sont bien farfelus. Alors que cette conception du statut de la langue arabe classique est totalement étrangère à notre histoire, à nos convictions ancestrales: l’histoire millénaire démontre que la langue arabe a un statut particulier, et n’est ni étrangère, ni seconde par rapport à l’enfant marocain. L’enfant est familiarisé avec cette langue à l’état fœtal. Sa mère, son père, tout son entourage prient dans cette langue, récitent les versets du Coran écrit dans cette langue. A sa naissance, l’enfant, dans la plupart des foyers marocains, reçoit les bénédictions : on lui récite des versets du Coran à l’oreille. L’enfant continue à «baigner» dans cette langue à travers les médias, le msid, le muezzin, et dans nombre de circonstances. Comment peut-on qualifier dans un tel cas l’arabe de langue étrangère, comme l’anglais, et on se tait sur le statut de la langue française que nos étudiants ne maîtrisent plus, parce que c’est une langue étrangère, et qui cause un grand problème à nos étudiants universitaires? Non, la langue arabe est bien présente dans notre quotidien, notre darija n’en est qu’une variante, un arabe simplifié pour les besoins quotidiens. Elle demeure la langue de la culture, du Coran, la langue de notre unité, langue qui unit la Ouma arabia aux yeux des Marocains. Elle est sacrée.
Rappelons à M. Ayouche que les tares qui déprécient notre système éducatif sont structurelles et remontent à bien loin, aux années soixante. Bien que nous ne soyons pas psychopédagogues, nous pouvons citer pêle-mêle quelques-unes :
- Depuis l’avènement de l’Indépendance, il est difficile d’affirmer que nous avons eu une (ou des) politique(s) d’enseignement/éducation, politique (s) bien définie (es), avec des objectifs bien arrêtés à l’avance, en tenant compte et de l’intérêt de l’apprenant, et des besoins de la nation.
-Sur le plan infrastructurel, nous sommes bien loin de satisfaire à la demande. Quand l’école n’est pas carrément inexistante, surtout dans le monde rural, elle se trouve dans la plupart des cas loin du domicile des apprenants. Un enfant qui marche plusieurs kilomètres, qui patauge dans la boue en période des pluies, qui grelotte sous la neige n’éprouvera certainement aucun plaisir à apprendre. Des ruraux n’envoient pas nombre de leurs filles à l’école, à cause de l’inexistence des toilettes. Le poids de la tradition pèse de tout son poids : une fille qui réussit son primaire ne peut rejoindre le collège du village ou de la ville, elle ne peut habiter seule, loin du regard de sa famille. Et si cet handicap est dépassé par un entourage ouvert et compréhensif, se pose encore le problème de l’indigence : comment payer un loyer en ville ?
- Les déperditions durant le processus scolaire sont intimement liées aux tares citées ci-dessus, mais aussi à l’extrême indigence des ruraux. Les enfants dans nos campagnes continuent à être une main-d’œuvre gratuite ou bon marché. Sans cette main-d’œuvre, les ruraux ne peuvent subvenir à leurs-besoins croissants.
-L’école a perdu l’une de ses fonctions essentielles, celle de doter les apprenants en savoir et diplômes pour leur permettre une réussite, voire un changement de statut social. Comment une école peut-elle garder une crédibilité, quand un grand nombre de ses lauréats, tous niveaux confondus, est voué au chômage? L’atténuation des différences sociales par le savoir et le mérite n’est plus possible. La formation des élites se construit ailleurs que dans l’école publique, laquelle école qui ne compte parmi ses clients que les déshérités, ceux qui ne disposent pas de moyens pour se payer un enseignement valable, ou de qualité.
- Notre enseignement, y compris dans les écoles privées, repose sur la mémorisation des acquis; il favorise la mémoire et néglige l’intelligence, la raison, et toutes les facultés mentales qui permettent à l’individu de se construire lui-même un savoir solide, et qui favorisent la formation de sa personnalité. L’objectif ultime étant la réussite aux examens; donc tous les moyens sont bons pour les obtenir, y compris la fraude.
- Notre enseignement est en inadéquation avec le monde du savoir et du travail. Une grande partie de nos universités ne sont plus que des « fabriques » à chômeurs; en attestent les dizaines de milliers de diplômés chômeurs qui se transforment en vendeurs de cigarettes, en marchands à la sauvette, ou en protestataires qui réclament un poste dans la Fonction publique devant le Parlement.
- L’humanité entière, mondialisation oblige, bascule de la civilisation de la lettre, vers la civilisation de l’image, avec tous les langages et codes informatiques que cela implique. Est-ce avec notre darija que nous allons affronter la révolution numérique, et toutes les sciences modernes dans lesquelles nous accusons un retard abyssal ?
Rappelons que nous sommes dans un pays où il y a des institutions qui fonctionnent. Nous avons un ministère de l’Enseignement, dont l’unique prérogative est l’éducation de notre progéniture. Il lui revient, et à lui seul, de diagnostiquer le mal et de prescrire le (les) remède (s). Au cas où le problème dépasserait le pédagogique et deviendrait politique, comme c’est le cas de la langue d’enseignement, c’est toujours au même ministère de prendre les initiatives nécessaires, avec l’aval de toutes les forces vives de la nation, y compris l’association de notre cher Ayouche. Personne n’est mandaté pour agir à la place et lieu d’un organisme public à qui incombe le devoir d’arrêter des politiques. Toutes ces tares citées, toutes ces remarques, et bien d’autres que nous omettons, constituent le vrai handicap à un enseignement de qualité. Et il y a bien eu des réformes qui ont coûté cher, en argent et en temps, sans résultat. Tout le monde se rappelle : la Charte nationale d’éducation et de formation 1999/2008, puis le Programme d’urgence 2009/2012 pour la réforme de l’éducation, et plus récemment l’action 2013/2016, pour la réforme de l’éducation; aucune de ces actions n’a été couronnée de succès. Et aucune réforme ne peut aboutir, tant qu’elle n’est pas née dans le sérail du ministère de l’Enseignement. Les réformes ne peuvent être concoctées loin du corps enseignant, loin des inspecteurs, loin des pédagogues et hommes de terrain. Comme elles ne peuvent venir de l’extérieur, même si elles coûtent des milliards au contribuable marocain ! Le diagnostic du mal, le remède préconisé, et la réussite dépendent du corps enseignant. Il suffit de revaloriser ce corps, de l’écouter, de l’encourager : il a les recettes et les clés de la réussite…au moindre frais. Les Dewey et les Montessori sont bien parmi nous, issus du peuple, possédant toutes les compétences pour sauver la barque enseignement de la dérive.
Aboulasse Mohamed
Quelle école choisir de 3 à 6 ans
3 ans, 6 ans ! Quelles écoles ? Réponse difficile à anticiper, tant les critères de choix sont variés et parfois opposés. Il y a les écoles des élites, des brillants, puis celles des citoyens moyens, et celles des pauvres. Sur quels critères doit-on se baser pour fixer le prix de la scolarité et concevoir les manuels et la pédagogie? Sachant que les élèves ne sont pas tous dotés des mêmes capacités intellectuelles, on retrouve des classes hétérogènes, ce qui est bien, mais seulement avec un léger décalage de niveau.
Dès la 1ère année du primaire, les élèves sans pré-acquis, sont immédiatement devant les difficultés : 0 écriture, 0 lecture. ! A ce moment-là, les retardataires peuvent encore prendre des cours supplémentaires pour tenter une remise à niveau. Encore faut-il que les parents soient conscients du problème de l’élève et non de leurs désirs.
La 1ère année du primaire, le CP est la classe de tous les défis, entre ceux qui ont un acquis depuis le préscolaire, à condition qu’ils n’aient passé leur temps à jouer et ceux qui arrivent pour la première fois, ne sachant ni tenir un crayon, ni déchiffrer l’alphabet.
Les institutions privées, réputées pour leurs résultats, le sont grâce aux bons élèves, ceux qui ont suivi le programme sans problème. Les retardataires, maintenus par l’orgueil des parents qui voient leur progéniture péricliter malgré la renommée de l’établissement! Alors pourquoi? Tandis que les bons progressent normalement grâce à leurs bons niveaux de connaissances, les autres reculent impitoyablement, et leur déficit augmente sans cesse et devient impossible à compenser. Et voilà une branche de l’échec scolaire encore non répertoriée par l’INSEE, c’est en plus l’échec de la personnalité, l’enfant se trouve dévalorisé, complexé, comment va-t-il faire face à son avenir? La délinquance….là pas de chômage! Les parents ambitieux doivent choisir de débuter la scolarité de leur progéniture par une maternelle compétente, et non une garderie d’enfants. Les élèvent progresseront normalement s’ils travaillent avec plaisir en faisant ce qu’ils savent faire.
* Pierre Dhaud
Psycho-pédagogue Agadir