Réponse du berger à la bergère. Il faut «évaluer le bilan du Maroc en matière de protection de l’enfance, notamment au niveau des mécanismes et des moyens de préservation et de prévention contre les abus». La réponse du ministère de l’Etat chargé des droits de l’Homme et des Relations avec le Parlement aux derniers crimes commis dernièrement contre des enfants en a interloqué plus d'un. Selon un récent communiqué de ce département, une série de rencontres consultativessera, dans ce cadre, lancée avec l’ensemble des secteurs ministériels ainsi que les établissements et les institutions spécialisées. « L’ouverture d’un débat sur ce sujet est un acte positif que nous saluons, mais l’objet de ce débat pose problème. En effet, doit-on s’attendre à un bilan objectivement établi ou plutôt à un bilan gouvernemental rapportant les réalisations de l’Exécutif et cherchant à dédouaner ce dernier de toute responsabilité ? Estil approprié de procéder à l’établissement d’un bilan ou fallait-il passer d’abord par un état deslieux de la situation ?», s’est demandé Aziz Idamine, expert international en droits de l’Homme. Et de poursuivre : « Et est-ce que ce débat va inclure la société civile ou non puisque le communiqué du ministère évoque seulement les établissements et les institutions spécialisés ?». Le timing de cette initiative suscite également desinterrogations. En effet, le phénomène d’exploitation et d’agression des enfants ne date pas d’aujourd’hui. Les délits et crimes contre les mineurssont récurrents et connus. « Il y a l'inceste qui demeure la forme la plus commune d'abus sexuel sur les enfants. Il y a aussi le mariage des mineures, les abus contre les enfants de la rue et le tourisme sexuel qui touche les enfants qui restent occultés par le débat public. A rappeler que le Comité des droits de l'enfant chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant par les Etats parties avait soulevé, en 2014, dansses observationsfinales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques du Maroc, l’expansion de cette forme de tourisme dans notre pays», nous a expliqué notre source. Et de préciser : « La nouveauté dans ce dossier est plutôt la forte médiatisation de ce phénomène grâce aux médias sociaux ». Concernant l’arsenal législatif et juridique marocain en matière de protection de l’enfance, notre interlocuteur nous a indiqué que le Royaume est un pays signataire de la Convention relative aux droits de l'enfant ainsi que ses Protocoles facultatifs.Il a égalementsigné en 2013 la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote). « En raison de son statut avancé et de son statut en tant que « Partenaire pour la démocratie », notre pays a été contraint de prendre des mesures et de promulguer des lois en adéquation avec la Convention de Lanzarote », nous a-t-il précisé.Et d’ajouter : « Pourtant, on constate que l’ensemble de ces mesures et actionsrestent lettre morte sans aucun impact réel sur la réalité des enfants ». Aziz Idamine estime que cette situation est due à une multiplication des intervenants dans le domaine et le manque de définition et de délimitation des responsabilités de chaque partie. « Sur le terrain, on voit l’implication des ministères de la Jeunesse et des Sports, de l’Education nationale, de la Santé, de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développementsocial via l’Entraide nationale, le ministère de l’Etat chargé des droits de l’Homme et des relations avec le Parlement et le CNDH et aucun département n’assume, en fait, ses responsabilité en matière de protection des enfants », nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre :« Prenez l’exemple du CNDH et le Mécanisme national de recours pour les enfants victimes de violation de leurs droits. On se demande à quoi sert réellement ce mécanisme qui est censé fonctionner en tant que moyen de prévention. N'est-il pas temps d'en déclarer l’échec ? ». Pour faire face à l’exploitation et à l’agression des enfants au Maroc, notre expert estime que la protection de l’enfance n’est pas l’affaire du gouvernement, mais de l’ensemble des composantes de la société. « La question dépasse le domaine des politiques publiques et touche notre mode de pensée et de réaction, nos us et coutumes, notre culture et notre perception du monde. Les abus commissur des mineurssont traités comme s'ils'agissait d'un sujet tabou, et parfois comme un sujet banal», at-il affirmé. Et de conclure : « Aujourd’hui, nous avons besoin d'une politique nationale globale et intégrée impliquant la société civile. Mais cette politique exige d’abord l’existence d’une vision et d’un projet de société. Autrement dit, de savoir quel enfant nous voulons demain. Et c'est ce manque de vision qui risque de compliquer davantage la situation des enfants ».