Modernisation des services publics et des institutions de l’Etat : Quelles réformes pour bâtir l’Afrique du 21ème siècle ?


Par Ahmed Rhazaoui
Mardi 15 Juin 2010

Modernisation des services publics et des institutions de l’Etat : Quelles réformes pour bâtir l’Afrique du 21ème siècle ?
Le point de départ de cette réflexion est le bilan des cinquante années des indépendances. Les leçons que l’on peut tirer de cette expérience serviront à projeter vers l’avenir la vision qu’on peut imaginer pour l’Afrique face aux multiples forces auxquelles elle sera confrontée  demain dans un environnement mondial complexe, mouvant et souvent hostile.
L’appel à la gouvernance comme condition indispensable au développement nous interroge sur les raisons idéologiques et politiques qui ont amené les bailleurs de fonds à la placer en haut de leur agenda. Il devient  important  d’analyser les fondements de cet agenda et son impact sur la définition du type de développement préconisé et sur les relations entre l’Afrique et ses partenaires.
L’agenda des donateurs n’est pas le seul qui impulse le développement en Afrique. Intellectuels et leaders africains insistent de plus en plus sur la nécessité pour les pays africains de s’approprier le processus de développement et définir leurs propres conceptions de la gouvernance et d’autres facteurs qui peuvent avoir un impact sur le développement. Le nouveau débat rappelle celui des années 60 au lendemain des indépendances. Parmi les nouveaux facteurs en jeu,  il faut souligner l’impact de la mondialisation, le basculement progressif du pouvoir économique mondial de l’Occident vers l’Orient et l’arrivée en force de la Chine en Afrique avec son propre agenda.

De quelle Afrique s’agit-il ?
Le premier constat est que le continent africain est loin d’être homogène. Les 53 pays qui s’y trouvent ont chacun une spécificité difficilement comparable à celle des autres pays.  La grande diversité des niveaux de développement et des indicateurs socioéconomiques rend difficile l’application d’un schéma d’analyse qui puisse rendre compte de cette diversité.
Dans ces conditions, comment faire le bilan de tout un continent ?
L’expérience marocaine montre qu’il s’agit d’un exercice difficile qui exige des moyens énormes. En effet, le lancement de l’étude du bilan des 50 ans d’indépendance du Maroc qui a débuté en 2003 et mobilisé plus d’une centaine de chercheurs de haut niveau, a duré  trois années de travail intense et rigoureux. Le résultat que l’on peut trouver dans le site web www.rdh50.ma consiste en une centaine de documents, y compris des analyses sectorielles, des rapports de synthèse thématiques, un rapport général publié sous le titre « Le Maroc Possible », des analyses transversales et une base de données conséquente touchant tous les aspects du développement du Maroc. En tout, pas moins de cinq mille pages d’analyse ont été produites et mises à la disposition du public et des décideurs d’une manière transparente avec l’espoir que ce bilan déclenche un débat national sur les défis de l’avenir proche et lointain et les moyens de les relever. Même si cet espoir a été largement déçu, l’exercice a été d ‘un grand bénéfice aux citoyens, aux décideurs et à tous ceux qui s’intéressent au développement du pays.
Un exercice aussi onéreux serait difficilement réalisable à l’échelle du continent. Les tentatives en cours ou en préparation à l’occasion du cinquantenaire des indépendances d’une quinzaine de pays africains consistent essentiellement en célébrations nationales dans chaque pays concerné.  Le Cameroun a  innové en organisant  une conférence au niveau des Chefs d’Etat et autres personnalités. La France, quant à elle, organise un évènement politique de taille à Paris à l’occasion de la fête du 14 juillet 2010 à laquelle sont conviés les chefs d’Etat africains (accompagnés de contingents militaires pour participer au défilé traditionnel, un acte dont la symbolique a déclenché quelques polémiques)
Ici au Maroc, l’Université Alakhwayn d’Ifrane et le Centre d’études africaines de l’Université Mohammed V ont convenu d’organiser conjointement une conférence sur le bilan  du cinquantenaire des indépendances africaines  à Rabat en décembre 2010. Les travaux sont déjà en cours pour préparer cette conférence avec la participation de chercheurs africains et non-africains.

Une approche régionale

Pour appréhender les grandes tendances qui ont caractérisé le développement des pays africains sans pour autant procéder à l’analyse de l’évolution de chaque pays, il serait édifiant de faire l’analyse du bilan sous l’angle des tentatives d’intégration sous-régionale et régionale. En effet, s’il y a un consensus parmi les observateurs et chercheurs africains, c’est l’impératif de l’intégration africaine, seule voie en mesure de permettre à l’Afrique de relever les défis de la mondialisation et partant, d’augmenter ses chances d’enclencher un développement durable.
Avant de passer en revue les expériences des différentes tentatives d’intégration, il est utile de rappeler  quelques traits communs qui caractérisent les pays africains en gardant à l’esprit la grande diversité des différents pays. En tant que continent, l’Afrique est perçue comme ayant largement raté sa rentrée dans l’ère d’un développement significatif et durable, à commencer par l’industrialisation, élément-clé d’un tel développement.
En effet, les différents indicateurs de développement économique et social tels l’Indice du développement humain (IDH) du PNUD, placent l’Afrique sub-saharienne  derrière les autres régions et lui donnent peu de chance d’atteindre les Objectifs de développement du Millénaire (OMD) d’ici 2015. L’Afrique contient le plus grand nombre de pays les moins avancés , la plus grande proportion de population vivant sous le seuil de pauvreté et la plus grande population affectée par le VIH/SIDA et autres pandémies. Le revenu moyen par habitant est plus faible qu’à la fin des années 60. On peut multiplier les chiffres à l’échelle du continent pour dénoter les retards et autres déficits (investissements, commerce, infrastructures, éducation…), mais leur signification doit être temporisée par les disparités énormes d’un pays à l’autre.
En plus de ce bilan négatif, l’Afrique a souffert d’un grand nombre de conflits armés, pour la plupart internes, avec leur coût énorme en tragédies humaines et ressources matérielles, compromettant davantage le développement des pays concernés.
Comment un continent aussi riche en ressources de toutes sortes se trouve-t-il dans cet état ? Et comment relever les défis de l’avenir, rattraper les retards considérables accusés et avancer au même rythme que les autres continents ?
Pour répondre à ces questions, on commencera par le bilan  des expériences tentées en matière d’intégration sous-régionale puis régionale pour permettre à l’Afrique de faire face aux défis de la mondialisation.

Vers les intégrations
sous-régionales  africaines

Les tentatives d’intégration sous-régionale ont connu des destins mitigés et très variés. L’Afrique de l’Ouest est sans doute la région qui a fait le plus de progrès à travers la CEDEAO et l’UEMOA. Pourtant, cette région a été déchirée par une longue période de conflits armés dont certains durent toujours et d’autres traversent des phases précaires et dangereuses. Paradoxalement, la CEDEAO a fait sa marque en tant qu’organisation régionale dans la gestion des crises qui ont frappé certains pays dont le Libéria, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et la Guinée-Bissau et plus récemment la Guinée et le Niger. Forte de son succès dans ce domaine, elle s’est tournée vers son rôle d’intégration économique avec plus d’assurance et de crédibilité. Aujourd’hui, la CEDEAO est en passe de devenir une organisation d’intégration économique efficace. Les grands projets qu’elle poursuit (infrastructures, communication, énergie, commerce..) avancent à grands pas et accélèrent l’intégration de la sous-région à un rythme notable.
De même pour l’UEMOA qui couvre  huit Etats membres de la CEDEAO et qui a poussé ces Etats vers une intégration monétaire, commerciale, voire industrielle, faisant de la zone un marché suffisamment grand pour attirer les investisseurs étrangers plus qu’ailleurs.
En dehors de l’Afrique de l’Ouest, les autres sous-régions ont connu moins de succès à l’exception de l’Afrique australe qui avance sous l’impulsion de l’Afrique du Sud, véritable locomotive de la sous-région. En supposant que cette dernière réussisse sa transition post-Apartheid et qu’elle trouve une solution pacifique et définitive aux problèmes lancinants de la terre agricole et des inégalités héritées de l’ancien régime, l’intégration de l’Afrique australe pourra continuer à avancer à grands pas.
Par contre, les autres sous-régions souffrent de différents types de dysfonctionnements qui minent leurs tentatives d’intégration. C’est le cas de l’UMA qui est bloquée par la question du Sahara et les différends entre le Maroc et l’Algérie liés à cette affaire et à des orientations politiques et idéologiques divergentes.
De même pour l’Afrique orientale qui avait pourtant lancé la communauté de l’Afrique de l’Est dès les années 70 avant de la voir s’effondrer sous les divisions entre l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie pour différentes raisons. De nouvelles tentatives sont en cours pour ressusciter l’ancienne organisation sous-régionale.
L’Afrique centrale, quant à elle, n’a pas encore réussi le pari de construire une organisation sous-régionale consensuelle. Les rivalités entre le Cameroun et le Gabon ont longtemps temporisé les tentatives d’intégration et donné lieu à des organisations rivales (CEEAC, CEMAC) alors que la RDC, leader naturel de la sous-région de par ses ressources naturelles énormes, a été victime de régimes politiques faibles et instables et de convoitises et ingérences de la part de ses nombreux voisins. Elle n’a donc pas pu jouer son rôle d’impulsion et d’intégration de l’Afrique centrale.

Tentatives d‘intégration
continentale

Les limites des expériences d’intégration régionale n’ont pas empêché les intellectuels et leaders africains de militer pour une intégration continentale. La vision d’une Afrique unie n’a cessé d’alimenter une réflexion sérieuse sur les perspectives d’une telle union et de susciter plusieurs tentatives de lancement d’initiatives politiques afin de réaliser ce vieux rêve.  Depuis le plaidoyer de Nkrumah dans les années 60 pour une Afrique unie jusqu’au lancement du NEPAD en 2001, plusieurs initiatives ont vu le jour (Lagos Plan of Action, UN-PAARED, UN-NADAF..) souvent sous la couverture politique de l’OUA puis l’UA et l’appui technique de l’ONU. La réflexion a suivi un cheminement compliqué essayant de réconcilier la promotion d’autosuffisance (self-reliance) et  l’indépendance avec les nouvelles exigences du libéralisme suite à l’application du PAS et  des conditionnalités des IFI et leurs actionnaires en matière de bonne gouvernance et de réformes administratives.
Si ces différentes tentatives n’ont pas fait long feu, le NEPAD mérite qu’on l’examine de plus près compte tenu de son actualité, son origine et son impact sur l’intégration africaine et sur les réformes qu’il préconise pour permettre à  l’Afrique de relever les défis du 21è siècle.

NEPAD : intégration
et partenariat

Si le NEPAD (New Partnership for Africa’s Développement) a été présenté par ses initiateurs (les présidents Mbecke et Wade auxquels se sont joints Obasanjo, Bouteflika et Moubarak) comme une initiative africaine qui le démarque des initiatives précédentes, force est de reconnaître que le processus d’élaboration du document de base a dû subir de multiples modifications pour devenir en fin de compte un contrat de partenariat entre l’Afrique et ses partenaires au développement.
Même avec son label d’initiative africaine, le NEPAD a intégré volontairement dans sa logique la nécessité des réformes préconisées par les bailleurs de fonds depuis l’application du PAS et la mise en œuvre de ses conditionnalités jusqu’à l’adoption des nouvelles condionnalités liées à la bonne gouvernance et aux réformes politiques qui en découlent. C’est un départ significatif des initiatives telles le Plan de Lagos qui était plutôt fondé sur le besoin d’un développement auto-entretenu sans ingérence des bailleurs de fonds et qui a contesté la logique du PAS et son impact jugé négatif sur le développement des pays africains.
En dehors de ces considérations idéologiques, le NEPAD a pour ambition d’impulser l’intégration économique de l’Afrique à grande échelle, en commençant par les secteurs clés tels les infrastructures, les communications, l’agriculture, l’énergie, l’industrie, les technologies de l’information et de la communication sans négliger les secteurs sociaux de l’éducation, la santé et l’habitat. Comme les initiatives précédentes, l’intégration de l’Afrique était jugée indispensable pour un développement conséquent et durable. Les coûts énormes qu’implique l’intégration de tous ces secteurs ont poussé les pères du NEPAD à obtenir l’appui de principe des bailleurs de fonds à travers un partenariat consigné dans le document.  Les termes de ce partenariat étaient assez clairs. Pour recevoir l’appui des pays riches, les pays africains devaient se soumettre à des condionnalités semblables à celles déjà en cours depuis le lancement du PAS, ce qui a ouvert la voie aux critiques de ceux qui opposaient le PAS et ses successeurs (DSRP, PPTE…)
Si le NEPAD a été accueilli à ses débuts avec intérêt et même avec enthousiasme dans certains milieux, il n’a pas tardé à faire l’objet de  critiques de la part des analystes de gauche pour son approche néolibérale et de la société civile qui n’avait pas été impliquée dans son élaboration. Perçu comme une initiative de quelques chefs d’Etat, il  a été contesté comme un schéma imposé par le haut faisant fi de la nécessité d’une participation effective dans son élaboration des populations concernées par le développement.  Il a aussi été caractérise comme une continuation des mêmes approches dictées par les bailleurs de fonds qui ont démontré leurs limites.
A ces critiques s’est ajoutée la rivalité entre ses précurseurs à tel point que certains d’entre eux se sont rangés parmi les adversaires de l’initiative. Le NEPAD continue néanmoins à faire son chemin puisqu’il a été adopté par l’UA comme faisant partie de son agenda de développement même si le secrétariat du NEPAD tarde à quitter l’Afrique du Sud où il a été installé pour être transféré à Addis Abéba au siège de l’UA en conformité avec la décision du sommet de l’UA.

A suivre…


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