Modernisation des services publics et des institutions de l’Etat (2/2) : Qui définit l’agenda des réformes pour le développement de l’Afrique ?


Par Ahmed Rhazaoui
Mercredi 16 Juin 2010

Depuis son lancement en 2001, le NEPAD semble battre de l’aile si l’on s’en tient à l’absence de  réalisations concrètes sur le terrain. Cependant,  le MAEP qui en est issu et qui constitue la clé du partenariat entre l’Afrique et les pays donateurs est  en cours de mise en œuvre dans une trentaine de pays qui y ont adhéré volontairement.
Pour rappel, les termes du MAEP peuvent se résumer comme suit : les chefs d’Etat qui acceptent de se faire évaluer par leurs pairs participent à un exercice rigoureux et participatif d’analyse de leur performance en matière de gouvernance et de développement socioéconomique. L’analyse est conduite conformément à une méthodologie développée par le secrétariat du MAEP qui comprend des questionnaires détaillés, des enquêtes menées d’une manière participative dans un premier temps par le pays lui-même (auto-évaluation), ensuite des enquêtes menées par les experts du secrétariat du MAEP, le tout aboutissant à un Rapport Evaluation Pays. Ce rapport est soumis à l’appréciation du Forum des chefs d’Etat qui participent à l’exercice en marge des sommets de l’UA.
Les commentaires des chefs d’Etat servent à alimenter un Plan d’action qui est présenté de nouveau au Forum. Une fois approuvé, le Plan d’action  est mis en œuvre par le pays concerné selon un calendrier précis  calé sur les réunions des sommets de l’UA. Les Plans d’action sont présentés tous les ans  par les chefs d’Etats concernés jusqu’au terme de l’exercice. Les coûts énormes de la mise en œuvre des Plans font alors l’objet de discussions avec les partenaires au développement. L’exercice arrive à terme au bout des trois ans de mise en œuvre du Plan d’action.
A ce jour, quelque 29 chefs d’Etat ont accepté de se livrer à l’exercice, une demi-douzaine a présenté leur Rapport Evaluation Pays au Forum et quelques-uns sont en train de mettre en œuvre leurs Plans d’action. A la tête du peloton, on trouve le Ghana, le Rwanda, le Burkina Faso, l’Ouganda, l’Ethiopie, le Mali entre autres. Curieusement, le Sénégal dont le président est un père fondateur du NEPAD de la première heure ne semble pas pressé de se livrer au processus MAEP.
Le MAEP est sans doute une initiative originale et hardie. Aucune autre région du monde n’a adopté un tel processus d’évaluation de performance par des pairs. Il y a bien entendu des voix dissidentes en Afrique.  Les régimes à caractère autoritaire et peu soucieux d’adhérer à une gouvernance démocratique telle que  préconisée par les bailleurs de fonds ne semblent pas s’intéresser au MAEP. D’autres n’hésitent pas à le critiquer comme un schéma imposé de l’extérieur et exploité cyniquement par certains chefs d’Etat pour être dans la bonne grâce des bailleurs de fonds et profiter de leur assistance.
Il est difficile de faire la part des choses et d’essayer de deviner les motivations des pays qui ont souscrit au MAEP.  Par ailleurs, l’exercice n’a pas toujours été mené dans l’esprit souhaité en ce qui concerne la médiatisation et la participation de la population dans le processus d’auto-évaluation. On a aussi constaté dans certains cas un manque manifeste de coordination entre les plans d’actions issus du MAEP et les autres stratégies de développement adoptées par les pays concernés et se trouvant dans différents stades de mise en œuvre (DSRP, PPTE, OMD, Etudes prospectives…).
Dans ces conditions, on est en droit de se demander pourquoi les 29 pays africains qui ont adhéré au MAEP l’ont fait malgré la marginalisation croissante du NEPAD dont il tire sa légitimité.  Il ne fait aucun doute que l’un des facteurs les plus décisifs se trouve dans la  volonté des pays participants de renforcer leurs relations de partenariat avec les bailleurs de fonds. Ceux-ci ont d’ailleurs exprimé leur appui au MAEP dans différents forums et ont implicitement fait de la participation au MAEP une condition supplémentaire pour faciliter l’accès à l’aide au développement. Il n’est donc pas surprenant de voir plus de la majorité des pays africains adhérer au MAEP.
Cependant, la motivation de renforcement de partenariat ne doit pas être considérée comme le seul facteur en jeu. Les pays africains qui ont adopté une gouvernance démocratique crédible et dont le nombre n’a cessé d’augmenter sont en droit de vouloir partager leurs expériences avec leurs voisins et d’essayer de les inciter à suivre leur exemple.  C’est une évolution très positive qui doit être saluée.
Les tentatives sous-régionales et régionales pour l’intégration de l’Afrique ont permis aux pays africains de mesurer les défis auxquels ils sont confrontés dans le domaine du développement économique et social. Face au manque de progrès sensibles dans le processus d’intégration, chaque pays se trouve en fin de compte obligé de tracer son propre chemin pour une stratégie viable.
Au lendemain des indépendances, les gouvernements des jeunes Etats ont cherché d’abord à remplacer l’administration coloniale par une administration nationale compétente et performante. Le manque de cadres a rendu ces premiers pas ardus.  Il s‘est avéré assez rapidement que la construction d’une fonction publique performante était une œuvre de longue haleine. Les gouvernements étaient donc obligés de préserver les structures héritées de la période coloniale en attendant de former des cadres suffisants en nombre et en qualité.
Dans le processus de construction de nouvelles administrations, les pays africains ont cherché des modèles adaptés à leurs besoins et leurs capacités. Le besoin de réformes s’est donc fait sentir dès les premières années d’indépendance.
Dans les années 60 et 70, caractérisées par une croissance économique vigoureuse (alimentée par une forte demande pour les matières premières), les réformes de l’administration n’étaient pas considérées urgentes et un certain laisser-aller s’est installé. Le nombre de fonctionnaires a augmenté considérablement aussi bien dans l’administration que dans les entreprises étatiques et paraétatiques. L’Etat providence est devenu la règle.
A la suite de la crise des années 80 (chute des prix du pétrole et des produits de base, récession mondiale, déséquilibres budgétaires et financiers..), le PAS a été déclenché. Entre autres réformes, les Etats devaient se désengager des activités productives et laisser la place au secteur privé.  Les mesures d’austérité dictées par l’impératif de rétablir les équilibres budgétaires ont poussé les gouvernements à prendre les premières grandes mesures de reformes depuis l’indépendance.
Les premières générations des réformes, dictées par les conditionnalités du PAS, étaient axées avant tout sur la réduction du nombre de fonctionnaires. La réforme administrative était devenue synonyme de réduction des effectifs. Rares étaient les tentatives de redéfinition des missions de la fonction publique, une réfection des organigrammes et de refondation des fichiers de la fonction publique.
Sous pression des IFI et leurs partenaires, les pays soumis au PAS se sont accommodés de la réduction des effectifs pour diminuer leurs dépenses et continuer à recevoir l’aide publique  au développement. Ainsi commença la période de réformes  définies non pas par les besoins des pays africains mais par les agendas des pays donateurs à travers les politiques mises en œuvre par des Institutions de Bretton Woods.
Cette tendance aura des effets de plus en plus négatifs pendant les 20 années qui suivirent et commença l’ère des réformes inscrites dans les agendas des pays donateurs et imposées aux pays en développement sous PAS. Ces agendas, fondés sur le libéralisme économique visaient  le démantèlement des structures étatiques qui géraient les économies des pays en développement. Ces  structures qui étaient déjà trop  insuffisantes  pour faire face aux défis du développement se sont trouvées affaiblies, compromettant les années de construction et de formation consenties par les pays africains. Les effets de l’affaiblissement de l’appareil de l’Etat sur les pays  qui ont subi le PAS se font toujours sentir aujourd’hui.

PAS, pauvreté et nouveaux
agendas de réformes

L’application des PAS a montré ses limites aussi avec l’augmentation rapide de la pauvreté. La compression des dépenses publiques, notamment sociales, dans un environnement économique morose n’a pas tardé à frapper de plein fouet les couches les plus vulnérables. L’ampleur de la pauvreté était telle que la BM a décidé d’en faire son nouveau cheval de bataille, remettant en cause le PAS et en partie le Consensus de Washington.
Les stratégies de réduction de la pauvreté reflétées dans les DSRP sont devenues la nouvelle orthodoxie à Washington.  La BM est allée jusqu’à relaxer quelque peu les limites imposées sur les déficits budgétaires et les taux d’inflation tolérés pour donner une chance à la croissance économique.
Sur le plan politique, les réformes demandées aux pays pauvres ont pris une nouvelle tournure. Dans un rapport rendu célèbre par son auteur Elliot Berg, le BM a observé dès 1981 que la privatisation n’était plus suffisante pour déclencher la croissance. Il fallait aussi procéder à des réformes profondes de l’administration publique et s’attaquer à son inefficacité et sa corruption.  Ainsi, les bailleurs de fonds sont passés des réformes économiques à un agenda explicitement politique. Il sera appelé la bonne gouvernance. Le financement des  DSRP devait dorénavant être conditionné par des programmes de bonne gouvernance.
Dix ans plus tard, face à la persistance des difficultés économiques dans la plupart des pays africains, une nouvelle approche a été préconisée pour y remédier. Cette fois-ci, des bailleurs de fonds bilatéraux sous l’inspiration de la France (Discours de La Baule en 1991) ont décrété que la bonne gouvernance devait être transformée en gouvernance démocratique et ont en fait une nouvelle conditionnalité de l’APD.
Et l’on a vu les pays africains lancer les uns après les autres des conférences nationales pour jeter les bases de systèmes démocratiques de type occidental. Ceux qui ont évité les conférences nationales ont néanmoins mis en place les structures formelles de systèmes démocratiques (constitutions, partis politiques, élections…) et ont procédé à démontrer leurs capacités d’adhérer aux nouvelles conditionnalités.

De quelle gouvernance s’agit-il?

Aujourd’hui, après une dizaine d’années de gouvernance démocratique et en l’absence de résultats significatifs en termes de  progrès de développement, les messages véhiculés par les bailleurs de fonds deviennent de plus en plus ambigus. Convaincus des limites de l’approche démocratique et peut-être inquiets par ses dérives, les partenaires au développement semblent avoir abandonné l’exigence d’une gouvernance démocratique. On parle plutôt de «bonne» gouvernance qui implique stabilité politique, sécurité, protection des investissements étrangers, bonne gestion de l’APD et des affaires publiques. Finies les préoccupations par la pratique démocratique.
Les résultats de la nouvelle orthodoxie sont visibles un peu partout en Afrique où des régimes politiques à prétentions démocratiques deviennent de plus en plus autoritaires et où certains régimes présidentiels se «monarchisent» avec des présidents qui   refusent l’alternance pacifique du pouvoir ou  tentent de transformer  leurs passages à la tête de leurs Etats en mandats héréditaires. Ces pratiques ne semblent nullement gêner les défenseurs de la bonne gouvernance. On est venu de loin depuis  le discours de La Baule.

Quelles réformes
pour l’Afrique du 21ème siècle ?

Dans un rapport publié par la BM en 2000 avec l’apport d’institutions telles la BAD, la CEA et la Coalition mondiale pour l’Afrique et intitulé « L’Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle ? », on trouve quelques recettes qui méritent un examen attentif.
Le diagnostic fait dans le rapport reprend des analyses bien connues et présente un tableau très sombre de l’état des pays africains à la fin du 20ème siècle. Parmi les prescriptions proposées, on trouve le besoin «d’améliorer la gestion gouvernementale, réduire la dépendance à l’égard de l’aide et renforcer les partenariats». On reconnaîtra dans le premier point la bonne gouvernance évoquée plus haut. Le deuxième point semble préconiser des politiques contradictoires puisque le terme partenariat est utilisé couramment pour dénoter l’aide.
Il est intéressant de noter que le rapport reconnaît  «les limites des politiques en faveur du marché aux vues trop étroites»,  en faisant allusion d’une manière douce aux échecs des politiques inspirées par le PAS et affirme la nécessité d’un «Etat solide à forte capacité» pour revenir sur les politiques de désengagement de l’Etat préconisées dans le même cadre et qui ont eu pour résultat d’affaiblir la capacité en question. Après avoir souligné le besoin de «se détacher des modèles défectueux du passé», le rapport ne trouve pas mieux que de préconiser «une stratégie de développement axée sur les exportations ….des produits primaires», car «le progrès en Afrique repose principalement sur l’exportation des produits primaires».
Vient ensuite le besoin «d’accroître la compétitivité et diversifier les économies», ce qui semblerait contredire la prescription précédente. Le rapport préconise que «les  Africains doivent concevoir un plan d’action, dont ils ont la paternité et qu’il soit soutenu par les bailleurs de fonds». Donc à la fois appropriation et dépendance des bailleurs.
On voit que la BM a du mal à se remettre en cause et continue à prescrire les mêmes politiques qui n’ont pas fait long feu tout en reconnaissant leurs limites, voire échec.  
Pour que les pays africains puissent atteindre les OMD à l’horizon 2015, il leur faudra arriver à un rythme de croissance économique d’au moins 7% par an en tenant compte d’une croissance de population de l’ordre de 2,5 à 3% en moyenne. Or, l’atteinte des OMD n’est qu’un préalable minimum, un seuil en deçà duquel il ne peut y avoir de développement durable. Pour un développement plus conséquent, la croissance économique devra atteindre des niveaux encore plus élevés, ce qui est loin des capacités et performances récentes à quelques  exceptions près (Mozambique, Ethiopie, Rwanda en plus des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale).  L’expérience des pays avancés montre que l’industrialisation a joué un rôle clé dans leur développement. Or les pays africains au Sud du Sahara, à l’exception de l’Afrique du Sud, n’ont pas réussi à développer ce levier puissant. Ayant hérité de la période coloniale des infrastructures axées sur l’exportation des matières primaires et des économies hautement dépendantes de ces exportations, il leur a été très difficile d’opérer les réformes nécessaires pour briser le piège de cette spécialisation. En plus, les contraintes des marchés internationaux et les lois du commerce international (protectionnisme, subventions, échec des négociations sur le commerce) empêchent les pays africains de diversifier leurs exportations à travers les industries manufacturières.La dépendance de l’exportation des matières premières a longtemps compromis la croissance des  économies  africaines, vu les variations fréquentes des prix de ces produits et la baisse continue des termes de l’échange.

Besoin d’agendas africains

L’histoire des cinquante années d’indépendance montre que les modèles utilisés par les pays africains ont été largement inspirés par les anciennes puissances coloniales. Ces modèles ont systématiquement préconisé un développement basé sur des économies agricoles hautement dépendantes de leurs relations avec les pays riches. Il est intéressant de noter que les pays africains ont atteint leurs taux de croissance les plus élevés pendant les vingt années suivant l’indépendance (années 60 et 70).  Cette période correspond aux premières tentatives de ces pays d’enclencher un développement autonome et de réduire considérablement leur dépendance vis-à-vis des anciennes puissances coloniales.
Cette période euphorique a aussi bénéficié d’une conjoncture internationale plus favorable à cette autonomie, d’un leadership visionnaire et engagé, d’un débat intellectuel fécond et d‘une mobilisation populaire sans précédent. C’est la seule période des indépendances où l’Afrique avait son propre agenda. C’est aussi la période où l’on croyait qu’il était possible de construire un nouvel ordre économique international. Cette situation a commencé à changer à partir de la crise des années 80 suite à la récession mondiale et à l’affaiblissement des économies africaines, devenues victimes de la chute des prix de leurs produits et otages des réformes  qui ont accompagné l’ajustement structurel. Ce fut le début de l’application des agendas des bailleurs de fonds. La fin de la guerre froide n’a fait qu’accélérer la prédominance des modèles néolibéraux et le retrait des modèles alternatifs qui avaient alimenté les débats des années 60 et 70. Avec l’accélération de la mondialisation, les pays africains ont plus que jamais besoin de renforcer leur compétitivité. La voie de spécialisation dans l’exportation des matières premières a déjà montré ses limites. En plus, l’impasse des négociations du Doha Round due en grande partie au refus de pays riches d’ouvrir leurs marchés aux pays en développement et de réduire leurs subventions aux produits agricoles, devrait convaincre les pays africains à chercher une alternative aux modèles utilisés et à la nature des relations commerciales qui les lient aux pays riches. Un tel changement de cap ne peut s’opérer que dans un contexte de démocratie réelle où les citoyens ont la possibilité de changer les systèmes politiques autoritaires qui continuent à les empêcher d’exercer leurs droits. Or, les agendas en vogue actuellement, appuyés sinon imposés par les bailleurs de fonds, semblent préférer le renforcement des régimes autoritaires au  nom de la sécurité et de la stabilité politique.  Il faut espérer que la vague démocratique qui a changé le paysage politique en Afrique depuis les années 90 donne lieu à des systèmes politiques  réellement démocratiques et que les pays qui exercent une telle démocratie  obtiennent des performances économiques à la hauteur des attentes de leurs populations.
Si tel est le cas, il ne fait aucun doute que les mouvements d’intégration régionale reprendront leur souffle et permettront à l’Afrique de constituer des ensembles économiques suffisamment grands et intégrés pour promouvoir la compétitivité de l’Afrique dans le marché mondial.


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