Mama Antula. Jésuite pionnière des droits humains et première sainte argentine


Libé
Lundi 12 Février 2024

Mama Antula (1730-1799), qui deviendra dimanche la première sainte argentine, est considérée comme une pionnière des droits humains, une laïque jésuite défenseuse des Indiens dans ce qui n'était encore au 18e siècle qu'un vice-royaume de la Couronne d'Espagne.

Première sainte d'un pays qui compte déjà trois saints masculins, elle sera canonisée dimanche à la Basilique Saint-Pierre de Rome, lors d'une messe en présence de deux compatriotes: le pape François, ancien archevêque de Buenos Aires, et le président Javier Milei.
Beatifiée en 2016, Mama Antula sera canonisée après que deux miracles lui ont été attribués, la guérison en 1905 d'une religieuse et en 2017 d'un enseignant victime d'un grave AVC.

Cintia Suarez, co-auteure d'une biographie de Mama Antula, décrit "une vie d'engagement auprès des exclus qu'étaient les Indiens, les esclaves, les mulâtres, les paysans", tous "considérés comme des choses à l'époque coloniale".
A 15 ans, âge auquel les jeunes filles entraient au couvent ou se mariaient, Mama Antula se rebelle et lance à son père qu’elle ne sera ni religieuse, ni épouse.
"Mama Antula" est le diminutif affectueux que donnèrent les habitants quechuas à Maria Antonia de Paz y Figueroa, née dans une famille aisée de Villa Silipica, à 1.100 km au nord de Buenos Aires.

Eduquée chez les jésuites, ordre dont est issu le pape François, Maria Antonia Paz y Figueroa est dès l'adolescence mal à l'aise avec les moeurs et conventions de son époque, en particulier la place des femmes.

A 15 ans, âge auquel les jeunes filles entraient au couvent ou se mariaient, elle se rebelle et lance à son père qu'"elle ne sera ni religieuse, ni épouse", raconte Cintia Suarez.
Attirée par l'ouverture intellectuelle offerte par les Jésuites, sa décision est prise : elle sera une laïque consacrée jésuite.

Quittant la maison familiale, elle entame une vie communautaire et itinérante dans les provinces du nord, avec d'autres femmes consacrées, au service des pauvres, des orphelins, des malades. Mêlant les soins et "exercices spirituels" diffusant le message jésuite, mais aussi la lecture, l'écriture, auprès des populations indiennes.

Le choc survient avec l'ordre d'expulsion des Jésuites par le roi d'Espagne en 1767. Mama Antula sent "le vide spirituel et social chez les Indiens des missions (...) Cela la bouleverse", raconte sa biographe.
Non visée en tant que laïque par l'ordre d'expulsion, Mama Antula décide de poursuivre leur oeuvre.

Après 20 ans et "plus de 4.000 km parcourus à pied dans les provinces du nord, elle arrive à Buenos Aires, pieds nus, sandales détruites, sa cape de Jésuites en lambeaux, portant une croix en bois".
Voyant cette femme dépenaillée, les gens "la prennent pour une sorcière ou une folle", raconte Cintia Suarez, se basant sur des témoignages d'époque.

"Des jeunes lui lancent des pierres et elle se réfugie dans une petite chapelle" où se dresse aujourd'hui la Basilique de la Piété. Ses restes y reposent près d'une statue la représentant.
"L'affluence a augmenté ces derniers temps, qui sont difficiles" économiquement, assure à l'AFP Raul Laurencena, prêtre de cette paroisse.
"Les gens viennent prier pour du pain, du travail, pour la paix. Pour notre pays qui en a tant besoin", dit-il.

Arrivée à Buenos Aires, Mama Antula poursuit les Exercices spirituels : des sessions de méditation, prière, reflexion, attirant des gens de toutes conditions.
Face a l'engouement, le vice-roi et l'évêque, au début hostiles, l'autorisent à ouvrir une maison pour ces sessions: "Elle parvenait à y faire cohabiter en harmonie les classes sociales".

L'agence argentine d'informations catholique AICA avance que "le poids politique de Mama Antula a peut-être été plus fort que son impact religieux".
Elle a en effet formé des acteurs-clefs de l'indépendance tels Manuel Belgrano ou Miguel de Azcuenaga.

Mais Mama Antula, qui meurt en 1799 à 69 ans, ne verra pas cette future "Argentine".
"+Femme forte+, comme on l'appelait à l'époque, Mama Antula était très courageuse, et rebelle au bon sens du terme", résume sa biographe Cintia Suarez.
"Son message était très fort pour l'époque et inspire des femmes aujourd'hui encore. Il a pris de l'ampleur grâce à Jorge Bergoglio", le pape actuel.


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