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Libé aux portes de Mellilia: Volonté manifeste maroco-espagnole de redessiner la carte migratoire


DNES. Hassan Bentaleb
Vendredi 24 Juin 2022

Une première dans les annales de la migration irrégulière à Nador. Des centaines de migrants irréguliers se sont attaqués aux forces de l’ordre marocaines basées près des barrières séparantle préside occupé de Mellilia du reste du Maroc. Armés de pierres et d’objets tranchants, ils ont agressé les policiers, les gendarmes et les éléments des forces auxiliaires mobilisés pour les empêcher de franchir lesdites barrières.

Violence
«Les faits remontent à samedi dernier lorsque des centaines de migrants installés dans les forêts de Khamis Akadim, Afrou, (les nouveaux camps de fortune des migrants après avoir été chassés de Gourgouro) ont décidé d’entamer tôt le matin leur marche à pied vers les barrières avant que les forces de l’ordre ne leur bloquent la route. Un acte inacceptable pour les migrants qui n’ont pas hésité à s’attaquer aux éléments des forces de l’ordre», nous a indiqué Omar Naji, membre du comité chargé du dossier de la migration et de l’asile AMDHsection Nador. Et de préciser : «L’affrontement a été violent et, pour la première fois, des migrants ont fait usage de lames. Nous avons compté 15 blessés parmi les forces de l’ordre dont deux dans un état plus ou moins grave. Le nombre de blessés au sein des migrants reste inconnu puisqu’aucun d’entre eux ne s’est présenté auprès des services de santé pour recevoir des soins de peur d’être arrêté ou refoulé». Comment peut-on expliquer ce nombre élevé de blessés dans les rangs des forces de l’ordre ? «La supériorité numérique des migrants irréguliers et leur position en haut d’une colline ont désavantagé les policiers, gendarmes et autres corps sécuritaires mobilisés sur place», nous a-t-il répondu.Et de souligner : «D’autant que ces derniers n’ont pas été bien préparés à ce genre d’affrontements violents et ne s’attendaient pas à des attaques armées d’une telle ampleur ou à ce que la situation dégénère. En fait, les forces de l’ordre sont arrivées sur place sans boucliers antiémeute et sans équipements de protection».

Choc
Selon notre interlocuteur, c’est la première fois que la région connaît ce genre d’affrontements dont le degré et l’intensité demeurent incompréhensibles. D’après lui, les migrants irréguliers subsahariens étaient toujours des personnes calmes et discrètes cherchant à rejoindre l’Europe,sans usage de la force ou de la violence à l’égard du personnel sécuritaire. Comment peut-on donc expliquer un tel changement? Omar Naji pointe du doigt deux facteurs : l’arrivée de nouveaux migrants non-subsahariens et le changement de la situation sur le terrain. «Avec les Subsahariens, la situation a toujours été calme et maîtrisée. Mais, l’arrivée de nouvelles personnes qui ont fui l’enfer libyen a bien changé la donne.En effet, il s’agit de personnes agressives qui ont déjà tué un militaire marocain en juillet 2021 après avoir reçu un sévère coup sur la tête dans le cadre d’une opération destinée à déjouer une tentative de franchissement illégale de la barrière séparant le préside occupé de Mellilia du reste du Maroc», nous a-t-il indiqué. «Ces migrants arrivés de Libye ont fait l’objet de torture et de traitements inhumains dans ce pays. Certains ont été emprisonnés pendant plus de trois ans. D’autres témoignent de cas de viol dans les prisons libyennes. Ce qui explique en partie leur agressivité et leur frustration», nous a confié une source associative en sollicitant l’anonymat. Autre élément explicatif de ladite violence est le renforcement du contrôle sur place. «Actuellement, toutes les issues sont fermées au niveau de Nador et il n’y a plus aucune possibilité de passage vers l’autre rive de la Méditerranée. La dernière tentative de franchissement des barrières date du 2 et 3 mars dernier, soit trois mois. Ce qui représente une éternité pour un migrant qui rêve de rejoindre l’Europe», nous a affirmé Omar Naji. Et d’ajouter : «Il s’agit donc de migrants désespérés et en colère qui cherchent, à n’importe quel prix, à passer vers l’Espagne. D’autant que leur installation dans les forêts dure depuis plusieurs mois. Ces personnes tentent le tout pour le tout et le passage par la barrière est aujourd’hui leur seul espoir. A ne pas oublier également la dernière réunion entre les ministres de l’Intérieur marocain et espagnol qui laisse penser que des consignes précises concernant la fermeture des frontières ont été données».

Durcissement
A cet égard, Omar Naji nous a expliqué que Nador est devenue une cité interdite pour les migrants. «En effet, et malgré le fait que cette ville est connue comme étant un point de passage important vers Mellilia, il est rare de trouver des candidats à l’immigration dans ses rues», a-t-il noté. «Du côté de Mellilia, les autorités espagnoles compliquent de plus en plus la vie aux migrants irréguliers en multipliant les obstacles et les embûches.En effet, ces migrants doivent aujourd’hui faire face à trois barrières du côté espagnol et une du côté marocain, et ce sans parler des caméras, des éléments des forces de l’ordre et du grand fossé qui sépare ces barrières. La route menant vers le port de BéniAnsar est elle aussi sous stricte surveillance des policiers qui scrutent les véhicules l’empruntant pour empêcher les Subsahariens et les mineurs non accompagnés d’y accéder. Les migrants sont installés présentement à Salwan».

Jeu d’échecs
Comment peut-on envisager l’avenir de la migration à Nador, à la lumière des derniers événements et de l’évolution de la situation sur place ? «Il y a deux hypothèses : soit nous allons assister à plus de violence de la part des migrants irréguliers, soit il y aura changement de destination opéré par les migrants qui vont opter certainement pour la route passant par l’Algérie qui offre plus d’opportunités de passage via ses côtes. Ce qui servirait les intérêts de l’Algérie qui n’hésitera pas à utiliser cette carte notamment dans ce contexte où les relations diplomatiques entre ce pays et l’UE et particulièrement l’Espagne sont crispées», nous a expliqué notre source. A rappeler que Libé a indiqué dans son édition du 21 juin 2022 (à lire notre article : Le chantage au gaz algérien ne passe pas. L’Espagne propose à l’OTAN une nouvelle conception de sécurité Madrid) que l’Espagne redoute qu’Alger utilise ses ressortissants qui arrivent en petits bateaux à Almería, Murcie, Alicante et les îles Baléares. D’après des médias espagnols, toutes les sources policières s'accordent à dire qu'il y aura désormais un rebond des arrivées des migrants algériens en Espagne, coïncidant avec la détérioration des relations entre les deux pays et l'amélioration des conditions climatiques. Même si certains spécialistes soutiennent que l'Algérie n'a pas de remote contrôle pour téléguider les candidats à l’immigration et le phénomène migratoire dépend de nombreux facteurs complexes, tels que les conditions économiques, le rôle des organisations criminelles. Toujours selon la presse espagnole, 206 migrants algériens ont été secourus dernièrement dans les eaux d'Almería et 113 autres sont arrivés aux Baléares. Pour Madrid, les flux migratoires en provenance de l’Algérie risquent de ne pas s’arrêter, notamment avec l'amélioration des conditions météorologiques. Ces flux risquent de s’amplifier davantage s’il y a laxisme de la part d’Alger au niveau des départs et indifférence face aux demandes de renvoi des migrants algériens irréguliers. Les Algériens sont classés comme le deuxième plus grand contingent de migrants irréguliers après les Marocains. En prévision d'une réactivation de la «route algérienne» de la migration, Madrid prend ses précautions en élargissant la capacité d’accueil des Centres d'assistance temporaire pour étrangers afin d’accueillir à partir d'août lesdits flux. «Pourtant, il faut savoir que rien n’est joué à l’avance puisque le Maroc ne fait pas confiance totale à ses voisins espagnols. Le Maroc ne peut pas non plus abandonner la carte migration. Rabat peut pour l’instanttenter de calmer le jeu mais sans aller plus loin», nuance Omar Naji qui redoute que les derniers actes de violences aient des conséquences fâcheuses sur la situation des migrants cachés dans les forêts à Nador.«Nous craignons que les forces publiques fassent usage d’armes au cas où elles ne se sentent plus en sécurité. Et cela peut engendrer, à notre avis, une flambée de violences dont les conséquences peuvent être fâcheuses. Et c’est pourquoi nous condamnons les violences contre les forces de l’ordre et nous appelons au calme», a-t-il conclu.


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