Les questions forestières en Afrique du Nord et la gouvernance territoriale


PAR MUSTAPHA NAGGAR *
Mardi 23 Février 2010

Les questions forestières en Afrique du Nord et la gouvernance territoriale
Le secteur forestier en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) est en plein état de crise. Les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui ne sont pas nouveaux. En effet, le caractère peu durable de la gestion forestière et les défis actuels du secteur forestier dans cette région d’Afrique du
Nord, ne sont que l’aboutissement d’un long parcours prévisible, pourquoi sommes-nous toujours en attente de changements? Vu le progrès économique enregistrés dans les trois (3) pays considérés et l’ampleur des mutations sociales et socio-écologiques qui se dressent devant nous en ce début du 21ème siècle, quelles leçons tirer de l’histoire de la foresterie en Afrique du Nord?
La principale question légitime consiste à se demander à qui incombe aujourd’hui la responsabilité de prévenir et de gérer les problématiques forestières nord-africaines? L’invocation du principe de responsabilité semble être une réponse systématique face à une perte de l’efficacité de l’action forestière au niveau du terrain traduite par un dysfonctionnement des écosystèmes forestiers (désertification, recul des superficies boisées, perte de biodiversité) et à une érosion des capacités d’action des structures de tutelle des espaces boisés au nom d’un déficit de moyens, de légitimité et/ou de démocratie.
 Pour que la gouvernance soit à la hauteur des enjeux forestiers et démocratiques, il serait nécessaire de forger progressivement et de définir un modèle de gouvernance adapté au contexte des trois pays de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) qui ont beaucoup de traits communs au niveau du climat, de la nature des formations forestières et de l’histoire associée à l’exploitation des ressources forestières. Dans ce sens, on note au moins la présence de deux types d’approches de la gouvernance, l’une la rapprochant davantage des logiques de société civile, l’autre la mettant du côté des acteurs privés à but lucratif. Cette polarisation de base, n’est pas la seule à considérer; les différents recours à la gouvernance ne pensent pas de la même manière le rôle de l’État, ni celui des associations locales de développement ou de la société civile dans le traitement des questions forestières en Afrique du Nord. Le débat sur la part des choses à faire entre la stratégie de repenser le partage de responsabilités et la mise en place des conditions d’exercice d’une compétence, n’est pas toujours réellement engagé en termes de gestion durable des ressources forestières. Le fait de mieux identifier le modèle de la gouvernance à adopter pourrait aider à surmonter les faiblesses identifiées dans les trois pays considérés et ce, à travers un projet régional à réfléchir afin de mettre à profit les expériences vécues et de consolider la capitalisations des acquis en matière de restauration des écosystèmes forestiers communs aux trois pays considérées qui évoluent dans un contexte socio-écologique globalement similaire.
 Depuis l’adoption des programmes forestiers nationaux (PFN) en Afrique du Nord dans le cadre du programme d’action forestier méditerranéen (PAF-MED) comme l’une des principales décisions retenues à l’issue du sommet de la terre tenue en 1992, la conduite de grands projets d’aménagement et de développement des zones forestières et péri-forestières avec l’avènement du 3ème millénaire apparaît exigeante. La rencontre du projet avec le territoire, et plus particulièrement avec les communautés rurales usagères, constitue un moment et une étape clé. En effet, l’annonce de projets forestiers soulève souvent des oppositions critiques voire des oppositions soutenues. L’implication et la participation des divers groupes sociaux aux processus de négociation tout au long de la vie d’un projet depuis l’identification, la mise en œuvre jusqu’à l’achèvement et l’évaluation du projet, est un impératif incontournable.

Présentation globale
de la forêt nord-africaine

Il s’agit là d’un moyen pour faire évoluer ces dynamiques sociales et organisationnelle qui n’arrivent pas toujours à optimiser l’accompagnement attendu des projets forestiers qui pour des objectifs environnementaux et écologiques imposent certaines restrictions en termes d’exploitation et d’accès aux ressources forestières. Dans cette logique, les outils et les pratiques de gouvernance sont à parfaire pour prendre en compte de telles particularités.
La forêt des pays d’Afrique du Nord joue un rôle stratégique tant sur les plans socio-économique et pastoral qu’environnemental. Elle constitue un patrimoine par la diversité des systèmes écologiques et de biodiversité qu’elle intègre et par l’importance de son étendue sur environ 11,3 millions d’hectares (non compris les nappes d’alfa, dont :    
6 millions d’hectares au Maroc (chêne vert, chêne liège, Thuya, cèdre, arganier, cyprès et diverses essences secondaires),
4,8 millions d’hectares en Algérie (chêne liège, chêne vert et pins et diverse essences secondaires…)
et 0,5 million d’hectares en Tunisie (pin d’Alep, chêne liège, chêne zeen, pin maritime et autres).
 En Afrique du Nord, la période précoloniale est caractérisée par l’ordre tribal et la prédominance des diverses formes d’appropriation communautaire des parcours et des forêts. Avec l’épisode colonial, le code forestier franchit la Méditerranée et transforme radicalement la carte foncière et l’exploitation forestière. L’État devient propriétaire et gestionnaire de la quasi-totalité des forêts, à la fois conservateur d’un espace naturel menacé et garant d’une sylviculture productive. En Algérie, le domaine de l’État s’étend sur les terres de parcours, les quelles ont reçu en partie au Maroc et en Tunisie le statut des terres collectives. La pratique des droits d’usage en forêt se réfère à des concepts traditionnels et sur une utilisation collective des ressources sylvo-pastorales. Actuellement, et vu l’ampleur de l’essor démographique, la sédentarisation des usagers, la progression de l’économie marchande, les modes et pratiques d’utilisation des ressources forestières par les ayants droit ont subi de profondes mutations.
 Depuis la promulgation de la loi forestière du début de siècle dernier, les droits d’usage ont été reconnus aux populations riveraines et obéissent à des règles administratives d’exploitation. Confronté aux réalités sociales des populations riveraines des forêts, qui sont disposent généralement de petites unités de production agricole avec des performances de productivité très limitées et dont le système de production repose sur la gratuité des ressources offertes par la forêt, l’application de ces nouvelles règles administratives de régulation des droits d’usage n’a pu être observée que partiellement.

Programmes sectoriels
d’intervention

Globalement, l’analyse des politiques publiques au niveau du secteur forestier en Afrique du Nord tend à concevoir les programmes d’intervention forestiers dans un cadre essentiellement sectoriel. Cette vision sectorielle se réfère au processus historique de division du travail et de spécialisation des activités productrices en secteurs socioprofessionnels qui caractérise les sociétés industrialisées. Parallèlement à cette approche sectorielle s’ajoute une approche territoriale. Cependant, les politiques dites « à incidences spatiales » ont eu, dès leur apparition, plus de peine à se positionner dans ce découpage sectoriel et territorial, notamment en raison du fait que le contour des problèmes forestières publiques auxquelles ces politiques cherchent à apporter une réponse se trouvent souvent en décalage par rapport aux logiques sectorielles et aux territoires institutionnels de leur ancrage. Pour le cas des pays d’Afrique du Nord, ce territoires institutionnels correspondent à des finages ou plutôt des terroirs forestiers définis comme étant un espace de mouvance des hommes et de leur bétail pour l’exercice des droits d’usage dans les espaces boisés (parcours, bois de feu, exploitation des plantes aromatiques et médicinales).
Cette modeste contribution sur la gouvernance territoriale des espaces forestiers, tente de répondre à la question suivante : Comment sous la pression des impératifs de la durabilité, on peut promouvoir l’émergence de nouvelles formes de régulation des rapports entre les sociétés et leur environnement forestier et, plus précisément, des usages sociaux des ressources naturelles? Cette question peut scindée en trois niveaux :
Comment peut-on adapter et réarticuler les logiques sectorielles actuelles ?
 Quels sont les critères de définition des territoires forestiers à des échelles de régulation pertinentes ?
Comment peut-on assurer la redéfinition et la redistribution équitable des droits d’usage et l’accès aux ressources forestières ?
Cette modeste contribution relative à la forêt et les enjeux de la gouvernance, se limitera au traitement de deux questions jugés par nous comme des problématiques essentielles dans les pays d’Afrique du Nord, à  savoir:
 la forêt en rapport avec la gestion intégrée de l’eau,
- la forêt et les droits d’usage :

La forêt et la gestion
intégrée de l’eau
 
L’hydrologie forestière, se consacre à l’étude des différentes interactions entre le cycle de l’eau et les espaces forestiers des bassins versants. Pourtant, en termes d’aménagement du territoire les enjeux sont importants. Les surfaces des espaces forestiers en Afrique du Nord connaissent une évolution régressive inquiétante d’autant plus que depuis les années 80 du siècle dernier, cette région a connu des sécheresses récurrentes ayant amplifié le phénomène de désertification des espaces boisés.
 Dans cette perspective, la problématique d’occupation de l’espace forestier et du régime des eaux, doit être abordé à une échelle plus grande à savoir le bassin versant dans son intégrité spatiale et fonctionnelle.
L’évolution future marquée par la régression des formations forestières et la dédensification des peuplements aura certainement des répercussions négatives sur les disponibilités des ressources en eau et sur leur qualité.
Dans ce sens, la connaissance de la forêt (taux de boisement qui est en moyenne de 3,5% pour les trois pays d’Afrique du Nord, avec une variation 8% au niveau du Maroc, 3% en Tunisie et 2% en Algérie) et de ses règles de gestion sur le cycle de l’eau, apparaît particulièrement privilégiée. La question posée n’est pas simple, car les espaces forestiers ont des fonctions multiples, à la fois marchandes (production ligneuse, plantes aromatiques et médicinales, ressources cynégétiques,) et non marchandes (paysage, accueil du public, valeurs écologiques : préservation de la biodiversité, protection du sol et des eaux).
Les questions touchant à la gestion de l’eau ne sont pas étrangères à la gestion forestière. A ce titre, les travaux de défense et de restauration des sols réalisés par les services forestiers durant la deuxième moitié du siècle dernier, a pour objectif principal la gestion de l’eau et des risques qui lui sont liés. De façon plus modeste mais ancrée dans la culture technique des gestionnaires forestiers, la gestion de l’eau est une des fonctions attendues de la forêt, qui doit être prise en compte dans les plans d’aménagement et de gestion des forêts.
Le débat international sur la gestion durable des forêts en rapport avec les changements climatiques au niveau des pays de l’Afrique du Nord, va dans le sens de repenser les approches d’aménagement forestier pour évoluer à des aménagements forestier concerté. Il s’agit par là d’asseoir un système de partenariat responsable et équitable avec les usagers organisés pour la planification et la mise en œuvre des interventions forestières et leur mise en cohérence avec les activités rurales dans la zone péri-forestière par la promotion d’activités génératrices de revenu et le renforcement des compétences des populations riveraines des forêts. En définitive, une telle démarche permet de valoriser et concilier l’ensemble des fonctions marchandes et non-marchandes de la forêt dans un cadre plus global celui du bassin versant.
 Globalement et bien que les connaissances concernant l’impact positif de la forêt en terme de régulation des eaux sont considérés comme acquises, les entités de recherche ne disposent à la date d’aujourd’hui, d’un référentiel permettant de quantifier, même approximativement, cet impact et de fournir aux gestionnaires de l’eau et des forêts des modèles qui constituent de véritables outils de prise de décision.  Pour les trois pays d’Afrique du Nord, des plans directeurs d’aménagement des bassins versants sont établis sur 20, 14,3 et 3 millions d’hectares respectivement dans le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. La multiplicité des parties prenantes aux intérêts différents et parfois opposés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bassin versant, et le chevauchement des responsabilités administratives des différentes acteurs concernés, rend la mise en œuvre de ces plans difficile.
 La convergence des politiques d’aménagement des bassins versants, de gestion intégrée de l’eau et de gestion durable des forêts ne peut être atteinte que par l’adoption d’un mécanisme de rétribution des services environnementaux pour financer les opérations d’aménagement conséquentes.
Les populations d’amont qui sont appelés à observer des règles contraignantes liées l’accès et à l’exploitation des ressources forestières, peuvent, par exemple, recevoir un dédommagement des populations d’aval qui utilisent et valorisent l’eau à des fins de production agricole intensive. S’agissant de la promotion d’un mécanisme de solidarité entre les populations d’amont et d’aval, dont les termes sont à définir et à négocier dans une logique de protection des ressources naturelle. La charte nationale sur l’environnement en cours d’élaboration et qui fait l’objet d’un débat élargi au niveau régional et national, devrait privilégier cette dimension de solidarité amont-aval dans le sens d’une utilisation responsable et équitable des ressources naturelles.

La forêt et les droits d’usage

Depuis la promulgation des lois forestières en Afrique du Nord, lors de la période coloniale en début du siècle dernier, la forêt a été rattachée au domaine privé de l’Etat. Au terme de cette législation forestière, des droits d’usage qui englobent la pratique du parcours et la collecte du bois de feu, sont dévolues aux populations riveraines dans la limite de la possibilité des forêts. La maîtrise de l’exercice des droits d’usage n’a pu être observée et les ayant n’ont pu être organisés pour s’investir dans une logique de gestion responsable des ressources forestières et pastorales. Les mutations sociales et économiques qu’ont les pays d’Afrique du Nord se sont focalisées sur l’intensification de la production agricole sans trop se préoccuper de préservation des ressources naturelles et de la biodiversité.
L’accroissement galopant la population qui a globalement triplé durant les cinquante dernières années, ont engendré un bouleversement dans la pratique des doits d’usage. L’émergence et la reconnaissance de l’approche participative comme méthode d’intervention dans les zones forestières en se référant à l’agenda 21 (CNUED, Rio 1992), s’impose de plus en plus dans la conduite des projets forestiers. Cette conception a certainement une connotation politique dans la mesure où la participation est liée au processus de démocratisation.
 Pour pallier les menaces qui pèsent sur les ressources forestières en rapport avec l’exercice des droits d’usage, il est à noter, que faute de mieux, la plupart ses populations se rabattent sur la forêt pour tirer un minimum de subsistance en bois de feu pour la cuisson et le chauffage et la pratique pour un élevage extensif basé sur la gratuité d’accès aux ressources pastorales des forêts. Par contre, le détournement de ces droits d’usages à des fins commerciales et spéculatives reste de mise un système d’économie de rente qui ne peut que nuire à la durabilité des ressources forestières.  A ce titre l’exigence de faire évoluer les textes législatifs régissant les droits d’usage dans le sens d’un transfert progressif aux populations locales organisées. L’initiative entreprise au Maroc pour le rachat temporaires des droits d’usage par l’adoption d’un mécanisme réglementaire de gestion et de compensation des mises en défens forestières par l’octroi d’une subvention financière de 250 DH/ha/année de mise en défens dans le cadre d’aménagement concerté des espaces forestiers, s’est montré concluante. Egalement, le système de partenariat engagé avec les coopératives forestières selon un processus de contractualisation prend son chemin dans la perspective de faire bénéficier les usagers des ressources ligneuses et non ligneuses offertes par la forêt.

Améliorer le processus
de gestion durable

Comment mettre à profit les connaissances sur l’évolution des espaces forestiers pour améliorer le processus de gestion durable ? Comment conduire dans la multifonctionnalité des espaces et des activités rurales, la réorganisation de l’espace territorial par les populations à travers les formes de gouvernance, d’intégration régionale et de décentralisation des pouvoirs ? La réponse passe l’amorce d’une approche de territorialisation des activités forestières. C’est à l’échelle du territoire forestier dont la délimitation et le contrôle se traduisent par l’exercice d’un pouvoir, qu’il sera pertinent d’aborder la gouvernance territoriale en tant que processus décisionnel auquel les acteurs participent et qui affecterait dans une large mesure l’organisation des activités de population riveraine des forêts vivant sur et de ce territoire. 0Ces éléments s’inscrivent parfaitement dans le cadre du concept de gestion durable des forêts qui a été développé pour combler les insuffisances de la gestion forestière classique à assurer la durabilité des forêts, notamment en matière de prise en compte de la diversité des usages des ressources forestières et des intérêts divergents des acteurs. La décentralisation se dégage comme une dimension importante de la mise en application de cette conception à l’échelle locale et régionale et ce, pour permettre une gestion responsable et participative des ressources naturelles à l’échelle des territoires forestiers.

*  Ingénieur en chef au Haut commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre
 la désertification 


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