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Les déchirures de la guerre en poésie


Par Yves Mâkodia Mantséka *
Jeudi 6 Mai 2010

Les déchirures de la guerre en poésie
Le «Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville» est un recueil de poésie, un souffle intérieur de l’écrivain congolais Noël Kodia-Ramata (NKR). Il relate les tumultueuses vagues de la guerre de 1997 qui ont ensanglanté, endeuillé et déstabilisé son pays. L’auteur du roman «Les enfants de la guerre» donne une version poétique de ce dernier ouvrage. Dans cette autre face du roman, l’auteur chevauche pégase. Dans un style prosaïque dominant, il mélange les mots et les maux qui chantent et dansent au gré d’une vibrante musicalité. Ces deux éléments illustratifs qui synthétisent le récit, vivant et réel, d’une nation victime de ses exactions et de ses propres turpitudes.
Il écrit : Une voix gonfle dans l’enclave du ciel congolais: «Mbonguila mwana !» (P. 36). « Ce matin nous nous sommes réveillés le cœur dans la main, le ciel dans les épaules et assis dans le brouillard de la surprise » (P. 11). Deux jours passent et s’achèvent dans un climat tragique qui éludait l’espoir des lendemains verdoyants.
La nuit les armes ont crépité, parlé dans un vacarme assourdissant. Et la peur cellulaire s’est manifestée… «Ouenzé accouche petit à petit son inquiétude importée de l'autre côté de Mpila. L'arbre des saisons a fait tomber ses feuilles, ses fleurs et ses fruits. Le jour n'a plus d'axe et à midi le soleil s'est bloqué dans l'engrenage des nuages. Le silence plein d'inquiétude s'est déposé comme une chape d'ozone sur Ouenzé. La vie s'est découverte triste avec ses gencives rosés sur fond de joie et de tristesse. La nuit est tombée dans mes yeux, dans nos yeux de Brazzaville-Nord qui scrutent l'horizon. Des bruits partout. Des bruits qui rappellent le Congo profond dans sa diversité linguistique» (P. 11).
Ces vers libres et explosifs de l’auteur exhument les plaies béantes d’un peuple assiégé par lui-même. Son propre frère de sang. Une population fraternelle engluée dans une guerre intestine. Il nous replonge dans cet univers hideux de la guerre de juin 1997 où « les enfants soldats aux sourires de chanvre » (P. 15) imbus de haine tuent le peuple issu du Sud dans un tourbillon incessant de violence, de viol, de pillage. Et dans l’impunité totale. Enlisés dans la folie criminelle, dans les actes ignobles et ignominieux, ces soldats sous l’empire des chefs ont transformé la nation en carnage sans précédent. Avec des centaines de disparus dans le silence total et des milliers de morts dans tous les recoins.
Au fil des pages ces terribles images reviennent sans cesse au tréfonds du cœur de l’auteur habité par la tristesse et dans l’océan de son esprit emporté par le flux incontrôlé et discontinu des faits poignants, douloureux et inimaginables. Un comble de barbarie qui dénote toute la bêtise humaine au pinacle de la conscience sclérosée. Avec les yeux de l’âme, il retranscrit à l’aide de sa mémoire vive ces péripéties inhumaines tachetées des larmes et de sang dans une vision poétique mélodieuse. Aux sons, aux couleurs et rythmes affolants.
« Un pan du ciel a glissé du coté de Ouenzé,
Mon Ouenzé natal surpris par le réveil du Mal.
Nous avons passé la nuit le sommeil debout
Sur nos yeux, couleur de feu de brousse.
La nuit a chanté la fougue des Kalachnikovs
Qui dansent au rythme des tâ-tâ-tâ » (P. 18).
Dans cette poésie non classique, le fragment d’une douleur rime avec le commencement de malheurs. Des mois s’écoulent dans l’horreur des jours pénibles, invivables où la souffrance d’un peuple et sa douleur profonde deviennent atroces, insoutenables : On assiste, soudain, impuissant au basculement du destin d’une nation unie et libre plongé inexorablement dans le noir aveuglant.
« Nous sommes maintenant sur une terre malade
A la merci de la gangrène tribale
Ni beaux ni laids nous sommes tous Congolais
Dans ce vent couleur noire
Qui a remplacé le vert- jaune-rouge national,
Ce vent noirci par nos malheurs et deuils
Qui siffle en souffrant de froid fragile.
Le Djoué plonge sa honte dans le Congo.
La Bouenza charrie ses cadavres dans le Kouilou.
Le Congo plonge ses cadavres dans l’Atlantique» (P. 40).
Son cri strident intérieur vient réveiller les souvenirs néfastes et remémorer le peuple de ces pages sombres de l’histoire commune déchue. Un écho saillant d’appel aux dirigeants. Et aux affidés extrémistes perdus dans les méandres de la division, de la séparation.
En passant du livre «Les enfants de la guerre» au recueil de poèmes «Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville», NKR retrouve ses anciennes amours. Ces racines nées dans le terreau poétique d’alors : en 1984 lorsqu’il publia de concert avec son ami Léopold Pindy Mamansono dans «Nouvelle génération des poètes Congolais» ses premiers poèmes. A l’époque déjà les thèmes abordés se répercutent comme les échos Loutardiens de «Poèmes de la mer et des normes du temps». Cette passion d’enfance alimentée et ravivée par les écritures des ainés adulés.
Dévorée par elle, il suit allégrement les traces de son mentor. Ce faisant, il dit à l’hommage rendu à son père spirituel Tati Loutard: «j’ai fait aussi comme toi en passant de la poésie au roman avec les Enfants de la guerre». Mais on retrouve aussi dans cet excellent ouvrage poétique, les relents d’autrefois du jeune auteur qu’il était déjà dans l’inspiration et l’imagination. Sur le chemin poétique ouvert par l’éminent  Léeopold Sédar Senghor. Cette imitation ou rapprochement littéraire que l’écrivain Tati Loutard lui avait fait remarquer d’emblée à la suite de la lecture de son premier ébauche poétique «Métamorphoses» dans les années 1970. La versification Ramataienne puise sa source dans cette poésie africaine d’essence ancestrale qui a donné ses eaux littéraires pures aux écrivains antillais d’avant temps dans sa pensée d’inspiration esclavagiste et sa conception libératrice des peuples.
En somme, l’ouvrage de NKR qui s’inscrit dans le sens du commencement des douleurs est une voix d’alarme: «Plus jamais ça». En exprimant ouvertement avec les mots du cœur, il amorce une nouvelle façon de relater les maux qui nous interpellent tous frères de chair et de sang. Quant à l’avenir et au devenir de la nation congolaise. Au regard de cette guerre effroyable.
En nous faisant voyager dans son propre monde éploré, il vient d’écrire un recueil de référence et de qualité qui donnera aux lecteurs témoins de l’événement déplorable une résurgence du passé vécu et une ressouvenance de la guerre connue ; et aux autres un moyen de comprendre et d’appréhender la sombre page de l’histoire à expurger au profit de la paix. Que nous espérons profonde et éternelle.
Comme il le dit fort justement : «Que ces quelques vers sortis des entrailles d’un fils du pays qui a pataugé dans les vases marécageuses de la Bêtise humaine des hommes politiques nous ouvrent d’autres horizons. Des horizons de la Paix et de la Concorde» (P. 46).
« Maintenant, il faut créer ensemble
Pour recoudre l’étouffe de l’amour ensemble
Afin de ne plus guerroyer ensemble,
Pour ne pas que le Congo crevassé de douleurs
Ne se désassemble dans l’oubli du lendemain» (P. 44).

 * Noël Kodia-Ramata «Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville», éditions L’Harmattan, Paris décembre 2009, 46 pages.



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