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Les anti-philo ont la peau dure : C’est faire abstraction de la raison que de chercher à éradiquer l’amour de la sagesse


Hassan Bentaleb
Samedi 24 Février 2018

"Il ne s’agit pas d’annulation, mais de la réorganisation de certaines matières au titre de la première année du baccalauréat". C’est ainsi que le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement et la Société civile, porte-parole du gouvernement, a répondu à la polémique déclenchée suite à la publication le 12 février dernier au Bulletin officiel d’une décision stipulant que les futurs bacheliers professionnels ne passeront pas l’examen national de philosophie.
Intervenant lors d’un point de presse tenu à l’issue de la réunion hebdomadaire du Conseil de gouvernement, Mustapha El Khalfi a annoncé qu’il a été décidé d’organiser les examens de philosophie et d’éducation islamique au cours de la première année du baccalauréat, au lieu de la deuxième année comme c’est le cas pour les matières littéraires.
« Cette déclaration demeure confuse et traduit une véritable ignorance de ce dossier. Le ministre a tenu des propos sans connaître les tenants et les aboutissants de la décision prise», nous a indiqué Lahcen Outsellamt, président de l’Association marocaine des enseignants de philosophie (AMEP). Et de poursuivre : «Ce qui a été dit est faux et nous tenons à ce qui a été publié au BO qui précise que les élèves du baccalauréat professionnel  passeront l’examen d’éduction islamique  et qu’il y aura annulation de  celui de la philo en première et deuxième années du Bac. A ce propos, nous sommes encore dans l’attente d’un communiqué du ministre de l’Education nationale pour avoir une idée claire sur ce qui se passe».
Pour notre source, la suppression de la philosophie du Bac pro est  en contradiction avec ce qui est été mentionné dans le Livre blanc sur la révision des méthodologies pédagogiques dans l'enseignement primaire et secondaire et dans la Charte nationale de l’éducation et de la formation qui ont appelé à la généralisation de l’enseignement de la philosophie à tous les élèves. «Des choix ont été opérés par  les différentes parties concernées par le dossier de l’éducation au Maroc (partis, syndicats, associations…) et toute remise en cause de ces choix doit être opérée par ces mêmes parties. Nous refusons  catégoriquement toute prise de décision unilatérale et c’est pourquoi nous sommes opposés à la dernière décision du ministère de tutelle puisqu’il a pris tout le monde de court. Nous avons été, nous aussi, surpris par cette décision inattendue comme tous les Marocains», nous a-t-elle précisé.  
Une situation des plus difficiles à comprendre par le président de l’AMEP qui s’interroge sur la logique qui l’a sous-tendue. «Que cherche le ministère de l’Education nationale ? Qu’attend-il des bacheliers du Bac pro ? Cherche-t-il à former des individus aptes à produire mais pas à réfléchir ? L’éduction islamique permettra-t-elle de former des hommes capables de réfléchir?», s’est-il demandé. Et de ajouter : «La philo est une matière dont le premier objectif est de cultiver l’esprit critique, l’ouverture sur l’autre, la citoyenneté… Son enseignement est des plus indispensables dans un contexte national et international marqué par la propagation du terrorisme et des idées intégristes…  La suppression de la philosophie est en contradiction avec les orientations officielles de l’Etat … ».
Lahcen Outsellamt estime, en outre, que de bons choix ont été opérés en matière d’enseignement de la philosophie depuis la fin des années 1990. Des choix qualifiés, par lui, de clairs et audacieux. «Il y a eu élargissement de l’offre dans les facultés. La philo est sortie des enceintes des seules universités de Fès et  Rabat. Idem pour la sociologie. Mais, les réalisations restent en deçà des attentes. Les lauréats de ces établissements ne sont pas encore aptes à participer au débat national sur les questions sociétales et sont incapables d’accompagner la dynamique sociale. Les mesures visant la   généralisation de l’enseignement de la philo sont certes bonnes mais encore faut-il déployer davantage d’efforts en la matière», a-t-il conclu.

La réédition d’une mauvaise décision

Les décisions concernant la question de l’enseignement de la philosophie qui viennent d’être prises nous rappellent ce qui s’était passé durant les années 70 et, particulièrement la lutte acharnée que feu  Azeddine Laraki avait menée contre cette matière.
Le pays était alors en pleine ébullition. Les lycées et les universités étaient sous le contrôle d’une gauche révolutionnaire. Sur les campus, on lisait Marx, Descartes et Averroès. Et cela ne plaisait visiblement pas en haut lieu.
Sitôt nommé, Azeddine Laraki, professeur de médecine de son état, s’est lancé dans un chantier qui ressemblait à l’œuvre qu’il voulait léguer aux générations futures : arabiser le système d’enseignement et combattre la philosophie, accusée de nourrir la pensée critique de marxistes athées et subversifs.
Dans son esprit et pour ses collaborateurs ultraconservateurs, l’équation paraissait assez simple : le français était responsable de l'aliénation et de l'acculturation des élites. Il fallait donc revenir à la situation d’avant le Protectorat, en arabisant toutes les institutions étatiques.
A partir de ce constat, à l’école et jusqu’au baccalauréat, toutes les matières, même scientifiques, seront enseignées en arabe. Mais le système, encore fragile, ne suivit pas la course effrénée du ministre. Son département manquait de vision, de moyens matériels et de cadres qualifiés. L’arabisation fut donc un échec cuisant dont les élèves et étudiants continuent de payer le prix jusqu’à aujourd’hui.
Une anecdote, rapportée par l’historien Pierre Vermeren, renseigne cependant sur son cynisme. En rentrant d’une mission officielle à l’étranger, Azeddine Laraki dit à l’un de ses conseillers à propos de la polémique soulevée par l’arabisation de l’enseignement : “Et si on leur mettait un peu de berbère pour les embrouiller un peu plus ?”.
Concernant la philosophie, Azeddine Laraki et ses proches collaborateurs se lancèrent dans une lutte sans merci contre ses manuels jugés subversifs ou contraires à la religion.
En octobre 1981, une note ministérielle remplaça officiellement les cours de philosophie par la filière des études islamiques. Une page fut tournée emportant avec elle les études philosophiques et la sociologie.
Cinq ans plus tard, le ministre de l’Education nationale reçut un cadeau inespéré pour le remercier des « mauvais » services qu’il a rendus à la Nation : il a été nommé Premier ministre, poste qu’il occupera jusqu’en 1992.
Pour Pierre Vermeren, spécialiste de l'histoire du Maroc à l'université Paris-Sorbonne, ce que Azeddine Laraki fit durant son mandat ministériel a conduit à une véritable chute du niveau éducatif des jeunes et encouragé, sur le long terme, une montée en puissance de l'islamisme radical.
H.T


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