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Les aides du Fonds spécial face à un dilemme de ciblage

L’informel, le concept même pose problème Le RAMED fiable, mais à peine …


Hassan Bentaleb
Lundi 30 Mars 2020

Les aides du Fonds spécial face à un dilemme de ciblage
Après moult hésitations, les membres du Comité de veille économique (CVE) se sont résolus à se référer aux registres du Régime d'assistance médicale (RAMED) pour cibler les travailleurs du secteur informel éligibles aux aides du Fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie du Covid-19. En effet, ils ont eu du mal à les cibler en l’absence de données statistiques et en raison du manque de critères clairs pour la sélection des bénéficiaires, ont rapporté des sources présentées par le site Hespress comme proches du gouvernement. Pour autant, le travail n'est pas terminé vu que le ciblage des personnes physiques et des ménages touchés par la crise due au coronavirus pose encore moult questions.
D’abord, que signifie le concept de travailleurs opérant dans l’informel ? Hicham Attouch, professeur d’économie à l’université Mohammed V de Rabat, estime que la question du ciblage de ces travailleurs reste délicate et doit être approchée de manière nuancée d’autant qu’il n’y a pas de définition universelle unanimement admise, ce qui rend difficile toute action qui chercherait à délimiter la population concernée.  «Certains tentent de définir l’économie informelle à travers la comptabilité nationale en considérant comme informelle toute activité qui échappe à cette comptabilité. D’autres tentent de la définir via les déclarations auprès du fisc ou via les affiliations aux organismes de retraite. Enfin, il y a ceux qui mettent en avant l’approche « pauvreté ». Selon eux, une personne pauvre renvoie à un individu qui n’a pas d’emploi stable », nous a-t-il indiqué.
Rajaa Mejjati Alami, économiste et sociologue, considère, de son côté, que l’économie informelle recouvre des réalités très diverses du marché de l’emploi, à savoir les emplois dans les petites entreprises individuelles, les emplois précaires des grandes entreprises, les formes de production souterraines (qui se cachent pour échapper délibérément à la réglementation), l’économie illégale (contrebande, narcotrafic, contrefaçon) et les activités exercées par les ménages.
Pourtant, elle estime que s’il n’existe pas de définition claire à propos de cette notion et si les débats ont opposé pendant longtemps sociologues et économistes sur ce qui distingue le formel de l’informel, un consensus se dégage sur un certain nombre de traits dominants des activités du secteur informel : leur faible niveau d’organisation, leur fonctionnement à petite échelle et, de manière spécifique, une faible division entre le travail et le capital, la faiblesse, voire la quasi-absence du salariat, des relations de travail fondées surtout sur l’emploi occasionnel, familial ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels.
Rajaa Mejjati Alami ajoute, en outre, que le marché informel est considéré comme un recours pour se procurer du travail hors du circuit officiel pour les migrants, les rejetés du système scolaire, les femmes et les enfants. «Ce qui le spécifie, c’est l'emploi indépendant, des formations sur le tas, des salaires irréguliers, une absence de protection sociale et de législation du travail», précise-t-elle.
Pour Hicham Attouch, la question du ciblage s’impose également même pour les travailleurs de l’économie formelle.   En fait, si la CNSS a estimé, par le biais de son directeur général par intérim, Abdellatif Mortaki, à 430.000 l’effectif des salariés affiliés qui devraient bénéficier de l’appui du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Coronavirus, pour un coût global d’environ 4 milliards de DH, nombreux seront donc les salariés du secteur formel qui resteront sur le carreau. « Les 430.000 salariés en question sont, en effet, ceux qui sont régulièrement déclarés. Mais, qu’en est-il de ceux qui n'ont été déclarés qu’épisodiquement, de ceux qui ne l'ont même pas été  ou de ceux qui ont été recrutés récemment et qui ne  seront déclarés au plus tard que dans trois mois comme stipulé par la loi et les règlements et qui seront les premiers licenciés en cas de crise?», s’interroge-t-il.
Autre question et non des moindres: les données du RAMED sont-elles fiables ? «Aujourd’hui, tous les programmes sociaux se basent sur ces données comme condition d’éligibilité. Ainsi pour bénéficier du programme d’aide aux veuves, l’intéressée doit avoir une carte RAMED. Idem pour les programmes "Un million de cartables" ou  Tayssir. En d’autres termes, le RAMED est la seule banque de données qui existe depuis 10 ans et qui dispose d’assez d’informations (nom, prénom, adresse, situation professionnelle…). Ceci d’autant plus que la plupart des salariés non déclarés disposent de la carte RAMED», nous a indiqué un élu casablancais sous le sceau de l’anonymat. Et d’ajouter : «Ce qu’il faut plutôt, c’est une mise à jour de ces données et de la manière avec laquelle le système a fonctionné jusqu’à présent».
Cet élu casablancais pense, pourtant, que plusieurs questions pratiques vont sûrement entraver l’accès de nombre de nos concitoyens à l’appui du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus même après recours aux données du RAMED. «C’est le cas, à titre d’exemple, de ceux qui viennent de recevoir leur carte RAMED alors que selon les conditions requises par le CVE elle devrait être valide au 31 décembre 2019. C’est le cas également de ceux dont les cartes RAMED ont été bloquées par l’ANAM en raison du fait qu’ils bénéficient de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). En fait, plusieurs noms continuent à figurer sur la liste de la CNSS alors qu’ils ne bénéficient plus des prestations de l’AMO depuis plusieurs années, et ce pour diverses raisons. Une situation des plus complexes, d’autant plus que les services de la CNSS refusent catégoriquement de fournir à ces futurs titulaires de la carte RAMED des attestations certifiant qu’ils ne bénéficient pas de l’AMO. Et enfin, quelle réponse le CVE a-t-il apportée aux travailleurs migrants en séjour administratif régulier, mais non déclarés auprès de la CNSS et qui ne disposent pas non plus de la carte RAMED. Il y a tellement de questions qui restent en suspens, mais l’essentiel, c’est que l’Etat a franchi le pas sans trop tarder à réfléchir sur les tenants et aboutissants de l’aide à fournir à ceux qui sont dans la nécessité».
Hicham Attouch a un autre avis. Selon lui, le RAMED est une source non fiable puisqu’il n’est pas basé sur des données scientifiques, mais plutôt sur des déclarations des bénéficiaires et des autorités locales.  Ceci d’autant plus qu'il ne concerne pas automatiquement les travailleurs. Un individu inactif peut, en effet, être titulaire d’une carte RAMED.
Les données des Chambres de commerce, de l'industrie et de services, ne trouvent pas non plus grâce aux yeux de notre source puisqu’elles ne recouvrent que ce qui est formel et précisément les entreprises qui y sont affilées. «Même avec ces deux sources, le ciblage restera incomplet puisque l’économie informelle est un phénomène qui n'est pas statique. Elle est dynamique et évolutive, et du coup, le nombre des travailleurs touchés par la crise n’est pas le même avant l'apparition du Covid-19 et il ne sera pas le même après la propagation de celui-ci puisqu’il augmentera sûrement», nous a-t-elle expliqué.
Les deux organismes qui détiennent des informations fiables restent, selon notre professeur d’économie, le HCP et le ministère de l’Intérieur. «Il faut se référer aux données de l’enquête sur l’emploi informel et à celles sur la pauvreté réalisées par le HCP et à la carte de la pauvreté réalisée par le ministère de l’Intérieur et se baser sur les estimations établies par les deux études», nous a-t-il indiqué. Et de conclure : «Le ciblage ne doit pas viser l’économie informelle mais la pauvreté. En effet et avec la fermeture des frontières et le confinement, il ne faut pas parler de ceux qui gagnent leur vie, mais plutôt des pauvres».


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