Le tournant “néo-réactionnaire”


Par Brahim Azeroual *
Samedi 25 Janvier 2020

Les transformations géopolitiques, médiatiques et intellectuelles qui se sont succédé depuis les années 80 ont profondément changé la configuration intellectuelle française. Les observateurs de la vie intellectuelle française mettent en avant l’émergence d’une sensibilité intellectuelle marquée par la problématisation voire la réfutation du logiciel intellectuel, façonné par l’intelligentsia française après la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce sens, Daniel Lindenberg éclaire dans « Le rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires », le passage d’une élite progressiste (Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff, etc), façonnée par la contre-culture post-68 et éprise jadis par la libéralisation et la confrontation du totalitarisme et du racisme, à des positions sociopolitiques conservatrices.  
En fait, la décomposition interne de la gauche classique, les dangers de la mondialisation marchande et l’épuisement des idéologies universalistes ont largement contribué à la cristallisation  du « néo-réactionnisme » après la parution de l’opus dit «prémonitoire» et « prophétique » de Lindenberg. À cet égard, l’auteur de « L’identité malheureuse » a été saisi par le patriotisme de compassion au moment où le combat pour la révolution et contre le totalitarisme s’est avéré contre-productif.
« J’étais, au départ, disait Finkielkraut, un disciple éperdu de l’universalisme et de l’idéalisme des Lumières. Deux auteurs m’ont aidé à redescendre sur terre et à me réconcilier avec mon appartenance : Milan Kundera et Charles Péguy. Pour autant, je n’ai rien à renier et je perçois aujourd’hui mes changements comme des approfondissements. »
Force est de constater que les « néo-réactionnaires » ne forment pas un bloc monolithique. Des divergences profondes opposent parfois les leaders idéologico-intellectuels de cette sensibilité politico-culturelle.
 Les contradicteurs des « néo-réactionnaires »  dénoncent   les positions réfractaires, iconoclastes, de certains penseurs et intellectuels « d’arrière-garde »,  en déphasage avec les paradigmes intellectuels dominants.
 En fait, les « néo-réactionnaires » déconstruisent le paradigme intellectuel en vogue, passent au crible les pensées institutionnalisées et contestent, vigoureusement, les tendances intellectuelles et les orientations méthodologiques relativistes cristallisées par les sciences sociales et humaines.
 Soutenus par les désabusés, les désillusionnés et les contestataires de « la mondialisation heureuse », ils battent en brèche les soubresauts de la culture politique et sociale dominante.
Il est à noter que le déclin est la thématique centrale autour de laquelle s’articulent les interventions intellectuelles, médiatiques des « néo-réactionnaires». Ainsi, ils mettent en avant des idées réfractaires, contestataires du consensus politico-intellectuel établi depuis la conversion de la gauche au libéralisme économique. Les plus zélés contestent  l’immigrationnisme au nom d’une migration contrôlée, le vivre-ensemble au nom d’une assimilation réfléchie et intériorisée, l’héritage de Mai 68 au nom de la valorisation des valeurs de la famille et de la discipline, le relativisme des sciences sociales au nom d’un rationalisme serein, le multiculturalisme au nom d’une identité française assumée, la laïcité adjectivée (ouverte, positive, apaisée, plurielle, raisonnable, accueillante, accommodante, inclusive ....) au nom d’une laïcité fermée. Pour eux, l’hospitalité naïve et le renoncement aux paradigmes de la civilisation française ont fortement contribué à la désagrégation et au délitement civilisationnels actuels. Dès lors, ils dénoncent le traditionalisme exogène qui ronge le territoire républicain en installant les bases du communautarisme et du confessionnalisme.
Outre la contestation de l’immigrationnisme, les « néo-réactionnaires » dénoncent les retombées socioéconomiques du libéralisme mondialisé. La France périphérique est touchée de plus en plus par la précarité, la paupérisation et les fractures sociales et sociétales.  Tandis que «la France périphérique » est confrontée, selon eux, à la précarité économique et sociale, la France urbaine est confrontée, en raison de la mondialisation culturelle et du communautarisme galopant, à la dépossession identitaire voire à la déculturation systématique.
Pour approfondir le diagnostic, ils dénoncent aussi bien le relativisme épistémologique et éthique que le laxisme institutionnel et politique. Le relativisme culturel est fortement dénoncé puisqu’il sert de base épistémologique et axiologique à la relativisation cognitive, éthique et au laxisme social prégnant.
(Le travail de déconstruction, lit-on chez Zemmour, opéré depuis quarante ans n’a laissé que des ruines. Il n’y a pas d’origine de la France, puisque la France n’existe pas. On veut défaire par l’Histoire ce qui a été fait par l’Histoire : la France. L’Histoire est désormais détournée, occultée, ignorée, néantisée) .
Pétris de relativisme et inconscients des enjeux civilsationnels des transformations en cours (l’immigration massive, les changements démographiques, la déculturation et les effets négatifs de la mondialisation culturelle, la communautarisation des banlieues, etc), les élites favorisent, selon les nouveaux réactionnaires, le déclin, la dépossession symbolique  et amplifient la « mélancolie française ». Tandis que la gauche classique et les élites se focalisent sur la République, sur la conception juridique de loi de 1905 et sur les droits de l’Homme, les « néo-réactionnaires » mettent l’accent, en revanche, sur la France, sur la conception politico-civilisationnelle de la loi de 1905 et sur l’enracinement historique de la France.

 * Agadir


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