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Youssef Belal, professeur de sociologie politique, a enseigné à l'Université Mohammed V
de Rabat. Il est actuellement visiting scholar à l'Université de Columbia. Dans son ouvrage "Le cheikh et le calife: Sociologie religieuse de l'islam politique au Maroc”,
il s'interroge sur la place
du religieux islamique dans
la société civile marocaine et apporte des éléments de réponse à travers une passionnante enquête de terrain menée
auprès des deux principaux mouvements islamiques
marocains. Acteur engagé
du Printemps arabe, et issu
lui-même de la gauche
démocratique et séculière
marocaine, Youssef Belal démontre, à travers une
sociologie religieuse attentive aux formes pratiques de la mobilisation, que l'islam
n'est pas incompatible
avec la démocratie, et que
l'islam politique tel qu'il s'est développé au Maroc, qu'il soit celui de la monarchie ou celui de certains mouvements dits islamistes, participe pleinement de la rationalisation
et de la sécularisation
de la société de ce pays.
Libé: Pourquoi un livre sur le cheikh ? La Jamaâ a-t-elle à ce point une influence sur le champ politique marocain ou est-ce une composante parmi d'autres ?
Youssef Belal: Le livre ne porte pas sur le cheikh Yassine, je consacre à son mouvement un chapitre sur cinq. Le «cheikh» doit être compris comme une métaphore qui fait référence à l'autorité religieuse et aux hommes de religion. La Jamaâ est une composante de la société et de l'espace public comme les autres mouvements. C'est son originalité comme expression de l'islam soufi marocain qui m'intéresse.
La Jamaâ qui cherche à être un acteur politique utilise des méthodes irrationnelles comme la vision pour relancer son projet sociétal. Est-ce que c'est une spécificité des islamistes marocains ou seulement est-ce lié au passé soufiste de son guide ?
C'est là une originalité de la Jamaâ qui est avant tout une confrérie soufie. Il ne faut pas oublier que les visions sont une composante de la culture et de l'histoire islamiques, particulièrement dans les pratiques soufies. On retrouve cette dimension soufie chez Hassan al-Banna au moment où il a créé les Frères Musulmans mais cette dimension a été très vite écartée par la composante salafite. On trouve également cette dimension dans des confréries turques agissant dans l'espace public.
Je ne qualifierai pas ces pratiques d'irrationnelles mais relevant d'une autre forme de rationalité. N'oublions pas que le mouvement national a utilisé les ru'ya (visions) de Mohammed Ben Youssef sur la lune et que Hassan II dit avoir eu l'idée de la Marche Verte au cours d’un rêve.
Comment expliquez-vous cette évolution de la Jamaâ de Yassine: d'un projet de gouverner avec la monarchie, elle est passée à un autre de confrontation ?
Ce changement s'explique en partie par le fait que Hassan II n'a pas pris au sérieux le projet de Yassine. Le choix de l'opposition frontale à Hassan II par Yassine lui a permis de forger son charisme et de faire figure de wali/saint qui a surmonté des épreuves terribles. Il faut aussi noter l'influence de Khomeyni et de la Révolution iranienne de 1979 car le concept de Vilayat al faqih est très proche du rôle joué par l'homme de da'wa et le wali/saint chez Yassine à la fin des années 1970. Il faut noter que ce type d'autorité ne peut s'exercer qu'avec une figure charismatique et au sein du mouvement. Personne ne sera en mesure de supplanter l'autorité religieuse de Yassine. Les écrits de Yassine de la fin des années 1990 prennent de fait leur distance par rapport au modèle iranien et font plus référence à une démocratie représentative avec un rôle moral dévolu aux hommes de la da'wa.
Est-ce que la lettre de Benkirane, l'actuel chef de gouvernent et le patron du PJD, en janvier 1982, adressée à Motiî, marque la rupture avec la Chabiba et l'islam radical au nom de la Jamaâ Islamia? Est-ce qu'on pourra considérer cela comme la naissance du PJD et le travail dans la légalité ou fallait-il d'autres étapes ?
On peut dire que c'est le tournant décisif qui marque la rupture avec le choix de la violence et le manque de transparence de Motiî qui a cherché à structurer le mouvement autour de sa personne. C'est à partir de là que Benkirane et ses camarades agissent dans un cadre légal, optent pour une direction collégiale et s'engagent dans la da'wa (prédication). Le deuxième tournant se situe dans les années 1990 lorsqu'ils décident de faire de la politique la priorité de leur action en rejoignant le MPDC d’Abdelkrim Khatib. On assiste alors à une une différence de plus en plus nette entre le MUR qui se consacre à la da'wa et le PJD qui se lance dans l'action politique partisane. C'est cela qui constitue l'originalité des mouvements islamiques par rapport aux autres partis politiques.
Dans votre livre, on remarque beaucoup de comparaisons entre la religion musulmane et la religion catholique. Pourquoi ce choix différent? La majorité des livres qui traitent de l'islam politique n'analysent pas le côté religieux et ne comparent pas les deux religions. Est-ce que c'est l'influence de l'école anglo-saxonne de sociologie?
L'idée même de l'ouvrage partait de ce paradoxe que les «experts» étudiaient des mouvements «islamistes» sans jamais prendre en compte la dimension religieuse comme si ces mouvements étaient une pathologie de l'islam. Il n'y a pas d'un côté le «vrai» islam, fait pour plaire à l'Occident et de l'autre un «islam» des méchants. En réalité, ce que je montre dans ce livre, c'est que les mouvements islamiques sont une composante de l'islam et qu'ils doivent être étudiés d'abord en tant que mouvements religieux en adoptant une approche de sociologie religieuse. Il est vrai que cette approche n'existe pas en France (qui s'explique en partie par une double hostilité à l'égard de la religion en général et de l'islam en particulier) et que les Anglo-Saxons sont plus réceptifs à cette méthodologie. Il s'agit donc de comprendre que l'on peut étudier les mouvements islamiques comme les autres mouvements religieux en Occident et dans le monde, sans les enfermer dans une diabolisation.
Est-ce que vous partagez la thèse de Bernard Lewis dans son dernier livre «La politique et la foi », à savoir qu'il y a une grande différence entre l'islam et les religions catholique et juive? Dans l'histoire des musulmans, on ne connaît pas cette séparation des pouvoirs puisque le Prophète est en même temps un chef politique et militaire. Etes-vous proche de la thèse dominante en Occident surtout en France, c’est-à-dire que l'islam, comme les autres religions, doit séparer les deux pouvoirs?
Les écrits de Bernard Lewis comme ceux des autres orientalistes et néo-orientalistes sont très pauvres sur le plan conceptuel, sans parler du discours hégémonique «orientalisant l'Oriental» pour reprendre la formule d'Edward Saïd et sa magistrale critique de l'orientalisme. Plus concrètement, Bernard Lewis ne fait que recycler la thèse qu'il a défendue dans The political language of islam et dans laquelle il avance que l'islam ne distingue pas entre le religieux et le politique. Il avance des généralisations historiques et géographiques alors qu'il y a, en réalité, des expériences très diverses dans le temps et l'espace dans le monde musulman.
En réalité, le problème ne se pose pas en ces termes et cela nécessite une réflexion plus subtile et plus profonde que celle de Bernard Lewis. Il suffit de revenir à une distinction de base structurant la Chari'a en islam qui distingue précisément entre al-'ibadat et les mu'amallat. Les Oulémas et même les mouvements islamiques contemporains comme le PJD font très clairement la distinction entre la sphère du politique et celle des pratiques religieuses. La sphère du politique relève des mu'amallat et est l'objet de discussions, de débats et de contradictions. La réflexion sur les maqasid Al Chari'a est également un élément important dans l'histoire du Fiqh qui permet de défendre de grands principes au niveau politique.
Vous avez posé la question: le PDJ est-il un parti comme les autres ? Si oui, que reste-t-il de son projet religieux? Qu’en pensez-vous?
Le PJD est un parti comme les autres dans le sens où son espace n'est pas celui de la da'wa. On se réunit et on agit au sein du PJD comme on agit dans les autres partis politiques, avec des militants, des élus au niveau des communes, du Parlement et depuis le 25 novembre en tant que ministres au gouvernement. Les membres du PJD sont là pour agir, résoudre les problèmes et gérer les affaires du pays; ils ne sont pas là pour faire la da'wa et la ma'widha qui est l'objet de la Harkat al tawhid wa al Islah. Maintenant, il faut bien voir que leur spécificité par rapport aux autres partis politiques se situe dans l'éthique religieuse très prononcée. Il ne faut pas que les dirigeants du PJD soient à l'origine des hommes de da'wa et de fiqh et que leur empreinte politique repose sur cette dimension d'éthique religieuse. Cela dit, l'exercice du pouvoir va aussi mettre à l'épreuve cette éthique mais il est encore trop tôt pour juger de cet aspect.
Au lendemain de la révolution iranienne, Hassan II a-t-il anticipé l'action des mouvements politico-religieux au Maroc? Avec l'accès du PJD au gouvernement en 2012 peut-on dire que la monarchie a réussi son pari d'intégrer les islamistes dans le champ politique national?
Hassan II a effectivement anticipé l'émergence des mouvements, mais cela a juste permis à la monarchie de gagner du temps. Ce sont les fondateurs du PJD qui ont fait très tôt le choix de la participation aux institutions. Ils arrivent au gouvernement avec une forte légitimité électorale acquise contre le parti soutenu par le palais, c'est-à-dire le PAM. Dans le contexte de la contestation de l'après 20 février, le vote PJD a été aussi un vote contre l'autoritarisme monarchique.
À part quelques attentats, le Maroc a été épargné par la violence des mouvements islamistes. Pourrait-on considérer cela comme une réussite de la politique de l'Etat marocain de gérer ces mouvements ?
Il ne faut pas répéter le préjugé occidental sur les mouvements islamiques en les associant à la violence. Ces mouvements au Maroc ou dans les autres pays musulmans dans leur très grande majorité sont non-violents. La monarchie et ses conseillers ont plutôt commis des erreurs qui auraient pu être fatales pour le Maroc, par exemple en cherchant à rendre le PJD responsable des attentats du 16 mai 2003 ou en créant le PAM pour combattre le PJD.
de Rabat. Il est actuellement visiting scholar à l'Université de Columbia. Dans son ouvrage "Le cheikh et le calife: Sociologie religieuse de l'islam politique au Maroc”,
il s'interroge sur la place
du religieux islamique dans
la société civile marocaine et apporte des éléments de réponse à travers une passionnante enquête de terrain menée
auprès des deux principaux mouvements islamiques
marocains. Acteur engagé
du Printemps arabe, et issu
lui-même de la gauche
démocratique et séculière
marocaine, Youssef Belal démontre, à travers une
sociologie religieuse attentive aux formes pratiques de la mobilisation, que l'islam
n'est pas incompatible
avec la démocratie, et que
l'islam politique tel qu'il s'est développé au Maroc, qu'il soit celui de la monarchie ou celui de certains mouvements dits islamistes, participe pleinement de la rationalisation
et de la sécularisation
de la société de ce pays.
Libé: Pourquoi un livre sur le cheikh ? La Jamaâ a-t-elle à ce point une influence sur le champ politique marocain ou est-ce une composante parmi d'autres ?
Youssef Belal: Le livre ne porte pas sur le cheikh Yassine, je consacre à son mouvement un chapitre sur cinq. Le «cheikh» doit être compris comme une métaphore qui fait référence à l'autorité religieuse et aux hommes de religion. La Jamaâ est une composante de la société et de l'espace public comme les autres mouvements. C'est son originalité comme expression de l'islam soufi marocain qui m'intéresse.
La Jamaâ qui cherche à être un acteur politique utilise des méthodes irrationnelles comme la vision pour relancer son projet sociétal. Est-ce que c'est une spécificité des islamistes marocains ou seulement est-ce lié au passé soufiste de son guide ?
C'est là une originalité de la Jamaâ qui est avant tout une confrérie soufie. Il ne faut pas oublier que les visions sont une composante de la culture et de l'histoire islamiques, particulièrement dans les pratiques soufies. On retrouve cette dimension soufie chez Hassan al-Banna au moment où il a créé les Frères Musulmans mais cette dimension a été très vite écartée par la composante salafite. On trouve également cette dimension dans des confréries turques agissant dans l'espace public.
Je ne qualifierai pas ces pratiques d'irrationnelles mais relevant d'une autre forme de rationalité. N'oublions pas que le mouvement national a utilisé les ru'ya (visions) de Mohammed Ben Youssef sur la lune et que Hassan II dit avoir eu l'idée de la Marche Verte au cours d’un rêve.
Comment expliquez-vous cette évolution de la Jamaâ de Yassine: d'un projet de gouverner avec la monarchie, elle est passée à un autre de confrontation ?
Ce changement s'explique en partie par le fait que Hassan II n'a pas pris au sérieux le projet de Yassine. Le choix de l'opposition frontale à Hassan II par Yassine lui a permis de forger son charisme et de faire figure de wali/saint qui a surmonté des épreuves terribles. Il faut aussi noter l'influence de Khomeyni et de la Révolution iranienne de 1979 car le concept de Vilayat al faqih est très proche du rôle joué par l'homme de da'wa et le wali/saint chez Yassine à la fin des années 1970. Il faut noter que ce type d'autorité ne peut s'exercer qu'avec une figure charismatique et au sein du mouvement. Personne ne sera en mesure de supplanter l'autorité religieuse de Yassine. Les écrits de Yassine de la fin des années 1990 prennent de fait leur distance par rapport au modèle iranien et font plus référence à une démocratie représentative avec un rôle moral dévolu aux hommes de la da'wa.
Est-ce que la lettre de Benkirane, l'actuel chef de gouvernent et le patron du PJD, en janvier 1982, adressée à Motiî, marque la rupture avec la Chabiba et l'islam radical au nom de la Jamaâ Islamia? Est-ce qu'on pourra considérer cela comme la naissance du PJD et le travail dans la légalité ou fallait-il d'autres étapes ?
On peut dire que c'est le tournant décisif qui marque la rupture avec le choix de la violence et le manque de transparence de Motiî qui a cherché à structurer le mouvement autour de sa personne. C'est à partir de là que Benkirane et ses camarades agissent dans un cadre légal, optent pour une direction collégiale et s'engagent dans la da'wa (prédication). Le deuxième tournant se situe dans les années 1990 lorsqu'ils décident de faire de la politique la priorité de leur action en rejoignant le MPDC d’Abdelkrim Khatib. On assiste alors à une une différence de plus en plus nette entre le MUR qui se consacre à la da'wa et le PJD qui se lance dans l'action politique partisane. C'est cela qui constitue l'originalité des mouvements islamiques par rapport aux autres partis politiques.
Dans votre livre, on remarque beaucoup de comparaisons entre la religion musulmane et la religion catholique. Pourquoi ce choix différent? La majorité des livres qui traitent de l'islam politique n'analysent pas le côté religieux et ne comparent pas les deux religions. Est-ce que c'est l'influence de l'école anglo-saxonne de sociologie?
L'idée même de l'ouvrage partait de ce paradoxe que les «experts» étudiaient des mouvements «islamistes» sans jamais prendre en compte la dimension religieuse comme si ces mouvements étaient une pathologie de l'islam. Il n'y a pas d'un côté le «vrai» islam, fait pour plaire à l'Occident et de l'autre un «islam» des méchants. En réalité, ce que je montre dans ce livre, c'est que les mouvements islamiques sont une composante de l'islam et qu'ils doivent être étudiés d'abord en tant que mouvements religieux en adoptant une approche de sociologie religieuse. Il est vrai que cette approche n'existe pas en France (qui s'explique en partie par une double hostilité à l'égard de la religion en général et de l'islam en particulier) et que les Anglo-Saxons sont plus réceptifs à cette méthodologie. Il s'agit donc de comprendre que l'on peut étudier les mouvements islamiques comme les autres mouvements religieux en Occident et dans le monde, sans les enfermer dans une diabolisation.
Est-ce que vous partagez la thèse de Bernard Lewis dans son dernier livre «La politique et la foi », à savoir qu'il y a une grande différence entre l'islam et les religions catholique et juive? Dans l'histoire des musulmans, on ne connaît pas cette séparation des pouvoirs puisque le Prophète est en même temps un chef politique et militaire. Etes-vous proche de la thèse dominante en Occident surtout en France, c’est-à-dire que l'islam, comme les autres religions, doit séparer les deux pouvoirs?
Les écrits de Bernard Lewis comme ceux des autres orientalistes et néo-orientalistes sont très pauvres sur le plan conceptuel, sans parler du discours hégémonique «orientalisant l'Oriental» pour reprendre la formule d'Edward Saïd et sa magistrale critique de l'orientalisme. Plus concrètement, Bernard Lewis ne fait que recycler la thèse qu'il a défendue dans The political language of islam et dans laquelle il avance que l'islam ne distingue pas entre le religieux et le politique. Il avance des généralisations historiques et géographiques alors qu'il y a, en réalité, des expériences très diverses dans le temps et l'espace dans le monde musulman.
En réalité, le problème ne se pose pas en ces termes et cela nécessite une réflexion plus subtile et plus profonde que celle de Bernard Lewis. Il suffit de revenir à une distinction de base structurant la Chari'a en islam qui distingue précisément entre al-'ibadat et les mu'amallat. Les Oulémas et même les mouvements islamiques contemporains comme le PJD font très clairement la distinction entre la sphère du politique et celle des pratiques religieuses. La sphère du politique relève des mu'amallat et est l'objet de discussions, de débats et de contradictions. La réflexion sur les maqasid Al Chari'a est également un élément important dans l'histoire du Fiqh qui permet de défendre de grands principes au niveau politique.
Vous avez posé la question: le PDJ est-il un parti comme les autres ? Si oui, que reste-t-il de son projet religieux? Qu’en pensez-vous?
Le PJD est un parti comme les autres dans le sens où son espace n'est pas celui de la da'wa. On se réunit et on agit au sein du PJD comme on agit dans les autres partis politiques, avec des militants, des élus au niveau des communes, du Parlement et depuis le 25 novembre en tant que ministres au gouvernement. Les membres du PJD sont là pour agir, résoudre les problèmes et gérer les affaires du pays; ils ne sont pas là pour faire la da'wa et la ma'widha qui est l'objet de la Harkat al tawhid wa al Islah. Maintenant, il faut bien voir que leur spécificité par rapport aux autres partis politiques se situe dans l'éthique religieuse très prononcée. Il ne faut pas que les dirigeants du PJD soient à l'origine des hommes de da'wa et de fiqh et que leur empreinte politique repose sur cette dimension d'éthique religieuse. Cela dit, l'exercice du pouvoir va aussi mettre à l'épreuve cette éthique mais il est encore trop tôt pour juger de cet aspect.
Au lendemain de la révolution iranienne, Hassan II a-t-il anticipé l'action des mouvements politico-religieux au Maroc? Avec l'accès du PJD au gouvernement en 2012 peut-on dire que la monarchie a réussi son pari d'intégrer les islamistes dans le champ politique national?
Hassan II a effectivement anticipé l'émergence des mouvements, mais cela a juste permis à la monarchie de gagner du temps. Ce sont les fondateurs du PJD qui ont fait très tôt le choix de la participation aux institutions. Ils arrivent au gouvernement avec une forte légitimité électorale acquise contre le parti soutenu par le palais, c'est-à-dire le PAM. Dans le contexte de la contestation de l'après 20 février, le vote PJD a été aussi un vote contre l'autoritarisme monarchique.
À part quelques attentats, le Maroc a été épargné par la violence des mouvements islamistes. Pourrait-on considérer cela comme une réussite de la politique de l'Etat marocain de gérer ces mouvements ?
Il ne faut pas répéter le préjugé occidental sur les mouvements islamiques en les associant à la violence. Ces mouvements au Maroc ou dans les autres pays musulmans dans leur très grande majorité sont non-violents. La monarchie et ses conseillers ont plutôt commis des erreurs qui auraient pu être fatales pour le Maroc, par exemple en cherchant à rendre le PJD responsable des attentats du 16 mai 2003 ou en créant le PAM pour combattre le PJD.