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Le pillage du sable bat le plein

Le Littoral en fait les frais


Chady Chaabi
Lundi 27 Novembre 2017

Les plages de sable aux reflets dorés, nous n'y prêtons plus guère attention, une fois nos parenthèses estivales refermées, de retour à notre quotidien et ses préoccupations. Mais ce sable que l’on pense n’être voué qu’à se dérober sous nos pieds, n’est pas aussi banal qu’il n’y paraît. 
Le sable est un héros invisible. Discrètement, il s’est immiscé dans les moindres recoins de notre quotidien. Fondu et transformé en verre, il est aussi la source du dioxyde de silicium, un composant minéral présent dans la fabrication de notre papier, dentifrice ou autres produits ménagers. C’est aussi la source de l’uranium, le titan ou le lithium. Tirés du sable, ces minéraux sont le bras armé de notre mode de vie ultraconnecté. Ils sont la base des microprocesseurs sans lesquels les ordinateurs et nos téléphones ne pourraient être fabriqués. C’est un peu comme l’air qu’on respire, on n’y pense pas mais on ne peut pas vivre sans. Preuve en est, après l’air et l’eau, le sable est la ressource naturelle la plus utilisée sur terre et à des proportions vertigineuses. On parle de 15 milliards de tonnes exploitées annuellement. 
Et pour cause, le sable est une particule élémentaire dans les fondements de notre développement moderne. Il a façonné les contours de notre paysage urbain. Depuis plusieurs décades, la combinaison du sable et du ciment a donné naissance au béton armé. Aujourd’hui, un tiers des constructions planétaires est constitué de ce matériau dominant qui est lui-même fait aux deux tiers de sable. Comme l’humain aura toujours besoin d’immeubles et de maisons, de routes ou de ponts, la demande en sable sera toujours en constante augmentation et son commerce en pleine expansion. Mais y pourvoir n’est pas toujours aussi simple que l’on pourrait croire. 
A l’époque, les carrières de sable et de gravier suffisaient à pallier le besoin de l’humanité. Une fois cette matière épuisée, on s’est tourné vers le sable des rivières mais cette piste a rapidement été abandonnée car elle contribuait à plus de crues. Et alors que le sable du désert s’est révélé être une richesse inutile pour les constructions car peu rugueux et trop lissé par le vent, c’est au fond des océans que nous avons commencé à extraire le sable, grâce à la technique de la drague. Des paquebots équipés de bras de succions pompent des fonds marins de grandes quantités de sable et par la même occasion, les animaux et les plantes qui y vivent sont eux aussi aspirés et tout organisme vivant est éliminé. Mais, bien au-delà, le vide créé est progressivement comblé sous l’effet combiné des vagues des courants et de la gravité. De ce fait, cette extraction invisible depuis la surface peut avoir un effet catastrophique cette fois bien visible sur les plages. 
D’une autre manière, au Maroc, ce pillage détruit nos plages. La douceur de son climat et un parc immobilier défiant toute concurrence ont fait de la côte marocaine, une destination extrêmement cotée par les acheteurs à la recherche de résidences secondaires avec vue sur mer. Cependant, sur certaines côtes, l’extraction de sable a transformé d’épaisses plages de sable en paysage lunaire et comble de l’ironie, ce sable est aujourd’hui dans des bâtisses censées abriter des vacanciers attirés précisément par les plages du Maroc.
Selon une enquête publiée par le Monde Afrique, outre la région qui s’étend de Oualidia à Ouled Skhar, en passant par la plage de Mehdia de Kénitra, l’axe routier reliant Larache et Tanger est témoin d’une valse de camions transportant près de 18 tonnes de sable à raison de trois allers-retours par jour. Ce granulat est fourni par une mafia du sable, usant d’une main-d’œuvre bon marché, souvent des enfants que la pauvreté a arrachés à leur scolarité, dont la mission est de ponctionner jusqu’au dernier grain de sable. Ce nouvel or est ensuite acheminé à dos d’âne vers le sommet des falaises, avant d’être entassé dans des camions. 
Les premiers bénéficiaires sont les propriétaires d’ânes qui vendent le sable 100 DH le mètre cube, alors que la main-d’œuvre juvénile ne touche que la modique somme de 40 DH     par jour. Les chauffeurs de camions, quant à eux, peuvent se faire entre 6000 et 7000 DH de bénéfice quotidien, pour acheminer le sable à des promoteurs immobilier de plus en plus voraces.   
Car en effet, le Maroc connaît un boom du BTP, fortement tributaire de ce granulat dont le prix sur le marché informel ou légal est de 300 DH le mètre cube. Il est utilisé à hauteur de 30 millions de tonnes chaque année.
Evidemment, ce serait de la mauvaise foi de nier la réglementation à ce sujet. Mais la mansuétude de certaines autorités et notamment le garant des domaines maritimes, annihile le pouvoir dissuasif de la loi sur le littoral, censée interdire depuis 2015 le prélèvement du sable dans les dunes maritimes, au risque de 5 ans de prison. Renforçant ainsi l’impunité dont jouissent les acteurs de l’informel, d’autant plus que les promoteurs ne sont plus obligés de présenter les factures d’achat des matériaux pour le paiement de la TVA sur la construction, dorénavant calculée sur la base du mètre carré bâti.
Si l’Etat se prive de recettes fiscales estimées à 5,5 milliards de dirhams par an, cela représente un moindre mal par rapport aux dangers inhérents à cette pratique. Déjà, s’il n’est pas proprement rincé à l’eau claire avant d’être coulé dans le béton, le sable mélangé à l’eau salée est hautement corrosif, car il contient du sodium, et fait peser sur les constructions le spectre de l’effondrement à court  ou long termes. La Fédération nationale du BTP compte 60.000 accidents sur les chantiers dont beaucoup sont consécutifs à l’écroulement des structures et selon un rapport du ministère de l’Habitat, entre 4000 et 7000 habitations de Casablanca sont sous le coup de tels risques. 
Mais le drame ne s’arrête pas là. Au Maroc comme ailleurs couve une bombe écologique car le sable n’est pas une ressource durable. L’extraction sauvage du sable va irrémédiablement aboutir à la disparition des plages qui ont mis des milliers d’années à se constituer. Parce que, suivant un cycle naturel, la morphologie des plages s’ajuste aux changements saisonniers. En été, elles sont plus épaisses et en hiver, elles reculent et s’aplanissent pour mieux absorber l’énergie des vagues. Mais pour pouvoir survivre aux assauts des océans, elles doivent être suffisamment fournies en sable pour ne pas être emportées par les marées. On supprime ainsi une barrière naturelle. Les répercussions sont déjà considérables sur les franges côtières où l’érosion s’accélère. L’extraction du sable n’est qu’une pièce dans l’engrenage infernal qui mène inexorablement à la disparition des plages. L’homme en démultiplie les effets, au risque de voir disparaître les grains des sabliers, et le fantasme des plages au sable fin et cocotiers.
 


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1.Posté par Najat le 27/11/2017 18:22 (depuis mobile)
On a l impression de vivre dans une jungle où les plus forts ont toujours le dessus !
Où va-t-on avec le pillage de nos ressources en toute impunité ?

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