Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire


Mercredi 16 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire
Il y a encore d’autres considérations : si une explosion sociale menace, ou encore s’il y a une réelle possibilité d’un pouvoir théocratique hostile à l’Occident, un coup d’État de déviation reste possible surtout si le sentiment antioccidental devient très intense au Maroc. 
Dans cette optique, la lutte pour le pouvoir s’intensifie entre une armée qui dépend de l’Occident et des mouvements islamistes qui n’ont plus devant eux le barrage de la dynastie. L’armée devrait supprimer toutes les libertés et interdire nombre de partis pour faire face. L’intervention des fraternités islamistes internationales au Maroc s’accroîtrait nettement. Il ne faudrait attendre aucun changement selon cette option mais une suppression des libertés résiduelles qui existaient. 
Un autre aspect qui pourrait amener un ou des pays occidentaux à devenir ouvertement hostiles au régime marocain est le trafic de drogue : l’Europe réagirait fortement si la quantité de drogue en provenance du Maroc dépassait un certain seuil. De même, si le Maroc n’observe pas un certain équilibre entre les pays occidentaux en matière de commerce et de joint-ventures, il pourrait en résulter la pression d’un Etat européen important. De même, si le Sahara marocain recèle des hydrocarbures, ils peuvent susciter la convoitise et la frustration de certains Etats occidentaux non assurés d’en profiter avec le régime marocain. 
Des émeutes semblables à celles de 1965 ou 1981 sont-elles inévitables? Du temps de Hassan II, la population avait moins de problèmes économiques et sociaux et le niveau de répression était élevé; avec Mohammed VI, la population a des problèmes plus graves, en raison du chômage massif des jeunes. Or, en cas de mouvements sociaux, il est impossible de revenir à des niveaux de répression tels ceux qui prévalaient du temps de D. Basri; cela pourrait avoir des effets non maîtrisables. 
Mais plus les dysfonctions et les problèmes sociaux s’aggravent et plus les réactions irrationnelles et radicales se multiplient. L’espace dérélictif des bidonvilles peut engendrer toutes sortes d’excès. L’Etat se tiendrait plus éloigné de ces risques s’il observait ces simples règles : ne pas désespérer les démocrates, ne pas humilier les islamistes, ne pas ignorer les sécularistes, prendre soin des intellectuels; mettre la liberté au coeur du nationalisme; jamais le patriotisme ne revêt sa signification véritable que dans la défense de la liberté; mettre le nationalisme au coeur de la politique : les décisions et les attitudes qui compromettent les intérêts du pays doivent être dénoncées et combattues. 
Avant d’aborder la nécessité de la séparation des pouvoirs, il faudrait décrire la structure sociale, le système politique et les organisations partisanes à l’horizon de 2010. Cela nous permettra de savoir si notre but est proche ou lointain.           
III. Précarité sociale, valeurs réligieuses et attitudes anomiques:
1. Paupérisation et crise des classes moyennes. 
Lorsqu’on observe les classes sociales au Maroc, on constate une disparité extrême dans les revenus qui peut facilement aller de 1 à 1000 (une employée de téléboutique peut gagner 600 DH par mois, le patron d’un groupe industriel ou financier peut gagner 600.000 DH par mois, si on y inclut ses primes, ses indemnités et des avantages de toutes sortes; l’autre élément notable est l’existence d’une classe moyenne des plus réduites, en comparaison à la Tunisie, par exemple. 
La réalité préoccupante est que le pays compte des millions de chômeurs, diplômés ou non, suivis par la classe de la précarité absolue: commerçants à la sauvette, ceux dont le fonds de commerce est par terre ou dans leurs poches (détaillants de cigarettes); après ceux-ci viennent des millions d’artisans et de paysans qui vivent de très peu. Nous avons ensuite 2 à 2,5 millions de petits employés, fonctionnaires, instituteurs surendettés et qui tirent le diable par la queue. 
Au-delà, on commence à avoir des revenus qui représentent une certaine aisance, si on prend comme repère le dénuement des catégories inférieures : tous les ménages qui ont un revenu mensuel entre 7000 et 8000 dirhams et qui peuvent posséder une voiture et une maison font partie d’une classe moyenne qui reste très vulnérable. Dans cette structure, la mobilité sociale est des plus réduites: elle est perceptible à partir des catégories des 7000-8000 dirhams de revenus mensuels et va en s’accélérant mais pour une population de plus de 15 millions d’habitants, le sentiment est qu’elle est vouée à la pauvreté et que leurs enfants ne feront guère mieux. 
Pour de nombreux Marocains l’égalité des chances est un mythe. 
Puis, au fur et à mesure que la prospérité se manifeste, le nombre des bénéficiaires décline nettement : professions libérales, hauts fonctionnaires, gros commerçants, officiers supérieurs, patrons des petites et moyennes entreprises. Au-delà, la grande bourgeoisie proprement dite : banquiers, patrons des grandes unités industrielles ou agroalimentaires, assureurs, investisseurs etc., élite des plus réduites jouissant de surfaces financières considérables et travaillant souvent en partenariat avec des groupes étrangers. 
Il y a cependant parmi les plus grosses fortunes un sentiment d’iniquité causé par l’existence d’un pôle financier gigantesque qui leur fait une concurrence «déloyale», qui accède exclusivement à l’information et qui bénéfice du soutien de l’Etat (ONA, SNI, etc.,). L’autre sentiment d’injustice provient du fait que certains groupes seulement jouissent du soutien du Makhzen. Les tentatives de création de pôles financiers ou industriels alternatifs, performants et innovateurs sont inhibées pour des raisons politiques. 
Une des contradictions essentielles de la politique économique du régime est que la paysannerie joue un rôle fondamental en tant que support de la légitimité du Makhzen, alors que sur le plan des infrastructures, les zones rurales sont quasiment abandonnées. Ces deux dernières décennies connurent un processus de dépeuplement des campagnes et un exode source de nombreux problèmes. 
Hassan II favorisa l’émergence d’une classe moyenne aujourd’hui proportionnellement assez importante comparée à la situation de 1960. Mais, cette classe moyenne est menacée de disparition; le nombre des pauvres s’accroît et ils constituent la majorité de la population. En  Tunisie, cette classe moyenne est le centre de tous les intérêts de sorte que de nombreux Marocains issus justement de cette classe moyenne inquiète portaient aux nues le régime liberticide de Tunis. 
L’amenuisement de la classe moyenne, normalement demandeuse des réformes démocratiques, est une hypothèque pour le futur. Les classes populaires, on le sait, sont plutôt autoritaristes; elles se laissent piéger par la tyrannie (antiquité), croient au prestige et à la gloire (Napoléon), croient aux solutions miracles (Union soviétique), ne s’inquiètent pas d’un mélange du sacré et du politique. 
Ces classes exigent même ce sacré, garant d’une distribution minimale des ressources (charité, charité légale ou zakat); la mise en avant des valeurs islamiques vise à rappeler à l’Etat et à la bourgeoisie leur devoir d’assistance des pauvres.  


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