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Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Samedi 6 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
Lorsqu’on voit toutes les difficultés de la construction démocratique en Occident, on ne peut qu’être optimiste pour le devenir du Maroc même si la théocratie a de nombreux partisans. L’Etat marocain a pris une initiative historique en décidant d’ouvrir les dossiers des violations graves des droits de l’Homme; il a gagné en légitimité. La stabilité politique de la dernière décennie le montre clairement. Bien entendu, l’assainissement des dossiers doit se poursuivre pour consolider l’Etat de droit. 
Il fut un temps où militer, exprimer une opinion, se syndiquer ou écrire des livres étaient des actes dangereux. Aujourd’hui, ça l’est moins, mais, attention! Une régression du respect des droits de l’Homme se dessina à partir de 2003. Sur un autre plan, la corruption généralisée est le plus grand défi à l’Etat de droit; la corruption électorale et la fragmentation partisane hypothèquent le pouvoir législatif. L’indépendance de la justice, clé de voûte de l’État de droit, est compromise par des problèmes déontologiques graves. Les défis demeurent considérables.  
2. L’élite démocratique au Maroc 
Il y a au Maroc des personnes qui, au risque de leur vie, de leur liberté et de leur emploi, accomplissent leur devoir de citoyen même si beaucoup de gens déplorent leur témérité, voire leur « bêtise ». Prenons le cas du capitaine Courage, j’ai nommé Mustapha Adib. Dans un rapport adressé au Prince héritier, il dénonça le trafic de carburant de son supérieur ; il fut félicité par le procureur du tribunal militaire (mai 1999) puis muté sans affectation à Salé et quelques semaines plus tard, à Sidi Slimane, sans affectation non plus. Cela n’augurait rien de bon. 
Le capitaine Adib ne fut pas promu au lendemain de sa dénonciation ; il ne se faisait aucune illusion sur ce qui l’attendait et voulait éviter les représailles de ceux qui n’avaient pas apprécié son action. Il porta plainte devant le tribunal administratif pour mutation abusive et d’autres mesures disciplinaires. Il dut présenter sa démission qui fut rejetée ; on voulait le punir et dissuader ses émules de passer à l’action. 
Que fit le gouvernement pour le protéger, vu qu’il pouvait être en danger de mort ? Rien. N’ayant aucun moyen de desserrer l’étau, il rencontra un journaliste du Monde le 30 novembre 1999, lui exposa son problème et accepta d’être cité. 
Inconscience, espérance du nouveau règne ? Ni le gouvernement de l’alternance ni les félicitations reçues n’empêchèrent l’armée de poursuivre celui qui était devenu un symbole de patriotisme, de rectitude morale et de probité civique (fév.2000). Il fut condamné à 5 ans de prison ferme pour «violation de consignes militaires et outrage à l’armée». 
Après une grève de la faim, la Cour suprême cassa le jugement prononcé par le tribunal militaire de Rabat (24 juin 2000) qui le rejugea le 6 octobre 2000 pour le condamner à deux ans et demi de prison. Lauréat du Prix de l’intégrité décerné par Transparency International (28 septembre 2000), choisi par « Le Courrier International » parmi les 100 personnes qui marquèrent le siècle, Amnesty International l’adopta comme prisonnier d’opinion (novembre 2000). 
A sa libération, il avait tout perdu fors l’honneur; il était devenu le symbole d’un Maroc meilleur. Ce qui arriva au capitaine Adib devait imposer le mutisme à ses semblables dans l’armée marocaine. Mais malgré tout, deux sergents des Forces armées Royales, Ibrahim Joulti et Jamal Zaїm, voulurent l’imiter et dénoncer un trafic ou étaient impliqués des militaires, sans autre résultat que d’être frappés de lourdes peines de prison par le Tribunal militaire : 7 et 8 ans ferme (mai 2002). 
D’autres exemples de sens civique et d’esprit démocratique peuvent être cités ; celui de Mohammed Hafid. Ce dirigeant de la Jeunesse Ittihadia renonça de lui-même à un siège de député qu’il estima obtenu frauduleusement, non de son fait, puisque le candidat islamiste l’avait emporté (1997). On s’en souviendra longtemps. Des gestes comme celui-là permettent d’espérer un bel avenir pour le Maroc. Au sein même de la bureaucratie makhzénienne, il y a d’authentiques démocrates. Tel le cas du caїd Younès Fennich qui s’opposa de toutes ses forces, jusqu’à sa radiation en 2002, aux pratiques de corruption courantes chez les agents d’autorité. 
Il dérangea beaucoup ses supérieurs d’autant plus qu’il publia plusieurs ouvrages pour critiquer pachas et gouverneurs. Evidemment, tout fut fait pour expulser l’intrus. On peut aussi mentionner l’attitude exemplaire d’Omar Seghrouchni qui refusa un salaire mensuel de 20.000 dhs et d’autres avantages s’il avait voulu coopérer avec la DST, c’est-à-dire devenir un indicateur. Ceux-là et d’autres, journalistes, avocats et juges intègres, militants politiques ou associatifs du droit, tous travaillent sans relâche pour un Maroc de la liberté et de l’égalité des chances. Signe des temps, il semble que ce courant démocratique universel ait atteint les plus hautes sphères de l’Etat au Maroc. 
Dans une conférence de presse à l’Institut français de recherches internationales (IFRI, 21 mai 2001), Moulay Hicham s’éleva contre la désignation d’un prince héritier et la règle de primogéniture; pour lui, c’est le peuple qui est appelé à régler la succession d’un roi décédé en choisissant dans la famille Royale le plus apte à fédérer aussi bien les groupes sociaux que les membres de la dynastie : « Le pacte monarchique est un rapport fédérateur de groupes en compétition. Fédérateur (il s’agit du Roi) également des composantes de la famille régnante. (…) En ce sens, les nouvelles procédures de désignation réglementaire d’un prince héritier et l’évolution récente vers la règle de primogéniture signent une orientation absolutiste ». 
En outre, le Prince souhaite voir «la fonction symbolique (…) plus largement partagée entre les membres de la famille Royale». Ceux-ci assumeraient donc une véritable autorité gouvernementale au lieu d’être tenus dans un rôle de patronage sans réelle dimension politique. Ce « pacte de famille » est inséparable d’une « refonte et consolidation des institutions qui expriment et représentent la souveraineté populaire ». 
Moulay Hicham veut-il «libérer» la monarchie du Makhzen et instituer un conseil Royal qui deviendrait une instance spécifique? Le Prince est-il parvenu à la conclusion que le Makhzen réduit grandement le dynamisme et la créativité de la monarchie ? Si la famille Royale devient le centre d’une activité politique qui permet à tous les princes de manifester leurs compétences et d’exprimer leurs vues, cela aurait-il la vertu de neutraliser le Makhzen ? Vraisemblablement, car le Prince envisage l’allégeance comme une opération qui vient du peuple et qu’il maîtrise de bout en bout, choisissant même celui qu’il juge le meilleur parmi plusieurs prétendants, l’éligibilité étant ouverte à tous les membres de la famille Royale. Selon quels mécanismes s’effectuerait ce choix? Ce n’est pas clair. Mais si le peuple a autant d’initiatives, le Makhzen n’aurait, dans cette configuration, aucun rôle à jouer. Le Prince signale qu’il ne suggère le pacte monarchique que par défaut de démocratie dans le pays : « Par ailleurs, en d’autres circonstances et dans une situation où les instances démocratiques auraient pris en charge la régulation des relations entre la famille régnante et les structures étatiques et sociales, l’idée d’un pacte privé réglant le rapport entre cette famille et la sphère publique serait sans objet ». 
Cela signifie qu’il pense que la démocratie n’est pas une demande populaire assez forte et que le Souverain doit avoir des initiatives décisives à cet égard. A défaut de voir un régime démocratique assigner à la monarchie des règles du jeu précises, celle-ci se doit d’en fixer en son sein et qui soient d’inspiration démocratique.  


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