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Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?Samedi 5 Juillet 2014
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La consolidation des forces sociales favorables à une monarchie absolue s’accompagna d’une référence soutenue à la tradition sur tous les plans : politique, religieux, culturel et social au moment où la planète ne jurait que par la modernisation, au moment où une élite moderniste avait le vent en poupe au Maroc. La traditionalisation, c’est aussi le rejet des idéologies selon l’argument qu’elles n’étaient pas marocaines, sans débat ni analyse; elle fut une véritable kulturkampf contre l’intelligentsia: ce n’était pas une version humaniste de la culture islamique et elle était étayée par une répression qui emporta des milliers de personnes. C’était une fierté pour l’Etat marocain d’ignorer ses intellectuels et de ne les accepter que soumis et repentants. La fuite des cerveaux était encouragée; pour chaque intellectuel qui s’expatriait, c’était 1-) un agent de changement de moins, 2-) une source possible de devises. Il renforçait l’Etat et ralentissait les réformes. Certains intellectuels makhzéniens, volontiers postmodernistes, ne parlaient que de déconstruction et citaient Derrida à tout bout de champ, mais entouraient d’un silence absolu Locke, Spinoza, et Montesquieu. Ces mêmes intellectuels affirmaient du pouvoir qu’il était partout le même et comparaient la monarchie marocaine à celle du Royaume-Uni parce que la reine détient le droit de nommer le Premier ministre si aucune majorité ne se dégage au Parlement ! Les intellectuels avaient un sentiment d’étrangeté devant une tradition dont ils ignoraient les fonctions sociopolitiques : ils y voyaient l’effet de l’histoire et des pesanteurs sociologiques et non d’une stratégie judicieusement conçue. Des valeurs religieuses tissées de superstitions et pour ainsi dire peu intellectualisées ne pouvaient servir à un dialogue fructueux avec la civilisation occidentale. Pour cette politique extrêmement conservatrice, la philosophie, ça faisait désordre. D’où le coup d’arrêt de son enseignement dans les universités et dans l’ensemble, le Maroc reste fâché avec la philosophie : l’attitude hostile des autocrates médiévaux vis-à-vis des penseurs continue de marquer les esprits. Pour l’élite, exalter la tradition semblait une absurdité et émaner plus d’une attitude obtuse que d’autre chose; en politique, ce qui semble absurde est voulu. Hassan II justifiait la traditionalisation par sa volonté d’être fidèle à l’histoire du Maroc; il pensait aussi que ce programme de traditionalisation répondait aux aspirations du peuple plus que la justice sociale et le développement économique, d’où l’enlisement du culturel dans le folklorique; l’éducation quant à elle devint à dominante religieuse. Le salafisme fut encouragé. Ainsi, «la tradition est un choix à la suite d’une intervention étrangère (…). La traditionalisation d’une société est souvent, et peut-être toujours, contemporaine d’une menace d’hégémonie extérieure; elle n’en est pas la cause et ne peut en être l’excuse». Cette «tradition redevient une valeur qui affiche ouvertement sa volonté de lutter contre les idées socialisantes. L’obscurantisme est cultivé, une langue figée et aliénante est érigée en modèle, la psychologie est bannie, tout comme la sociologie, l’individualisme combattu, sauf pour la réussite économique, le droit à la réflexion et à la contestation, les libertés individuelles n’ont plus cours». De même: «Le costume européen fut banni des cérémonies officielles, sous prétexte de soutenir l’artisanat local. Au lieu de s’arrêter au costume dit watani, celui qu’avait popularisé Mohammed V, on revient à celui du Makhzen du 19e siècle». À noter que le champion de la traditionalisation s’entourait d’une classe dirigeante qui ne jurait que par l’Occident. Relativement à la chanson populaire, la Aïta fut bien encouragée au détriment de la chanson arabe moderne parce que ses thèmes et ses rythmes en font une musique orgiastique (violence et indifférenciation du désir), qui chante aussi la fatalité du destin et les calamités de l’existence en parfaite conformité avec le vécu séculaire de la paysannerie marocaine, fait de bout en bout de subjugation par le potentat local, latifundiaire, ou le Makhzen. Un des buts de la traditionalisation était de rendre vain l’espoir d’une alternative : « Le seul antidote à la tradition, c’est l’espoir, c’est-à- dire la perspective d’un avenir ouvert, et c’est cela le sens profond de la révolution, sous quelque étiquette qu’elle se présente. (…) Mais si la tradition est une idéologie de l’élite pour périodes de perspective fermée, on comprend bien alors que, pour peu que l’horizon se dégage, l’élite reprend sa place dans l’histoire, c’est-à-dire change le sens de son action». L’Istiqlal participa à la traditionalisation sans jamais avoir compris ce qu’il faisait: ses mots d’ordre en faveur d’une société islamique étaient aussi utilisés pour établir les assises idéologiques du pouvoir personnel de Hassan II. En 1970, Allal Al-Fassi reconnaissait s’être trompé au sujet de sa volonté démocratique et affirma que l’UNFP fut plus perspicace. Ainsi, le zaïm oscilla longuement entre une position afghanienne (on sait qu’Al-Afghānī avait ses sociétés secrètes) et un compromis avec le Makhzen jusqu’au basculement final de 1972. Hassan II souhaitait l’existence des partis, des syndicats, d’un Parlement mais entièrement soumis et sans autre projet spécifique que de relayer les vues du Palais. En disant de la monarchie qu’elle ne pouvait être mise en équation, le Roi Hassan II signifiait qu’elle n’entrait ni dans un système de séparation des pouvoirs ni de partage de prérogatives avec les nationalistes. Les nouvelles forces politiques, issues pour la plupart du mouvement national, devaient s’aligner ou s’exposer à la répression. Du temps de Hassan II, exprimer une opinion politique pouvait être fatal. Toute une police n’avait d’autre but que de détecter les opinions politiques des citoyens et de les punir le cas échéant. Il n’est personne qui ait exercé sa liberté d’expression sans l’avoir chèrement payée: pour la mentalité répressive, la pensée est incantatoire : parler de quelque chose, l’analyser, revient à la susciter, à en être le démiurge. La raison d’Etat était permanente et globale sous le règne de Hassan II; il y avait une certaine liberté des moeurs mais pas de libéralisme politique.
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