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Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Vendredi 5 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
Pour mettre fin à la terreur de l’état de nature, les hommes optent pour l’inégalité d’eux tous avec un seul de leur choix, et qui leur en imposera à tous. Le contrat social hobbésien est un contrat de soumission illimitée et spontanée vis-à-vis du souverain, à charge pour lui de neutraliser les agressions des concitoyens. 
Le souverain hobbésien cumule tous les droits auxquels les autres ont renoncé et le sien; il demeure seul dans l’état de nature et peut agir comme il l’entend pourvu qu’il agisse de même vis-à-vis de tous : il se charge de neutraliser les violents, les récalcitrants qui viseraient son pouvoir de même ceux qui voudraient nuire aux autres, parce qu’ils sont aussi finalement une menace pour lui. Hobbes veut un système qui n’a pour horizon que la survie; son Etat rejette radicalement l’aliénation: la mise de son énergie au service de tous, l’acceptation d’une pluralité d’opinions et de valeurs sans répression; cet État ne tolère aucune différence significative et n’admet qu’un seul état de conscience pour tous : la soumission. 
Pour Hobbes, la société civile, l’ordre social lui-même procèdent du souverain de même, soulignons-le, la loi et l’éthique. La séparation des droits civils et des droits politiques, et l’idée qu’un renoncement à ces derniers peut aboutir à la protection de ces premiers est un mythe. Il n’y a pas de citoyenneté sans droits politiques : qui pourrait se charger de protéger mes biens et ma personne, mon droit à la dignité et au bonheur s’il n’a aucun compte à me rendre, et s’il se définit par rapport à moi comme une volonté coercitive et arbitraire ? Seuls les actes indifférents au politique (lesquels ?) définissent la liberté hobbésienne qui n’est que soumission. En fait, Hobbes concède que si nous pouvons maintenir nos actes secrets, s’ils sont effectués dans notre intimité, sans aucun accès à la place publique, ils peuvent jouir d’une liberté totale. 
Ce postulat que les domaines privé et public peuvent être nettement cloisonnés, sans influence ni interaction et ne signifiant nullement l’un par rapport à l’autre est une vue de l’esprit. Si la liberté abandonne l’espace public et se retire dans l’intimité, la répression finit par l’atteindre là aussi. Inutile de s’appesantir sur cette thèse. Fils de parlementariste, John Locke fut un opposant intransigeant à la tyrannie des Stuarts; ses deux traités du gouvernement civil soulignent que l’homme possède des droits naturels (à la vie, à la liberté et à la propriété), primordiaux (préexistants à tout gouvernement et à tout État, parce qu’octroyés par Dieu) et inaliénables (auxquels on ne peut renoncer, si par contrainte ou du fait d’une pathologie quelconque on est amené à « choisir » la servitude). 
Le seul problème de cet état de nature est la justice. Comment rendre justice aux victimes qui ne peuvent procéder elles-mêmes aux actions nécessaires, car on ne peut être juge et partie ? Il faut donc instituer une justice indépendante. Les citoyens n’aliènent que le droit de se faire justice, en faveur de la société, représentée à cette fin par des cours équitables et les juges n’ont aucun privilège de ce fait. Ce droit, les citoyens le déposent auprès de l’Etat, mais ils n’y renoncent pas définitivement : ils peuvent le reprendre pour réformer l’Etat lui-même, s’il devient tyrannique. 
Les citoyens doivent être vigilants vis-à-vis de l’Etat et ne pas faire preuve d’un optimisme confiant, parce qu’il dispose d’un pouvoir formidable : il doit donc être l’objet d’une suspicion permanente, seule attitude qui préserve les libertés. Cette méfiance est véritablement le socle de la tradition libérale. Locke veut aussi un régime où le monarque ne doit ni ignorer le Parlement ni interférer avec la justice; il a cependant une prérogative qu’il doit toujours utiliser pour le bien de la nation. Au siècle des Lumières, de brillants esprits tels Voltaire et Diderot caressèrent l’espoir de voir l’autocrate réformer de lui-même l’ordre politique. 
Pour Montesquieu, il en alla autrement : tout pouvoir détenu entièrement par une personne ou une instance ne peut être que dangereux. Pour être équilibré, le pouvoir doit être pluriel et on ne peut le tempérer ni par les remontrances ni par l’admonestation. La seule manière d’éviter les calamités du pouvoir absolu est l’action d’un pouvoir sur un autre et par conséquent leur séparation : «Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». 
Le régime idéal est celui où chaque autorité se soumet à l’existence d’un contrepoids; cette idée quantitative, physique du pouvoir provient de sa perception comme étant intrinsèquement dangereux. Il faut donc en neutraliser les effets par sa division et son organisation en opposition non d’une manière stérile et obtuse mais à seule fin de protéger les droits du citoyen. 
La confusion, en fait la concentration des trois pouvoirs, livre le citoyen à quelqu’un qui peut décider de son action, de son statut et de son sort sans qu’il ne le consulte en aucune manière : «Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait les trois pouvoirs». Naturellement, la concentration des pouvoirs est la négation de la représentation, de la consultation et du consentement. Qu’arrive-t-il lorsque les réformes ne sont pas effectuées en temps utile? Des thèses radicales surgissent. 
Celle de Rousseau par exemple. Alors que Locke et Montesquieu ont conscience du danger que constitue un pouvoir sans limite ni contrôle, Rousseau n’examine pas les risques inhérents à la mise en oeuvre de la volonté générale. Le risque de manipulation de cette volonté générale est minimisé ; la nécessité de la terreur pour faire prévaloir la vertu n’est pas perçue. La quantité (gigantesque) de coercition nécessaire pour passer de l’Ancien Régime au Contrat social de Rousseau n’est même pas soupçonnée. 
Pensait-il qu’à la faveur d’une crise morale provoquée par la séparation, noblesse, clergé et bourgeoisie se rallieraient à cette doctrine de la volonté générale ? Humanisme, conservatisme et ouverture caractérisent Kant en tant que réformateur politique. Il souhaiterait que le souverain soutienne la légitimité des droits de l’Homme et que le peuple, patient, respecte le droit positif. Pour Kant, tout ce qui relève du politique a pour essence une obligation morale : le prince doit procéder aux réformes et à l’établissement d’un Etat de droit non parce qu’il serait soumis à des pressions sociales ou politiques mais en vertu d’un sens moral auquel il ne saurait faillir. 
Le souverain doit respecter les droits de l’individu non parce qu’il est aussi soumis aux lois (approche de Locke que ne partage pas Kant), mais par pure obligation morale et religieuse. Le souverain a le devoir de traiter ses sujets comme une fin, selon des principes universels et non comme des moyens : il ne doit leur contester aucun de leurs droits fondamentaux. Le monarque a pour mission d’«administrer» l’institution divine la plus «sacrée sur terre, celle des droits de l’Homme», nous dit Kant; il doit craindre de «porter atteinte au bien le plus précieux de Dieu ». 
La monarchie marocaine ne semble pas avoir surmonté l’antinomie kantienne entre droits de l’Homme et légalité au moment où cette légalité est la cible des islamistes dans un sens (au nom du califat normatif) qui ne peut que retarder la séparation des pouvoirs, si elle ne l’annihile pas pour des générations.  


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