Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Mardi 2 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
Ce qui complique davantage les choses, c’est cette soif d’Orient médiéval qui altère l’esprit des observateurs occidentaux, au point que le monde musulman se trouve pour eux figé dans une catégorie anhistorique. Ces amoureux d’Orient médiéval disent aux musulmans occidentalisés : «Vous n’êtes pas authentiques, vous singez vos maîtres». Aux musulmans bon teint, ils disent : «Vous êtes des fanatiques ». Aux islamistes, ils reprochent leur extrémisme et aux dirigeants pro-occidentaux leur despotisme. Ils ne leur disent pas, voici comment être des démocrates mais les encouragent à tourner le dos aux réformes. 
Il est temps que l’Occident se libère de ces stéréotypes ! Il y a aujourd’hui une convergence inattendue entre de nombreux spécialistes occidentaux du monde musulman et des mouvements politiques islamistes pour affirmer que la démocratie n’est pas une option pour les pays musulmans. Il faut répudier cette perception métaphysique du monde musulman comme étant impropre aux institutions démocratiques. 
D’un point de vue purement géopolitique, la distance qui sépare le Maroc de l’Europe ne justifie pas l’ampleur du décalage institutionnel ; mais d’un autre point de vue, les données historiques rendent tout à fait explicable la disparité. Nous ne pouvons ni négliger le premier élément, ni nous replier sur notre propre histoire. Une seule révolution est acceptable aux yeux de l’Occident : bourgeoise, pro-occidentale et modérément nationaliste. Mais pour l’Occident, le régime marocain est parfaitement démocratique : il est ce que les Marocains peuvent souhaiter de mieux, et ceux qui critiquent quoi que ce soit sont des esprits chagrins. 
Ce nouvel orientalisme n’est pas moins dangereux que celui qui fut stigmatisé par E. Said. L’affirmation des chancelleries occidentales que le Maroc est déjà une démocratie est flatteuse et fallacieuse. Evidemment, l’idée implicite est : si l’on compare le Maroc à la Tunisie ou à l’Iran mais que signifie de passer, dans un groupe de maris violents, pour celui qui bat le moins sa femme ? Cela ne le rend pas pour autant irréprochable. Toute comparaison d’une situation avec celle qui est pire tend au maintien du statu quo : elle implique également une perception infériorisante d’autrui. Qui seront les gagnants ? 
Ceux qui sont géopolitiquement avec l’Occident et politiquement contre son idéologie, la plupart des régimes arabes (puisqu’ils n’adoptent pas ses valeurs et sont antidémocratiques) ou ceux qui sont politiquement en phase avec l’Occident et géopolitiquement se méfient de lui, les élites libérales? L’élite marocaine qui pense adopter le modèle politique de l’Occident doit prendre garde à la réalité géopolitique de l’Occident; admirer l’Occident et s’en méfier car il a ses intérêts propres et il croit à l’égoïsme sacré des nations (De Gaulle) qui ne s’embarrasse ni des principes éthiques ni de cohérence idéologique. 
Que les intérêts l’emportent sur les principes, cela est une réalité historique immémoriale qui fonctionna dans tous les sens : 
1) La France s’allia à l’Empire ottoman contre les Habsbourgs pourtant catholiques; la France appuyait aussi les protestants du Saint- Empire romain germanique et supprimait ses propres protestants. 
2) Les nazis éliminaient les communistes et les Soviétiques traquaient les fascistes au moment de leur alliance. 
3) Principe des nationalités en Occident, colonisation en terre d’islam. 
4) Alliance sacudu-américaine contre Al-Quaïda, au moment où le régime saoudien partage avec celle-ci la référence au wahhabisme. Les Etats-Unis ne souhaitent pas exporter leurs valeurs ; ils n’aident les peuples qui se soulèvent contre la tyrannie qu’en Occident.  T. Jefferson refusa son concours aux révolutionnaires français parce qu’il ne voulait nuire d’aucune manière à Louis XVI qui avait contribué à l’indépendance des Etats-Unis. 
Que dire d’une élite libérale d’un pays arabe ! Si celle-ci est isolée et va à contre-courant, l’Occident ne fera rien pour la soutenir La littérature islamiste fait état d’un plan occidental pour introduire les institutions démocratiques dans le monde musulman, rien n’est plus inexact: lorsque Lyautey vint au Maroc, il décida que le pays devait rester tel quel au plan des valeurs et du régime (en apparence), de sorte que la «mission civilisatrice» de l’Occident ne devait pas s’étendre aux valeurs politiques. 
Ce qui est vital s’acquiert à prix d’âme disait Héraclite et ne s’offre pas surtout au plan géopolitique. Ces idées libérales qui doivent être rejetées comme idées du colonisateur, c’est de l’imaginaire. Le colonisateur ne fit jamais leur promotion dans ses colonies : la séparation des pouvoirs? Excellente pour la métropole jusqu'à un certain point, détestable ailleurs. Le seul pays musulman qui adopta les valeurs occidentales dès le début du XXe siècle fut la Turquie. 
Et personne ne les lui imposa, bien au contraire : ce fut une question de volonté nationale. Le seul pays musulman qui se démocratisa fut celui qui échappa à la colonisation, un hasard? Les démocrates des pays arabes ont devant eux une formidable alliance de puissances occidentales et de gouvernements autoritaires. Imaginons les Etats-Unis désireux de s’émanciper de l’Angleterre et la France contre eux, ou ne protégeant ni leurs côtes et ne fournissant ni poudre ni soldats; l’Amérique aurait eu un autre destin. 
On peut dire sans risque de se tromper que sans cet appui géopolitique, les Etats-Unis ne seraient jamais devenus ce qu’ils sont. Ces treize colonies auraient été matées et avilies : les Anglais s’entendaient très bien à étouffer toute velléité de rébellion dans leurs colonies. Mais l’Angleterre aurait permis plus tard une émancipation comme celle de l’Australie ou du Canada. 
Parlons de l’Angleterre elle-même : quel aurait été le sort de la Glorieuse révolution si les Provinces-unies n’étaient pas venues à la rescousse? La perception du monde islamique a-t-elle beaucoup changé depuis l’ère des colonies et des protectorats? Le conflit qui opposa longuement la France et l’Iran est très révélateur à ce sujet. Le refus de rembourser la République islamique d’Iran signifiait que la France persistait à défendre le régime patrimonial du Shah. Le prêt octroyé à Framatome et l’Iran même étaient considérés comme les biens personnels du Shah; qu’il perdît l’Iran traduisait dans cette perspective une diminution de son avoir et n’avait rien à voir avec le prêt que seuls les ayants droit du Shah pouvaient réclamer. 
Le principe de la continuité de l’Etat fut totalement oblitéré. Dans l’affaire Framatome, le Shah était physiquement l’Etat qui avait octroyé un prêt à la France et lorsqu’il mourut, ce pays n’existait plus. Pourquoi l’Iran réclamait-il quelque chose qu’il n’avait pas donné? Telle était la perception de la France distinguant le Shah et le nouvel Etat iranien au mieux de ses intérêts ( ?). 
Et si on avait reproché à ces héritiers des Lumières ce comportement si antipopulaire et en faveur d’un dictateur, ils auraient dit : les Iraniens n’avaient qu’à se moderniser en temps utile et ne pas avoir accumulé un retard de plusieurs siècles. Cette attitude néocoloniale était adoptée au pire moment, lorsque les Iraniens essayaient de liquider l’influence exagérée des Américains dans leur pays. En outre, c’était un affront insupportable pour les Iraniens de considérer qu’une seule personne pût avoir plus d’importance qu’eux tous. 
Ce malentendu provoqua les attentats terroristes de 1986, l’affaire Gorji, l’assassinat de l’ambassadeur de France à Beyrouth, l’enlèvement de Michel Seurat, pour ce que l’on sait.


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