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Le double impact des aliments insalubres

La santé du citoyen et le budget de l’Etat en pâtissent


Chady Chaabi
Lundi 5 Novembre 2018

Dans un rapport paru récemment, intitulé « Safe Food Imperative: Accelerating Progress in Low- and Middle-Income Countries », la Banque mondiale révèle que les maladies d’origine alimentaire priveraient les pays à revenu faible et intermédiaire de 110 milliards de dollars par an. En partant du principe que le Maroc est considéré comme pays à «revenu intermédiaire de la tranche inférieure», selon un rapport datant de 2017, publié par cette même Banque mondiale, il est logique que le Royaume soit également touché par les conséquences économiques causées par ces aliments insalubres. 
Concrètement, à l’origine des 110 milliards de dollars calculés par la Banque mondiale, on trouve les pertes de productivité ainsi que les dépenses de santé inhérentes à la consommation des aliments insalubres. Ainsi, toujours d’après la même source, les pays à revenu faible et intermédiaire, dont le Maroc donc, supportent une charge disproportionnée par rapport à la taille de leur population, avec 53 % des maladies d’origine alimentaire et 75 % des décès associés pour 41 % de la population mondiale. En sus, les jeunes enfants sont particulièrement exposés: les moins de 5 ans ne représentent que 9 % de la population mondiale mais près de 40 % des maladies d’origine alimentaire et 30 % des décès qui leur sont imputables.   
Les maladies en question se répartissent en quatre principales catégories. Tout d’abord, les bactéries, comme la listeria qui peut entraîner une septicémie et une méningite, contractée habituellement en consommant des légumes crus contaminés, des aliments prêts à consommer, des viandes transformées, du poisson fumé ou des fromages à pâte molle. Ensuite, les virus dont l’hépatite A, une maladie du foie causée par le virus de l’hépatite A et transmise par l’intermédiaire d’aliments contaminés par les selles d’une personne infectée. Il existe aussi des maladies causées par des parasites, à l’instar de la toxoplasmose, qui résulte de l’infection par le Toxoplasma gondi après ingestion de viande crue ou pas assez cuite ainsi que de produits frais. Elle peut entraîner une déficience visuelle et des maladies neurologiques. Et enfin, la catégorie produits chimiques et toxines. Dans ce cas-là, on parle de l’aflatoxine, une toxine produite par les moisissures qui poussent sur les céréales mal entreposées. Elle peut entraîner un cancer du foie, l’une des formes de cancer les plus meurtrières. Ou encore, une intoxication par le cyanure se produit lorsque du manioc mal transformé est ingéré.
Selon Juergen Voegele, directeur principal du pôle mondial d’expertise en alimentation et agriculture de la Banque mondiale « dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la sécurité des aliments occupe une place relativement limitée dans les préoccupations des dirigeants et ne bénéficie pas de budgets suffisants. D’une manière générale, face à une épidémie majeure de maladies d’origine alimentaire ou une perturbation des échanges commerciaux, les mesures sont plutôt réactives que préventives ». Puis d’ajouter : « En s’intéressant plus expressément à la sécurité des aliments, les pays peuvent renforcer la compétitivité de leurs agriculteurs et de leurs industries agroalimentaires. Ils développeront aussi leur capital humain, car garantir l’accès à des aliments sains est indispensable pour avoir une main-d’œuvre en bonne santé, instruite et résiliente. »
Au Maroc, garantir la sécurité alimentaire fait partie des prérogatives de l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires ou ONSSA. Créé il y a près de 20 ans, cet organisme public marocain est responsable de la sécurité sanitaire des produits alimentaires et de la conformité des aliments importés au Maroc. Toutefois, si l’année dernière, l’Office a procédé à la saisie et à la destruction de 4.730 tonnes de produits impropres à la consommation, a contrario, son fonctionnement souffre de plusieurs manquements. Outre l’absence d’accessibilité en termes de communication, l’organisme public donne l’impression d’accentuer son action à l’approche des grands événements, à l’image de Ramadan ou de l’Aïd El Adha. Certainement en sous-effectif et débordé, l’ONSSA ne peut tout contrôler tout au long de l’année. De fait, si l’on en croit le Centre antipoison marocain, l’année dernière, 2.655 cas d’intoxication alimentaire, dont 43,7%, ont été enregistrés en tant qu’intoxications collectives. S’agissant des maladies d’origine alimentaire, elles occupent la 2ème position (15,7%) dans ce classement. 
Pour en revenir au rapport, lequel a bénéficié du soutien de la Food and Drug Administration américaine, la Banque mondiale a décidé de traduire les statistiques de morbidité en données économiques pour convaincre les gouvernements de la nécessité d’investir davantage, d’optimiser les cadres réglementaires et de prendre des dispositions pour modifier les comportements. En détail, d’après l’institution financière internationale, les pertes totales de productivité dans les pays à revenu faible et intermédiaire représenteraient environ 95,2 milliards de dollars par an, le coût des traitements annuels ressortant à près de 15 milliards. Sans oublier les autres dépenses difficilement quantifiables, les pertes subies par les paysans et les entreprises alimentaires, le manque à gagner commercial, conséquences de la méfiance des consommateurs face aux produits périssables mais nutritifs et l’impact du gâchis alimentaire sur l’environnement. 
Factuellement, l’étude localise la source du problème dans le fait que « pour de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire, l’évolution rapide des régimes alimentaires et l’accroissement démographique contribuent, entre autres facteurs, à une exposition supérieure aux risques liés aux aliments, exerçant une pression intense voire écrasante sur les capacités à gérer ces menaces ». Ipso facto, ces pays sont définis par l’inadéquation entre le risque alimentaire et leur capacité à gérer ce risque dans un contexte de développement économique et de transformation des systèmes et des régimes alimentaires. 
De manière constructive, en plus de l’identification des problèmes économiques et sanitaires liés aux maladies d’origine alimentaire, le rapport apporte également un certain nombre de recommandations ciblées pour remédier à cette situation. Coauteur du rapport, Steven Jaffee, économiste principal spécialiste de l’agriculture à la Banque mondiale, explique que « les dirigeants des pays à revenu faible et intermédiaire doivent non seulement investir davantage dans la sécurité sanitaire des aliments mais ils doivent le faire de manière plus judicieuse ». Comment ? Tout simplement en « investissant dans les connaissances de base, les ressources humaines et les infrastructures. Mais encore, trouver des synergies entre les investissements dans la sécurité des aliments, la santé humaine et la protection de l’environnement. Tout en s’appuyant sur les investissements publics pour susciter des investissements privés», souligne-t-il. 
Enfin, il s’agirait aussi de revoir les stratégies de réglementation. « Les effets de la réglementation doivent être mesurés par la disposition des entreprises à s’y conformer, la confiance des consommateurs et les performances en matière de sécurité des aliments plutôt que par le nombre d’amendes infligées ou d’entreprises fermées », conclut Steven Jaffee.
 


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