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Laissons le monde à ses problèmes, les gens haineux face à eux-mêmes : Feu Charles Aznavour

Le grand maître a tiré sa révérence dans la nuit de dimanche à lundi à l'âge de 94 ans


Mercredi 3 Octobre 2018

 Il rêvait de chanter jusqu'à cent ans la vie, l'amour, la nostalgie, le temps qui passe. Charles Aznavour, le dernier des géants de la chanson française et son inlassable ambassadeur à travers le monde, s'est éteint dans la nuit de dimanche à lundi à l'âge de 94 ans.
"C'est avec une profonde tristesse que la famille Aznavour informe du décès de Charles Aznavour. Son nom est gravé dans l'éternité, et sa mémoire est toujours vivante!", a annoncé sa famille sur son compte Facebook.
C'est dans les Alpilles, dans le sud-est de la France où il aimait tant se reposer, que Charles Aznavour s'est éteint, suscitant une vague de tristesse chez ses admirateurs de toutes générations.
"Profondément français, attaché viscéralement à ses racines arméniennes, reconnu dans le monde entier, Charles Aznavour aura accompagné les joies et les peines de trois générations. Ses chefs-d'oeuvre, son timbre, son rayonnement unique lui survivront longtemps", a twitté Emmanuel Macron.
"Je l'avais convié à mon déplacement à Erevan (10-11 octobre) pour le sommet de la francophonie, où il devait chanter", a ajouté le président français.
Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a déploré "une perte énorme pour le monde entier", rendant hommage à "un fils exceptionnel du peuple arménien".
"C'est un accompagnateur de nos vies. J'ai l'impression que j'ai survécu en entendant des chansons de Charles Aznavour...", a réagi Alain Souchon sur RTL.
"Le vrai boss vient de nous quitter. Un guide, un maître, je vous aime Charles. Dur de ne pas pleurer. Hasta pronto señor Champagne", a twitté Benjamin Biolay.
Tel Benjamin Button, le personnage créé par Francis Scott Fitzgerald, né vieillard et qui vécut toute sa vie en rajeunissant avant de mourir nourrisson dans "L'étrange histoire de Benjamin Button", Aznavour semblait prendre un bain de jouvence ces dernières années à chaque tour de chant.
Avec toujours le même miracle: il débutait ses concerts la voix rouillée et le corps fragile, mais les concluait léger comme une plume et le pas dansant, devant son prompteur devenu indispensable.
Inépuisable, le chanteur aux plus de 70 ans de carrière avait repris la scène en septembre avec deux concerts au Japon et s'apprêtait à repartir en tournée cet automne avec plusieurs dates en France.
Ces derniers mois pourtant, il avait dû annuler quelques représentations. D'abord en avril à Saint-Pétersbourg, victime d'un tour de reins. Puis en mai, en raison d'une fracture de l'humérus gauche, après une chute. Une accumulation de pépins qui le ramenaient subitement à sa condition de mortel.
"Je ne suis pas vieux, je suis âgé. Ce n'est pas pareil", se plaisait-il à nuancer, auprès de l'AFP. Une façon espiègle de défier le poids des années pour celui dont le couronnement artistique est venu assez tardivement, à 36 ans, le 12 décembre 1960 à l'Alhambra.
Ce soir-là, il donna le concert de la dernière chance devant le tout Paris ainsi que des critiques, qui ne croyaient pas en son talent scénique et raillaient sa voix. Et "l'enroué vers l'or" mit tout le monde d'accord avec sa performance habitée de "J'me voyais déjà", qui raconte les illusions perdues d'un artiste.
Jusqu'alors, Aznavour avait connu un relatif succès surtout discographique avec "Parce que", "Le palais de nos chimères", "Sur ma vie", "Sa jeunesse".
Il écrivait aussi déjà pour les plus grands, Juliette Gréco, Gilbert Bécaud, Edith Piaf qui le soutint ardemment et fut un de ses "quatre points cardinaux avec Charles Trénet, Constantin Stanislavski et Maurice Chevalier".
"Il a osé chanter l'amour comme on le ressent, comme on le fait, comme on le souffre", dit de lui Chevalier dans les pas duquel il a fini par marcher aux quatre coins du monde, devenant à son tour l'ambassadeur de la chanson française. Une renommée appuyée par ses 180 millions de disques vendus.
Rien ne fut acquis pour Shahnourh Varinag Aznavourian, né le 22 mai 1924 à Paris de parents arméniens.
"Quels sont mes handicaps? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et d'instruction, ma franchise, mon manque de personnalité. Les professeurs m'ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m'en déchirer la glotte", écrira-t-il dans son autobiographie "Aznavour par Aznavour" (1970).
Sa détermination, son talent et ses tubes intemporels comme "La Bohème", "La Mamma", "Comme ils disent", "Mes emmerdes" permettront finalement à cet homme de taille modeste (1,60 m et des poussières) de renverser les montagnes, lui qui n'a jamais hésité à protéger les jeunes pousses, comme Johnny Hallyday à qui il fit cadeau de "Retiens la nuit". Même s'il n'avait plus sorti de grande chanson depuis une trentaine d'années, Aznavour a entretenu son mythe par la scène, dans les salles les plus prestigieuses du monde. Comme une revanche sur tous ceux qui ne lui prédisaient aucun avenir et qui "sont tous morts depuis longtemps, alors que moi... je suis encore là", cinglait-il.
Celui qui s'est également formé par la danse classique et le théâtre, a aussi brillé au cinéma, où en quelque 80 films, il tourna avec François Truffaut ("Tirer sur le pianiste"), Volker Schlöndorff ("Le tambour"), Claude Chabrol ("Les fantômes du chapelier")...
Où qu'il fut, cet artiste concerné par le drame des migrants rappelait toujours son attachement à ses deux pays. "Je suis Français et Arménien, les deux sont inséparables comme le lait et le café", résumait-il l'an passé en recevant son étoile sur le "Walk of fame" à Hollywood.
A présent, ces deux nations, mais aussi le monde pleurent un de leurs plus grands artistes.

Des artistes en émoi

- Céline Dion (sur Twitter): "Monsieur Charles, vous resterez toujours +For me Formidable+. Respect et condoléances à votre famille".
- L'acteur et chanteur américain Josh Groban (sur Twitter), qui avait enregistré un duo avec lui : "Quelle héritage et quelle légende. Il a repoussé les frontières, a fait vivre des histoires dans ses chansons et fait fondre nos coeurs sur le chemin. Il était aussi tellement généreux et la gentillesse irradiait de ses yeux, il était toujours sincère. Une vie extraordinaire et une carrière à célébrer".
- Le docteur Jean Abitbol, qui a travaillé avec Charles Aznavour sur sa voix (sur LCI): "Sa voix n'a pratiquement jamais vieilli. Il a su la gérer complètement, l'entretenir, avoir une hygiène rare à son époque (...) Il avait une rigueur absolument formidable". "Il est mort en pleine force de l'âge. (...) C'était un Molière, à 94 ans, il voulait mourir sur scène. Et c'est un peu ce qu'il a fait".
- Universal Music France (communiqué): "Charles Aznavour ne nous quittera jamais. Le plus immense auteur, compositeur et interprète français s'est éteint mais le patrimoine de ses chansons est immortel". "Après un parcours opiniâtre et difficile, cet enfant de la balle parvient au sommet à l'aube des années 60 lorsque, épaulé par les disques Barclay, il apporte une révolution dans la chanson française en se faisant l'interprète de la vie, des espoirs et des malheurs des humains ordinaires".
- L'Olympia (sur Twitter): "Charles Aznavour tenait le haut de l'affiche et faisait l'événement de la rentrée 2011 avec un mois de représentation à L'Olympia. L'Olympia rend hommage à celui qu'on surnommait le doyen de la chanson française".
- La rappeuse Soprano (sur BFMTV): "C'est un passionné, son histoire est magnifique. C'est un des rares qui a compris notre art des mots. Il est multigénérationnel". "Voir ce qu'il a fait sur scène à son âge me donne encore plus de force pour continuer à transmettre de l'amour avec les mots sur scène".
- Le rappeur Oxmo Puccino (sur Instagram): "Et soudain, le silence".

 

L'Arménie, terre de cœur

Monument de la culture française, Charles Aznavour était aussi l'un des plus ardents porte-drapeaux de la diaspora arménienne, le pays de ses parents, avec lequel il a entretenu des liens étroits tout au long de sa vie.
La manifestation la plus tangible de ces liens date de décembre 1988, après le tremblement de terre qui dévaste le nord du pays et fait 25.000 morts dans la seule ville de Spitak.
Le chanteur fonde le comité "Aznavour pour l'Arménie" pour collecter des fonds. Avant de se rendre sur place, il écrit la chanson humanitaire "Pour toi Arménie". Elle est enregistrée début 1989 avec 90 artistes (dont Gilbert Bécaud, Johnny Hallyday et Renaud) et se vendra à plus d'un million d'exemplaires.
Charles Aznavour sera ensuite nommé ambassadeur permanent en Arménie par l'Unesco.
"Jusqu'ici, je disais toujours: +Je suis français d'origine arménienne+. Après le choc, je me suis rendu compte que j'étais vraiment d'origine arménienne", confiait à Paris Match celui qui mit les pieds en Arménie seulement vers 1963-1964, dans le cadre d'une tournée mondiale.
Le chanteur est né à Paris, le 22 mai 1924, où ses parents s'établissent après avoir quitté leur pays. Né Charles Varenagh Aznavourian, Aznavour aurait dû porter le prénom arménien de Shahnourh, finalement francisé en Charles par la sage-femme, révèle une biographie parue en 2006.
Cet ouvrage révèle aussi les liens d'amitié étroits qui existaient dans les années 30 entre la famille Aznavourian et un autre Arménien d'origine, entré depuis dans l'Histoire de France: Missak Manouchian, chef du groupe FTP (Francs-tireurs partisans) de "L'affiche rouge", exécuté en février 1944 par les nazis avec 22 autres résistants.
Manouchian qui, en 1940, écrit cette phrase prémonitoire à la mère d'Aznavour: "Charles sera l'honneur du peuple arménien, et une gloire pour la France".
Un sentiment partagé dans sa terre de coeur, où une place porte son nom en plein centre-ville d'Erevan. Une statue a été érigée en son honneur dans la deuxième ville du pays, Gyumri.
L'ancien président arménien Serge Sarkissian voyait en lui "l'Arménien le plus célèbre de la planète". "Charles Aznavour essaie de servir les intérêts de la politique étrangère de notre pays et d'être utile à notre patrie", disait-il à propos du chanteur, décoré en 2004 de la médaille de "héros national".
"Le destin d'Aznavour, le fils de gens qui ont survécu par miracle pendant le génocide, est la réponse du peuple arménien à tous les génocides", déclarait en 2006 son prédécesseur à la présidence Robert Kotcharian.Pour le 60e anniversaire du génocide arménien, Aznavour avait interprété en 1975 à la salle Pleyel à Paris "Ils sont tombés": "La mort les a frappés sans demander leur âge/Puisqu'ils étaient fautifs d'être enfants d'Arménie", disait le texte.
La musique était signée par son beau-frère Georges Garvarentz (fils du poète Kevork Garvarentz, auteur de l'hymne national révolutionnaire arménien).
Vingt-trois ans plus tard, Aznavour s'était déclaré "soulagé" après le vote de l'Assemblée nationale reconnaissant "politiquement" au nom de la France "le génocide arménien de 1915", car "tout peuple a le droit d'écrire son histoire et les Arméniens ont été gommés de la face du monde". En 2016, le chanteur, célèbre aussi aux Etats-Unis, reçut une étoile d'honneur à Hollywood, remise par la communauté arménienne de Los Angeles, une des plus importantes au monde.
"Ce qui m'amuse beaucoup, c'est que la Turquie a raté quelque chose, ils n'ont pas un seul grand chanteur", avait-il lancé en recevant cette distinction honorifique. "Ce qui prouve que les génocides ne servent à rien, il y a toujours des survivants".

Les principales chansons

Voici les principales chansons qui ont marqué le parcours de Charles Aznavour, que ce soit pour sa propre carrière ou au service d'autres interprètes (parmi lesquels Johnny Hallyday ou Marcel Amont):
- 1954: "Je hais les dimanches". Écrite pour Édith Piaf, qui la refuse, la chanson sera immortalisée par Juliette Gréco.
- 1960: "Tu te laisses aller", "Je m'voyais déjà".
- 1961: "Retiens la nuit", pour Johnny Hallyday.
- 1962: "Un Mexicain basané”, pour Marcel Amont.
- 1963: "La Mamma" avec Robert Gall, le père de France Gall.
- 1964: "Que c'est triste Venise".
- 1965: "Idiote je t'aime".
- 1966: "La bohème".
- 1967: "Les comédiens" et "Emmenez-moi".
- 1969: "Désormais".
- 1971: "Mourir d'aimer".
- 1972: "Les plaisirs démodés".
- 1973: "Comme ils disent".
- 1997: "Plus bleu que tes yeux", Aznavour enregistre 40 ans après un duo virtuel avec celle qui fut son Pygmalion, Édith Piaf.
- 2015: "De la môme à Édith", hommage à Piaf, pour qui il fut parolier mais également secrétaire et chauffeur.

 

Mourir d'aimer

Les parois de ma vie sont lisses
Je m'y accroche mais je glisse
Lentement vers ma destinée
Mourir d'aimer

Tandis que le monde me juge
Je ne vois pour moi qu'un refuge
Toute issue m'étant condamnée
Mourir d'aimer

Mourir d'aimer
De plein gré s'enfoncer dans la nuit
Payer l'amour au prix de sa vie
Pécher contre le corps mais non contre l'esprit

Laissons le monde à  ses problèmes
Les gens haineux face à  eux-mêmes
Avec leurs petites idées
Mourir d'aimer

Puisque notre amour ne peut vivre
Mieux vaut en refermer le livre
Et plutôt que de le brûler
Mourir d'aimer

Partir en redressant la tête
Sortir vainqueur d'une défaite
Renverser toutes les données
Mourir d'aimer

Mourir d'aimer
Comme on le peut de n'importe quoi
Abandonner tout derrière soi
Pour n'emporter que ce qui fut nous, qui fut toi

Tu es le printemps, moi l'automne
Ton cœur se prend, le mien se donne
Et ma route est déjà  tracée
Mourir d'aimer
Mourir d'aimer
Mourir d'aimer

A Ma Fille

Je sais qu’un jour viendra
Car la vie le commande
Ce jour que j’appréhende
Où tu nous quitteras
Je sais qu’un jour viendra
Où triste et solitaire
En soutenant ta mère
Et en traînant mes pas
Je rentrerai chez nous
Dans un chez nous désert
Je rentrerai chez nous
Où tu ne seras pas

Toi tu ne verras rien des choses de mon cœur
Tes yeux seront crevés de joie et de bonheur
Et j’aurai un rictus que tu ne connais pas
Qui semble être un sourire ému mais ne l’est pas
En taisant ma douleur à ton bras fièrement
Je guiderai tes pas quoi que j’en pense ou dise
Dans le recueillement d’une paisible église

Pour aller te donner à l’homme de ton choix
Qui te dévêtira du nom qui est le nôtre
Pour t’en donner un autre
Que je ne connais pas

Je sais qu’un jour viendra
Tu atteindras cet âge
Où l’on force les cages
Ayant trouvé sa voie
Je sais qu’un jour viendra
L’âge t’aura fleurie
Et l’aube de ta vie
Ailleurs se lèvera
Et seul avec ta mère
Le jour comme la nuit
L’été comme l’hiver
Nous aurons un peu froid

Et lui qui ne sait rien du mal qu’on s’est donné
Lui qui n’aura rien fait pour mûrir tes années
Lui qui viendra voler ce dont j’ai le plus peur
Notre part de passé notre part de bonheur
Cet étranger sans nom sans visage, ô combien
Je le hais, et pourtant s’il doit te rendre heureuse
Je n’aurai envers lui, nulle pensée haineuse
Mais je lui offrirai mon cœur avec ta main
Je ferai tout cela en sachant que tu l’aimes
Simplement car je t’aime
Le jour où il viendra

 


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