La responsabilité du pillage de l’Afrique incombe-t-elle aux seules multinationales ?


Par Gloria Djigui *
Samedi 15 Juin 2019

La responsabilité du pillage de l’Afrique incombe-t-elle aux seules multinationales ?
Le pillage de l’Afrique consiste à dépouiller, de manière violente et destructive, le continent de ses biens, notamment de ses richesses du sous-sol, au détriment de la loi et des droits de propriété. Depuis la conquête de l’Afrique et durant la colonisation, beaucoup de richesses ont quitté le territoire africain. Depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, ce fléau persiste. Pourquoi ?

Responsabilité des multinationales
L’Afrique est riche en ressources qui sont des éléments vitaux pour le développement de l’économie des pays sous-développés. Cependant, elle subit le pillage de certaines multinationales étrangères qui, en toute impunité, cherchent par tous les moyens à s’accaparer les terres, les gisements de minerais, les sources d’énergie et de matières premières, etc. Comme les Etats africains n’ont pas mis en place de politiques efficaces pour protéger le principe de concurrence saine, les multinationales usent souvent de leur pouvoir et leurs connexions afin d’évincer les concurrents locaux. Ce copinage conduit souvent à des situations de monopole, ou du moins des positions dominantes sur les différents marchés africains. Les marchés non réglementés constituent le moyen privilégié d’extorsions tant financières que sociales.
A titre d’exemple, l’absence de lois antitrust conjuguée à une protection anémique des consommateurs des pays africains, il n’y a que deux ou trois grandes sociétés qui dominent les marchés de denrées comme le sel, le sucre, le lait, la farine, l’huile et le thé.
De même, ces multinationales contrôlent des ressources naturelles précieuses, notamment dans les pays où il existe de graves conflits. Selon la commission d’enquête mandatée par les Nations unies, les multinationales jouent un rôle dans les conflits armés en Afrique en général et en RDC en particulier: elles soutiennent des groupes armés et profitent de la situation de guerre pour accéder aux matières premières à vil prix via les contrats léonins par lesquels tous les avantages leur sont attribués et à travers l’exploitation du sol et du sous-sol. D’un rapport publié par un panel d’experts de l’ONU le 2 octobre 2002, il ressort que deux hommes ont été impliqués dans le pillage de la RDC : l’homme d’affaires belge Georges Forrest et l’entrepreneur John Bredenkamp. Ainsi, la course aux marchés et aux profits illicites pousse plusieurs multinationales à faire fi du respect des droits de propriété et de l’éthique du marché, qu’elles observent pourtant en dehors de l’Afrique. D’où la nécessité de comprendre pourquoi.

Responsabilité des dirigeants africains
Quand on parle du pillage de l’Afrique, on pense immédiatement aux multinationales occidentales, mais il ne faut pas oublier que cela se fait avec la bénédiction et la complicité  des dirigeants africains. Ce soutien explicite ou implicite prend plusieurs formes : violation des droits de propriété des communautés indigènes, non respect du principe d’appels d’offres transparents et équitables, instrumentalisation de la justice pour évincer des concurrents, etc.  Ces dirigeants qui sont censés défendre le peuple et protéger ses intérêts n’hésitent pas à détourner les fonds publics. C’est le cas du président angolais Jose Eduardo Santos, au pouvoir de 1979 à 2017. Il a été considéré en 2018, par le magazine Forbes, comme le chef d’Etat le plus riche du monde noir. Soulignons qu’il est associé à la grande corruption et au détournement des fonds du pétrole provenant en grande partie de l’enclave du Cabinda. Durant toutes ses années au pouvoir, sa famille a accumulé un important patrimoine surtout immobilier dont des maisons dans les principales capitales européennes et des comptes bancaires en Suisse et dans des paradis fiscaux offshore.  
Par ailleurs, les dirigeants africains sont de mèche avec les multinationales et signent des contrats aux conditionnalités douteuses en échange de soutiens politique, financier et militaire pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. L’affaire Bolloré a permis de mettre en lumière un mécanisme à travers lequel les chefs d’Etat guinéen et togolais auraient bénéficié de services sous facturés d’une filiale du groupe Bolloré lors de leurs différentes campagnes présidentielles. Et ce en échange de marchés très juteux dans le domaine des ports.

Responsabilité des médias
Quant aux médias, on observe un certain silence ou une certaine complicité via le verrouillage médiatique alors qu’ils  ont le devoir de nous informer de la vérité et d’éveiller nos consciences. D’une part, les médias dépendent de l’appui financier des annonceurs constitués d’hommes d’affaires, politique et des dirigeants africains qui  influencent la presse via le  pouvoir financier et bradent la suspension d’articles en guise de représailles contre la publicité négative. C’est le cas de la presse ougandaise qui, en 2012, a massivement couvert l’affaire de corruption au cabinet du Premier ministre concernant un détournement de financement des bailleurs. Mais le cabinet du Premier ministre étant l’un des plus grands annonceurs en Ouganda et avec le gros budget des annonces publiées par ce dernier, peu de publications ont été faites sur le scandale. Comme l’a dit le directeur de publication du Daily Monitor, Don Wanyama, des investigations plus poussées auraient pu être faites mais la peur du manque à gagner des revenus publicitaires a imposé le silence à tout le monde.
D’autre part, les chaînes d’information, les quotidiens, l’essentiel des hebdomadaires de référence appartiennent à 10 dirigeants de firmes internationales (Bouygues, Xavier Niel, Dassault, Bernard Arnault, Bolloré, etc.). Ils contrôlent les médias et les exploitent pour redorer leurs images et continuer à travailler sereinement en Afrique. C’est le cas du groupe Bolloré qui s’était entouré des services de l’ex-rédacteur en chef du journal camerounais « Le Messager ». Avec le contrôle direct de médias (Direct 8, Direct soir…), des structures qui les alimentent en informations (Institut de sondage CSA, Associated Press), du 6ème groupe mondial de publicité et de communication (Havas) et des contrats de publicité, le groupe Bolloré possède un puissant moyen d’influence sur les clients, les partenaires privés et les décisions étatiques. L’on aperçoit donc que le pillage des ressources de l’Afrique est une responsabilité partagée entre des multinationales occidentales, des dirigeants et des médias africains. Dès lors, afin de juguler ce phénomène, il faudrait s’attaquer à tous les maillons de la chaîne pour espérer limiter les opportunités du pillage au détriment de l’intérêt des populations africaines.

 * (Institut supérieur de
communication, d'organisation
et de management, Bénin)
Article publié en collaboration
avec Libre Afrique


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