La recherche scientifique n’en finit pas de se chercher

Le constat de la Cour des comptes tranche avec le satisfecit que d’ aucuns se plaisent à afficher


Hassan Bentaleb
Jeudi 17 Mars 2022

La recherche scientifique n’en finit pas de se chercher
Le discours sur la nécessité de développer la recherche scientifique au Maroc ressassé pendant la crise de Covid-19 s’avère une véritable chimère.   Le dernier rapport de la Cour des comptes vient de le démontrer. Mauvaise gouvernance, faiblesse des ressources financières, manque de rentabilité, déprédation au sein des doctorants, faible production des articles scientifiques et la liste est longue. 

Mauvaise gouvernance et faible rentabilité

Selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur ses activités et celles des Cours régionales des comptes au titre des années 2019 et 2020, le processus de structuration de la recherche scientifique entamée depuis 2005 via la création d’équipes de recherche, de laboratoires, de centres et de réseaux de recherche s’est marqué par l’absence d'une vision unifiée, claire et coordonnée  au niveau universitaire permettant d'identifier les priorités de la recherche scientifique en cohérence avec la stratégie nationale afin qu'elle puisse être formulée sous forme d'un plan d'action dans lequel toutes les structures de recherche scientifique sont impliquées.

Le rapport a constaté également l’absence d’inventaire détaillé des différents équipements de recherche scientifique dont dispose l'université, malgré le fait que celle-ci dépense des sommes importantes pour son achat sans parler de l’absence d’une exploitation optimale et conjointe des équipements scientifiques lourds en général, notamment ceux du Centre d'innovation et de transfert technologique et du Pôle de compétences, par des enseignants-chercheurs universitaires.

Les juges de la Cour des comptes ont aussi observé que la production scientifique dans les universités demeure faible au vu du nombre d'articles publiés et de projets de recherche, rapporté au nombre d'équipes, de laboratoires et de centres de recherche, au nombre d'enseignants-chercheurs et d'équipements scientifiques, et au nombre d'étudiants chercheurs doctorants.

« Bien que les universités aient enregistré un nombre important de publications scientifiques, le taux de publication dans des revues à comité de lecture reste faible. Le nombre de brevets reste également faible et leur valorisation est médiocre.

D'autre part, il a été constaté que les études dans le cycle doctoral n’aboutissent pas pour un grand nombre de doctorants puisque le pourcentage de déperdition au niveau du cycle doctoral atteint 70% auprès des étudiants inscrits, alors que seulement 25% d'étudiants arrivent à finir leur doctorat au bout d’au moins 5 ans », précise le rapport. Et d’expliquer : « Une situation due, selon le ministère de tutelle, au facteur économique qui pousse les étudiants inscrits au doctorat à abandonner leurs études doctorales et à  saisir les meilleures opportunités dès qu’elles se présentent ».

En outre, le document a observé l’inexistence de procédures de suivi des activités des différentes structures de recherche scientifique depuis la date de leur adoption jusqu'à l'évaluation de leurs réalisations.

Des crédits médiocres

S’agissant du financement de la recherche scientifique au Maroc, le document de la Cour des comptes a indiqué que les universités dépendent de deux sources de financement pour la recherche scientifique et le développement technologique, à savoir le budget propre de l'université et le Fonds national d'appui à la recherche scientifique et au développement technologique.

Cependant, le même document avance que les crédits pour la recherche scientifique dans le budget des universités ont diminué après la phase du « Programme d'urgence », et pendant la période 2015-2018, puisque  le taux de subvention pour la recherche scientifique n'a pas dépassé 5% du total des subventions allouées aux universités. Alors que l'année 2019 a vu une augmentation significative de cette subvention, atteignant 7%.

Le rapport a observé, en outre, que la délégation de décaissement de crédits alloués à la recherche scientifique aux responsables des institutions universitaires n’a pas été accompagnée par  le suivi des activités des différentes structures de recherche scientifique des institutions universitaires, afin d'évaluer leurs réalisations et résultats obtenus et de mesurer l’utilisation de manière optimale des ressources financières et des équipements scientifiques mis à leur disposition.

Des lacunes qui ont persisté malgré les financements importants alloués par le Fonds national d'appui à la recherche scientifique et au développement technologique. En effet, le Fonds a pour mission d'encourager et de relancer les programmes de soutien à la recherche scientifique et au développement technologique, d'organiser et d'évaluer les activités de recherche scientifique.

Au cours de la période 2009-2018, le Fonds a alloué un total de 562 millions de dirhams, dont un montant de 470 millions de dirhams a été effectivement accordé aux maîtres d'ouvrage et au reste des bénéficiaires, soit 83% des montants alloués au programme pour la relance de la recherche et du développement dans le domaine des communications, des technologies de l'information et de la communication et le programme ARIMNET, le programme ERANETMED et une série de projets dans des champs prioritaires dans le domaine de la recherche scientifique, du développement technologique, des bourses d'excellence, de la participation à des plateformes scientifiques internationales et de la préparation des villes de l'innovation…

Pourtant, la mise en œuvre de ces projets a connu de nombreuses lacunes. D’abord, la sous-évaluation des résultats de la recherche scientifique. En fait et bien que toutes les conventions de financement et contrats conclus dans le cadre de ces programmes aient stipulé la nécessité de présenter des demandes de dépôt de brevets, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique n'a pas de vision d’appréciation des  résultats de la recherche et ne dispose pas de mécanismes et de procédures de suivi de valorisation des brevets ou de tout autre élément de propriété intellectuelle résultant de ces projets.

« Dans ce contexte, nous mentionnons, par exemple, le Programme de revitalisation de la recherche et du développement dans le domaine des communications et des technologies de l'information, dont l'objectif principal était de promouvoir des projets de recherche débouchant sur des applications et des innovations pouvant être exploitées et commercialisées par les télécommunications des opérateurs de réseau, et le programme de projets dans les domaines prioritaires de la recherche scientifique et du développement technologique.

De plus, un cadre n'a pas été élaboré pour financer ces programmes en complémentarité avec le Programme de financement des Villes de l’innovation, notamment à travers la valorisation de ces derniers, censés inclure des incubateurs pour les jeunes», rappelle ledit document.

Des équipements et fournitures scientifiques mal exploités

Par ailleurs, les juges de la Cour des comptes ont noté des pénuries au niveau de l'exploitation conjointe des équipements et fournitures scientifiques. Bien que les contrats de financement stipulent que le matériel peut être collecté et exploité en commun et qu’il devait être placé dans un centre facilement accessible à tous les enseignants-chercheurs, il a été constaté que lesdits équipements restent souvent l'apanage du bénéficiaire du financement du projet et sont difficilement accessibles par d'autres enseignants, chercheurs, ou ayant connaissance de son existence faute de communication.

Hassan Bentaleb

Recherche scientifique au Maroc : le contenu

Quant au contenu, les sciences de la vie occupent plus de la moitié des publications scientifiques dans plusieurs pays (OCDE, 2003). Les sciences physiques occupent le premier rang dans la production scientifique totale. Les sciences sociales représentent une part qui est relativement faible dans les pays de l’Europe. Au Maroc, les recherches en sciences sociales sont moins structurées. Le peu de recherches effectuées sont individuelles et peu visibles, elles portent sur une multiplicité de thèmes à la fois. C’est en 2003, avec le nouveau gouvernement des islamistes, qu’elles commencent à faire partie des systèmes qu’il décide de promouvoir (M. Kleiche, 2007).

Source : Etat des lieux et voies de progression pour la recherche scientifique au Maroc, Essai d’analyse à partir des publications sur le Maroc issues de la base de données CAIRN, Hayat El Adraoui, dans La Revue des sciences de gestion 2016/1 (N° 277), pages 103 à 112

Evolution de la recherche scientifique

La recherche scientifique n’en finit pas de se chercher
La production scientifique au Maroc est principalement un héritage colonial vu que les premières assises en matière de recherche scientifique moderne ont été développées par le protectorat.

Plusieurs auteurs (M. Kleiche, 2007, P. Luigi Rossi et R. Waast ; 2008) s’accordent sur la conclusion que la situation actuelle n’est pas une reproduction à l’identique, ni une continuité de l’époque des colonies, mais elle est faite d’un métissage et de croisements entre des choix issus de la colonisation et des sollicitations et enjeux contemporains. La publication en français, sur des thèmes en étroite collaboration avec des auteurs européens, est due également au cadre institutionnel dans lequel le Maroc développe de plus en plus des accords de coopération avec la France en particulier et les autres pays de l’UE.

Cette évolution exponentielle des productions scientifiques au Maroc à partir des années 2000 trouve une explication plausible dans le nombre important des réformes envisagées pour promouvoir la recherche scientifique. En particulier, la promulgation de la loi 01-00 portant sur l’organisation de l’enseignement supérieur et sur l’augmentation des budgets de la recherche. La dépense de la recherche était passée à 1% du PIB en 2003 au lieu de 0,25% dans les années 1980 et 90.

En 2003, l’Accord de coopération scientifique et technologique entre le Maroc et l’Union européenne (UE) a été signé. Un contrat qui vise particulièrement à ouvrir l’espace européen de recherche au Maroc. Depuis cette date, plusieurs travaux de recherche ont été lancés afin de faciliter la participation des chercheurs marocains au 7e PCRD (Programme cadre de recherche et développement). Le Maroc a tracé les premières assises en matière d’outils de recherche pour développer sa politique de coopération à l’échelle nationale.

Enfin, depuis 2003, le Maroc a été membre du réseau européen EUREKA qui a pour but de favoriser sa collaboration avec les autres membres du réseau EUREKA à travers l’élaboration d’une coopération entre les entreprises, les universités, les instituts de recherche et les centres techniques. L’objectif était de participer à des projets et programmes avec des partenaires des autres pays membres d’EUREKA.

Sur la période 2005-2010, le volume des publications a évolué d’une manière importante. En 2005, le gouvernement a mis en place un Sous-comité recherche et innovation (SCRI) qui a regroupé plusieurs départements ministériels coordonnés par la Direction de la technologie et dont l’ambition était d’impulser la dimension recherche et innovation dans les domaines des sciences et du développement technologique. A Bruxelles en 2006, un accord avec l’UE pour financer un projet national de renforcement des capacités administratives en recherche & Développement technologie et innovation (RDTI) a été conclu avec un fort soutien de la Commission européenne.

Toutes les réformes qu’a connues le cadre de la recherche scientifique au Maroc à partir des années 2000 expliquent dans une grande mesure l’évolution constatée. C’est essentiellement l’activité de coopération qui a permis d’atteindre cette évolution importante. En outre, le Maroc développe depuis 2005 un réseau avec les Etats-Unis pour promouvoir la publication davantage dans les années à venir.

Source : Etat des lieux et voies de progression pour la recherche scientifique au Maroc, Essai d’analyse à partir des publications sur le Maroc issues de la base de données CAIRN, Hayat El Adraoui, dans La Revue des sciences de gestion 2016/1 (N° 277), pages 103 à 112



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