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La médiation marocaine dans le conflit inter-libyen


I - Les accords de Skhirat comme premier jalon

Abdelkrim NOUGAOUI
Jeudi 8 Octobre 2020

La Libye est un pays qui vit au rythme de violences, conséquence des luttes de pouvoir depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Deux gouvernements se disputent le pouvoir, le Gouvernement d’entente nationale (GNA) reconnu par l’ONU, dans l’Ouest, installé dans la capitale Tripoli et le gouvernement issu du Parlement de Tobrouk sous la férule de l’homme fort de l’Est, le maréchal Haftar. Au fil du temps, les interventions étrangères n’ont cessé d’exacerber ce conflit, avec d’un côté les EAU, la Russie et l’Egypte qui soutiennent Haftar et de l’autre, la Turquie qui s’est rangée aux côtés du GNA. Le conflit a pris une nouvelle tournure lorsqu’en avril 2019, les forces de l’Est ont lancé leur offensive pour s’emparer de Tripoli. Une offensive a été mise en échec grâce à l’intervention turque qui a apporté tout son soutien aux forces pro-GNA, leur permettant non seulement de repousser l’offensive mais aussi de reprendre d’importantes villes côtières à l’Ouest de Tripoli avec la plus grande base aérienne de la région. Parallèlement au langage des armes, le langage diplomatique n’a pas cessé de maintenir le lien entre les deux protagonistes. Il y a eu, en effet, échanges à Abou Dhabi, à Berlin, à Genève, au Caire, à Paris, à Addis-Abeba et à Skhirat. Selon l’avis des observateurs, c’est dans cette dernière ville que la voie diplomatique semble avoir tenu le cap vers une réconciliation entre les deux camps rivaux. Il faut reconnaître à la diplomatie marocaine d’avoir su se positionner à équidistance des deux camps pour gagner leur confiance et leur permettre de reprendre langue avec sérieux et responsabilité. Rappelons d’abord que les décisions les plus importantes concernant la création des instances dirigeantes du GNA (Conseil présidentiel et Haut Conseil d’Etat) ont été prises à Skhirat en décembre 2015. La volonté du Maroc de se placer en médiateur a d’ailleurs été clairement exprimée par son ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des MRE, Nasser Bourita qui, en s’adressant à la 154ème session de la Ligue arabe au niveau des ministres des Affaires étrangères, a souligné les divers défis à relever. « Nous devons impérativement nous pencher sur ces défis et contraintes selon une vision inclusive fondée sur le principe de solidarité, et rendu possible à la faveur des ressources et compétences dont regorge notre région », a-t-il affirmé en soulignant « la nécessité d’œuvrer pour parvenir à une solution à cette crise avec une contribution purement libyenne, en fournissant un cadre neutre pour un dialogue inter-libyen qui garantirait le maintien de la cohésion nationale, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale sur l’ensemble de ses terres, loin de l’ingérence étrangère. Le Maroc a abrité un dialogue inter-libyen prometteur, géré par les Libyens euxmêmes, sur la base de l’accord politique signé il y a environ cinq ans à Skhirat entre les deux parties ». Dans ce contexte, le Maroc a en effet accueilli les 9 et 10 septembre 2020, le dialogue inter-libyen visant à discuter l’article 15 de l’accord politique ayant trait aux postes régaliens (de souveraineté) comme ceux de la Banque centrale, le chef de la Commission anti-corruption, de la présidence de la Haute commission électorale, du Procureur Général ou encore de la présidence du Conseil de la magistrature. A ce propos, la cheffe de la MNUL (Mission d’Appui des Nations unies en Libye), M. S. Williams a affirmé soutenir les efforts d’un règlement du conflit libyen, notamment le dialogue inter-libyen à Bouznika, où les délégations du HCE libyen et du Parlement de Tobrouk se sont réunies. Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision satellitaire Al Arabiya, la représentante de l’ONU a déclaré que le dialogue inter-libyen du début de septembre visait à ce que les deux parties s’accordent sur les compétences requises pour la désignation des postes au pouvoir sans évoquer de noms. Elle a également affirmé être en contact permanent avec Nasser Bourita et d’autres responsables du gouvernement marocain en qualifiant de « très bonne » sa visite au Maroc fin août dernier. «D’après ce que j’ai compris de mes discussions avec les responsables marocains, il y a une volonté de réunir les présidents du HCE (K. El Mechri) et du parlement de Tobrouk (A. Saleh) pour approuver et signer ensemble l’accord conclu entre les deux délégations. J’exprime mon soutien à cette initiative et à tous les efforts visant à assurer le succès du processus mené par l’ONU, dans l’intérêt des deux parties”, a-t-elle ajouté. Plus: la déclaration du président du HCE libyen faite le 28 septembre 2020, retenant le 1er octobre 2020 comme date d’un nouveau round de pourparlers entre les deux parties libyennes à Bouznika, a couronné ces efforts. A propos de ce nouveau round qui représente une étape importante transformant une impasse de plusieurs années en véritable élan, Nasser Bourita a déclaré mercredi 30 septembre 2020, lors d’une interview publiée par l’ISS de Pretoria que « la grande avancée des pourparlers de Bouznika a été la volonté et l’engagement des Libyens de s’asseoir ensemble et de discuter des moyens de sortir de l’impasse politique actuelle. Une réalisation supplémentaire a été le format de ces pourparlers dirigés par les Libyens ». Et noter que «les discussions se sont déroulées entre des représentants d’institutions dont la légitimité découle de l’Accord de Skhirat de 2015, qui reste un cadre libyen valide que les représentants du pays peuvent mettre à jour, adapter et modifier ». Il a ajouté que “l’accord de Skhirat et les résultats de Bouznika ont montré, sans aucun doute, que les Libyens peuvent surmonter leurs différends quand on leur permet de résoudre leurs problèmes par eux-mêmes, sans ingérence». La situation conflictuelle qu’a vécue le peuple libyen depuis 2011 jusqu’à nos jours est une succession de phases de plus en plus dramatiques, qui rappellent le long métrage du cinéaste algérien Lakhdar Hamina ‘’ Chronique des années de braises’’. Nous en avons repris la chronologie comme l’a fait ce dernier dans son film. Une chronologie où les morts se comptent par milliers et les blessés et réfugiés par dizaines de milliers. C’est une situation qui a été qualifiée par les experts géopolitiques de deuxième guerre civile libyenne; une guerre qui peut perdre ses références si elle est disjointe de sa précédente, appelée première guerre civile libyenne. Ces deux guerres civiles sont de véritables jalons qui ont conditionné le déchirement politique et sécuritaire de ce pays tout au long de la décennie 2010-2020. La première guerre civile libyenne est définie comme le conflit issu du mouvement de contestation populaire qui a débuté à la mi-février et pris fin le 23 octobre 2011 de la même année. C’est un événement qui s’est inscrit dans le contexte des révoltes qui ont secoué le monde arabe et qui a été qualifié par certains de Printemps arabe et par d’autres d’Automne islamiste. C’est un mouvement qui a mis fin à 42 ans de règne (sans partage depuis le 1er septembre 1969), du colonel Mouammar Kadhafi. Ce faisant, cet homme qui fut le plus ancien dirigeant du monde arabe exerçant encore la fonction de chef d’Etat, a laissé Tripoli livrée à son triste sort. Dès les premières semaines des affrontements de février 2011 entre les forces loyalistes et les combattants rebelles, plusieurs ministres et cadres ont abandonné le gouvernement Kadhafi pour former le CNT (Conseil national de transition) dans l’Est libyen avec comme capitale Benghazi. La première destination à l’étranger des responsables du CNT fut Paris où ils ont été reçus par le Président Nicolas Sarkozy le 10 mars 2011. Cette rencontre leur a permis d’avoir le soutien du gouvernement français qui s’est engagé dans une bataille diplomatique dont l’issue victorieuse s’est traduite par l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est une résolution qui appelle à la ‘’protection des populations libyennes’’ contre les exactions et la répression excessives menées par les forces loyalistes de Kadhafi, et ce en autorisant des frappes aériennes. C’est au 19 mars 2011 qu’une coalition internationale a été mise sur pied pour frapper tous les points stratégiques du pays. Ce qui eut pour première conséquence la mort de l’un des fils de Kadhafi et de sa famille. L’offensive s’est poursuivie en ciblant le Guide libyen qui a été contraint de quitter Tripoli pour se réfugier dans sa villé natale de Syrte. Via des attaques localisées et des bombardements tous azimuts, la machine de guerre libyenne a d’autant plus rapidement plié l’échine qu’elle a été dépourvue de sa composante aérienne à cause des mesures onusiennes, et elle a vite fini par se trouver réduite à certaines de ses factions, ce qui a permis aux rebelles de gagner du terrain et d’avancer. Les combats ont poussé les troupes loyalistes à se retrancher à Syrte et les confrontations se sont rapprochées de leur fin lorsque Syrte est tombée aux mains des forces du CNT qui n’ont pas hésité à abattre Mouammar Kadhafi. Le 23 octobre 2011, le chef du CNT a annoncé la libération de toute la Libye, mettant fin à la première guerre civile libyenne qui a duré huit ans. L’effondrement de l’Etat libyen qui lui a fait suite a laissé un vide qui a été pris en charge par les tribus puis par les groupes terroristes qui ont mis la main sur divers arsenaux d’armes et munitions qui leur ont permis de sillonner le pays d’abord puis de devenir capables de déstabiliser toute la zone sahélo-saharienne. Conséquence : en Algérie, le GSPC a eu sa part en armements et au Mali, ce sont le MNLA, Ansar Eddine et le MUJAO qui ont pu étendre leurs actions sur le territoire jusqu’à arriver aux portes de la capitale malienne Bamako en 2013. Le dénouement de ce feuilleton est connu: C’est l’intervention des troupes françaises de l’opération Barkhane ( plus de 4000 soldats suréquipés et une flotte aérienne ultrasophistiquée aidée par des moyens de renseignement ultramodernes fournis par les Américains) qui y a mis fin. Pour l’intérieur du territoire libyen, ce sont surtout les groupes armés liés aux Frères musulmans qui ont profité de ces arsenaux pour s’armer et se renforcer dans les régions de l’ouest comme Tripoli et Misrata. AQMI et Daech ont pu avoir leurs propres zones d’influence qu’ils se sont mis à contrôler, voire même à gouverner jusqu’en 2014. Face à ce chaos généralisé, on a assisté à la genèse à partir du néant d’une nouvelle entité militaire dénommée ANL (Armée nationale libyenne) dirigée par un ancien militaire exilé aux Etats-Unis depuis 1990, le colonel Haftar. C’est cette entité militaire qui a fait le ménage dans le pays, chassé tous les groupes terroristes et les trafiquants en tous genres et passifié l’ensemble du territoire libyen, à l’exception des régions de Tripoli et Misrata.
Par Abdelkrim NOUGAOUI
Enseignant-chercheur à Oujda
(A suivre Demain: II - Quand l’Etat s’effondre sous les coups de canons …)


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