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La lutte contre la pédophilie : Une loi et des mentalités à réformer


MAP
Samedi 19 Mai 2012

«Abuser d’un enfant est un crime, l’ignorer est un sacrilège». Ce constat, érigé en credo de l’une des associations de protection de l’enfance les plus actives au Maroc, semble ne pas être pris au sérieux quand il s’agit de protéger, juridiquement parlant, les victimes de la pédophilie.
D’affaire en affaire, les insuffisances de la législation appliquée en la matière se révèlent au grand jour. La dernière affaire en date, largement relayée par les médias, celle de Meryem, une écolière de 8 ans, séquestrée, violée, tuée et découpée par un pédophile de Mohammedia et avant elle, de l’adolescente Amina qui s’est donné la mort après avoir été mariée à son agresseur.
Ces deux cas sont là pour témoigner des lacunes à combler en matière de protection juridique, en amont comme en aval, des mineur(e)s victimes d’abus sexuels.
C’est certainement l’article 475 du code pénal autorisant le mariage des violeurs avec leurs victimes, qui indigne le plus les associations de la société civile, en ce sens où il «incite à l’impunité», pour reprendre les termes de Najat Anwar, présidente de l’association +Touche pas à mon enfant+, qui déclare l’opposition de son association au mariage des mineures, à fortiori quand il est conclu avec leurs agresseurs.
Mohamed Almou, avocat au barreau de Rabat et militant associatif, souligne la nécessité de faire le distinguo, au niveau de cet article, entre deux choses différentes, à savoir le détournement de mineur (relations sexuelles sans violence) et le viol. Si, dans le premier cas de figure, le texte de loi prévoit l’abandon des poursuites judiciaires contre le mis en cause s’il épouse sa victime, cette possibilité est carrément éliminée dans le deuxième cas.
Il n’empêche que cet article pose problème, concède M. Almou, dans la mesure où il encourage indirectement la pédophilie en donnant carte blanche aux pédophiles pour assouvir leurs désirs coupables l’esprit tranquille, sachant parfaitement qu’ils risquent, au pire des cas, un mariage à la va-vite avec leurs victimes, qu’ils peuvent dissoudre le lendemain pour reprendre, comme si de rien n’était, leur vie d’antan.
Cette pratique, entrée dans les mœurs, est également de nature à favoriser la récidive, en plus de s’inscrire en contradiction avec l’esprit de la loi et la philosophie de la punition, censée dissuader les criminels, prévenir le crime et protéger, ce faisant, les citoyens.
Pour redresser cette situation, Najat Anwar plaide pour la révision, de fond en comble, de l’ensemble des lois relatives à la protection de l’enfance et de les harmoniser avec les conventions internationales en la matière, de manière à pouvoir dépasser les failles qui caractérisent la législation nationale, y compris le Code pénal qui contient «trop d’exceptions».
Avant de procéder à la réforme de la loi, Mohamed Almou estime qu’il faut d’abord agir sur les mentalités. «Dans la plupart des dossiers qui m’ont été soumis, ce sont les familles qui renoncent, de leur propre chef, aux poursuites judiciaires contre l’agresseur, une fois assurées qu’il n’y a pas eu de défloration, de crainte, soi-disant, d’entacher l’honneur de la famille et de détruire l’avenir de l’enfant».
«Ce sont elles aussi qui cherchent, dans le cas contraire, à conclure le mariage le plus vite possible, pour le rompre quelques jours après, histoire de justifier, au regard de la société, la perte de virginité de la fille, car elles jugent que le statut de divorcée est plus facile à porter pour la mineure et sa famille que le statut de non vierge», note-t-il.
Une deuxième lacune entachant le cadre juridique de protection des mineurs victimes d’abus sexuels, et pas des moindres, se rapporte à la disproportion entre le crime commis et la peine prononcée. A ce niveau, l’essentiel du problème ne se pose pas au niveau de la loi, mais plutôt au niveau des tribunaux, estime Mohamed Almou.
«Dès lors que la victime de l’abus sexuel est un(e) mineur(e), le législateur tend à alourdir les peines qui vont de 2 à 30 ans de prison, selon la nature de l’acte, c’est-à-dire s’il s’agit d’un attentat à la pudeur avec ou sans violence ou d’un viol, et en prenant en considération les facteurs d’aggravation relatifs notamment aux conséquences physiques de l’agression (s’il y a eu défloration ou pas), au statut socioprofessionnel de l’agresseur et aux liens de parenté ou autres, qu’il entretient avec la victime», précise-t-il.
Si, dans les faits, les peines maximales prévues par le code pénal sont rarement appliquées, aussi cruels les crimes commis puissent être, c’est surtout parce que les juges utilisent à mauvais escient le pouvoir d’appréciation qui leur est conféré par la loi et optent, dans la majorité des cas, pour le strict minimum de peines pouvant être prononcées dans une affaire donnée, s’ils ne prononcent pas des peines en deçà de ce qui est stipulé par le Code pénal, déplore M. Almou.
Cette démarche ne peut être qualifiée cependant d’irrégulière au vu de la loi, selon le juriste, les juges mettant souvent en avant l’âge de l’agresseur, ses problèmes de santé, ses responsabilités familiales et les enfants à sa charge, etc., pour lui faire bénéficier de l’atténuation de la peine. Pire, relève M. Almou, de nombreuses affaires se sont terminées sur des peines dérisoires ou ont été classées sans suite pour la seule raison que l’atteinte sexuelle n’a pas été suivie de défloration.
Pour assurer une meilleure mise en œuvre de la législation, qui soit équitable pour les victimes et dissuasive pour les criminels, l’avocat juge nécessaire la révision des articles du code pénal relatifs aux agressions sexuelles sur mineurs, de manière à réduire l’écart (qui peut atteindre 10 ans) entre la peine minimale et maximale pouvant être appliquée dans un même cas de figure.


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