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La grosse galère des petits agriculteurs

La campagne a triste mine


Chady Chaabi
Samedi 22 Février 2020

Si l’agriculture à l’ère de l’innovation digitale sera le thème de la 15ème édition du Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM), prévu du 14 au 19 avril 2020 à Meknès, de nos jours, l’agriculture nationale affronte une situation climatique qui fait passer toute idée innovante au second plan, dans une atmosphère oscillant entre inquiétude et résignation. Les quatre millions de personnes, correspondant aux employés du secteur agricole, sont dans un tunnel dont ils ne voient pas le bout.   
Priorité du Plan Maroc Vert, les petits agriculteurs, propriétaires de la majorité des exploitations agricoles du pays, à hauteur de 70%, ont pour certains les yeux levés vers le ciel, avec l’espoir que la pluie apparaisse pour enfin étancher la soif de leurs terres arides. Pour les autres, ils ont les rétines rivées sur les écrans de leurs téléphones, sans pour autant constater une quelconque évolution. De nombreuses sources météorologiques ne prévoient pas d’averses, du moins lors de la prochaine quinzaine. Une situation dramatique économiquement parlant, car encore faut-il le rappeler, la part de l’amont agricole correspond à 14% du Produit intérieur brut (PIB).
Alors que les nombreux cycles de sécheresse répétée par le passé n’ont pas empêché le PIB agricole de doubler depuis les années 60, cette troisième année consécutive où la pluie se fait désirer, caractérisée par un déficit pluviométrique de 37,6% par rapport à la campagne 2018-2019, va mettre à mal les bourses des petits exploitants et le pouvoir d’achat des ménages, comme c’est le cas dans la région de Béni Mellal-Khénifra.
Avec 959.000 ha de superficie agricole utile, dont 212.000 hectares irrigués, la région joue un rôle important dans la production agricole du Maroc et y contribue à hauteur de 11 à 28% selon les filières. Contribution qui atteint 90% pour certaines de terroir telles que la niora, le sésame, le grenadier, le cactus …  Abdessamad est à des années-lumière de ces niveaux de production, mais souffre tout autant de cette sécheresse qui revient inlassablement comme un boomerang, d’autant plus qu’à l’instar de la majorité des terres de Béni Mellal-Khénifra, les champs sont non irrigués « Tout jaunit. La végétation souffre. L’année agricole est perdue. Les petits agriculteurs sont dans une détresse sans nom», se désole-t-il.
Facteur essentiel de croissance économique, l’agriculture représente un tiers du produit intérieur brut (PIB) mondial. Mais le dérèglement et le réchauffement climatiques mettent en péril sa capacité à tirer la croissance vers le haut, rendant de fait, chimériques les prévisions marocaines, qui vont de 3,5% (HCP) à 4,6% (CMC). Pis, la situation est tellement critique qu’elle oblige les agriculteurs à mettre toujours plus la main à la poche, faisant passer aux oubliettes toute velléité de rentabilité économique dans un contexte où la notion de retour sur investissement n’a plus sa place. « J’achète de l’essence et donc je dépense beaucoup d’argent pour faire tourner la pompe à moteur et pouvoir irriguer mes champs», nous explique Abdessamad avant d’exprimer sa profonde lassitude : « J’investis tout en sachant qu’il n’y aura aucun retour sur investissement. Et malgré tous mes efforts, je n’en suis qu’à 5% de ce que Dame nature aurait dû faire».
Sauf que voilà, la nature n’est pas d’une grande aide ces derniers temps. Les vannes du ciel n’ont pas été ouvertes et rien ne dit que les choses s’inverseront à court terme. Résultat : A l’exception de la viande dont la courbe des prix ressort en baisse de 4,0%, après onze mois de hausse, toutes les autres denrées ont connu une augmentation, les cours internationaux ont progressé de 2,9% au mois de janvier et les prix du blé, entre autres, ont enregistré la plus forte hausse. Et par ricochet, au Maroc aussi, où, selon le département agricole américain, la production de blé pourrait descendre à 4 millions de tonnes, soit 40 millions de quintaux. Il ne serait donc pas étonnant que les importations comblent ce manque. « L’année s’annonce très mal. Les prix explosent dans le marché des céréales, de la luzerne et de la paille. Le blé par exemple coûte aujourd’hui 70 DH l’hectolitre (Aabra en arabe), alors qu’elle ne dépassait pas les 50 DH il y a quelques années. Passer par l’export va s’imposer », argue Abdessamad. Et comme les petits exploitants ne vivent pas uniquement de l’agriculture, mais aussi de petits élevages composés d’une dizaine de têtes « ils n’ont quasiment plus rien à leur donner. La luzerne coûte en temps normal 35 DH, à présent, elle atteint 80 DH », poursuit-il. Une inflation due à une demande qui dépasse largement l’offre et qui débouche sur une situation critique dont l’ampleur est d’autant plus marquée en cette période de l’année où la luzerne est rare, contrairement à la mi-avril. « Bref, on végète. On s’en sort médiocrement. Il nous faut l’aide du bon Dieu avant tout. Mais l’Etat doit aussi nous tendre la main en nous subventionnant», conclut Abdessamad.
Justement, l’aide de l’Etat, parlons-en. Le sucre et les céréales, la Caisse de compensation en fait son affaire. Mais pourrait-elle supporter indéfiniment ces déséquilibres qui deviennent la norme après avoir constitué pendant longtemps une forme d’exception ? Une chose est sûre, la Caisse de compensation est certes un remède efficace à la hausse des prix pour le plus grand soulagement des ménages, mais elle ne peut rien en cas de souffrance et de désarroi des agriculteurs, sans oublier les apiculteurs. Toujours dans la région de Béni Mellal, l’un d’entre eux avoue « vivre une galère sans nom. La sécheresse mène la vie dure à tous les êtres vivants dépendant de la flore. Nous y compris. A cause de la pluie qui se fait attendre, les fleurs n’éclosent pas et par conséquent, les abeilles n’ont rien à butiner ». Pourtant, l’infime espoir qui lui reste est lié à contre-courant. Et pour cause, les apiculteurs qui comptent sur la floraison des orangers redoutent maintenant la pluie alors que quelques mois auparavant, ils ne juraient que par elle. « Les fleurs d’oranger ont besoin d’un soleil éclatant en mars pour éclore et servir le nectar aux abeilles. S’il pleut d’ici là, on sera dans de sales draps », s’alarme-t-il.
Cette contradiction n’est pas sans rappeler celle qui définit le lien entre l’agriculture et le réchauffement climatique coupable d’épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents. En effet, difficile de nier que l’activité agricole, l’exploitation des forêts et le changement d’affectation des terres contribuent au changement climatique. Comment ? Tout simplement car ils sont à l’origine de 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). En sus, l’agriculture absorbe 70 % de la consommation d’eau et est à l’origine de niveaux de pollution et de gaspillage insoutenables. En d’autres termes, l’agriculture donne le bâton pour se faire battre, puisqu’elle est en grande partie responsable de la situation critique dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.


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