L’interculturalité en débat


Par Brahim Mouradi
Jeudi 18 Mai 2017

L’interculturalité est au cœur des interrogations, les étudiants  en sont demandeurs et l’heure est au débat. A la faculté polydisciplinaire d’Errachidia, Ghita El Khayat est la mieux placée pour échanger, presque deux heures durant, sur différentes questions de cette problématique d’actualité. Les 11 et 12  mai courant, la conférence de cette écrivaine, psychiatre et anthropologue marocaine attire un grand nombre d’étudiant(e)s, enseignants et d’autres potentialités intellectuelles de la capitale de Draâ-Tafilalet.
Avec sa grande connaissance des différentes cultures du pays et du monde, l’intervenante a pu prendre le temps d’un échange tout le monde en un beau voyage culturel. Elle entama ainsi sa communication par la facette locale, pour aller, par la suite, embrasser la dimension universelle. L’interculturalité étant un élément qui commence d’abord par les variétés culturelles dans le même pays, dit-elle.
Pour elle, le Maroc est le pays le plus adéquat pour susciter le débat interculturel en raison de sa richesse culturelle véhiculant la culture arabe, berbère, juive et hassanie. Mais, selon elle, la richesse culturelle marocaine ne se limite pas à ce niveau, il est aussi important de signaler qu’au sein de chaque culture, on trouve des cultures différentes ; ainsi se scinde la culture marocaine dans son entièreté. L’écrivaine insiste, de ce fait, sur la nécessité de connaître, de reconnaître et d’estimer la culture locale ; autrement, les Marocains, avant de s’ouvrir sur d’autres cultures, doivent d’abord être conscients de leur identité culturelle.
Sur ce point, El Khayat, avant d’esquisser sa communication sur l’interculturel, se trouve confrontée à un danger imminent qui ne cesse de nous menacer actuellement, c’est la globalisation et son produit morbide : le capitalisme. « Le capitalisme sauvage écrase les cultures, les littératures, la pensée…Le capitalisme ne produit plus de la pensée», annonce-t-elle. En effet, si la production intellectuelle, idéelle, et culturelle est absente dans le passé, c’est parce que le capitalisme ne veut pas  que les gens soient instruits, érudits ; il en fait seulement des objets passifs, inertes, une cible de consommation et d’augmentation du capital.
Pourtant, insiste El Khayat, pour nous, les gens du tiers-monde, nous ne devons pas rester passifs, nous ne devons pas nous taire ou lever les drapeaux blancs face à ce phénomène dévastateur ; à l’inverse, nous devons agir et réagir. Pour elle, la solution la plus efficace pour faire face au monstre capitaliste est la lecture, mais, malheureusement, on ne lit plus actuellement, tout le monde suit et adore l’argent fade ou plonge incessamment  dans les annonces publicitaires maladives qui vénèrent sans relâche l’esprit matérialiste, globalisateur. C’est ici où réside le rôle des responsables et des intellectuels quant à la question de la refonte  et la défense de la culture, de la lecture, et de l’érudition des peuples.
 «Il faut offrir du bien aux peuples»,  ajoute El Khayat. Le bien, selon elle, signifie l’art, la culture, la littérature et tout ce qui travaille l’esprit humain. L’esprit humain a besoin de nourriture intellectuelle, car l’homme n’est homme que par la culture, sans elle, il serait barbare et peut être aussi sauvage. Par conséquent, nous devons être culturels, et nous ne le serons que via la lecture et l’ouverture sur l’autre. Nous ne sommes humains que par ce qu’on apporte à l’humanité, et ce que nous pouvons apporter à l’humanité s’inscrit dans tant de domaines dont l’intellectuel, l’artistique et le scientifique, insiste bien l’écrivaine.
Après avoir analysé la situation affreuse du notre monde dit moderne, El Khayat explique à l’audience que la possibilité d’une interculturalité, bien qu’on vive en pleine globalisation, est encore envisageable. Commençant toujours par le Maroc, l’écrivaine parle du mariage comme étant une motivation de l’interculturalité : les époux, porteurs de différentes cultures, exercent l’interculturalité sous motif et stimulus de l’amour. Ainsi l’interculturalité commence à la petite société (famille), à l’entre-personnes pour arriver en fin de compte à l’entre-nations. Ce dernier niveau est un peu compliqué et, partant, exige plus d’attention et de précaution, car il s‘agit de dialogue des identités et des sensibilités.
La culture d’une nation est son essence. Cette essence, quant au processus de l’interculturalité, doit être à la fois fermée pour se défendre et ouverte pour se nourrir, d’où le danger de l’assimilation et de l’aliénation. Car, pour l’écrivaine, l’interculturalité est la question de l’insertion dans le monde, laquelle peut conduire parfois à la fascination et peut-être au suivisme aveugle de la culture étrangère. Mais, en tout cas, le dialogue des cultures doit se faire, parce que, selon la psychiatre, seule la culture peut sauver le monde, peut lui amener la  paix et la sécurité et, ipso facto, nous devons permettre la communication entre nos cultures afin que l’humanité, qui est une valeur commune et partagée entre nous tous, puisse nous unir et faire de nous un seul corps qui rassemble tous les organes qui en forment le tout.
A son tour, le corps universitaire local se voit interpellé par cet important apport intellectuel. Leurs réactions ont porté sur ce rapport entre cultures locales et cultures universelles, la diversité et l’intégration ainsi que la relation des cultures dominantes et les cultures dominées. Les professeurs Atmane Bissani et Mohamed Ouhadi qui ont modéré cette rencontre, n’ont pas manqué d’exprimer leurs réflexions à ce sujet, en évoquant le rôle de l’art, de la littérature  et de tout ce qui peut nourrir le dialogue interculturel. Les étudiants-chercheurs  ont enrichi le débat  en insistant sur la responsabilité de chacun d’entre nous dans le monde : tout être humain doit, par nécessité,   être engagé pour défendre les valeurs humaines, à savoir l’amour, la fraternité, la solidarité, l’humanisme, l’altérité, le vivre-ensemble… car seules ces valeurs peuvent ranimer notre monde qui a, à notre époque, perdu son âme.


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