L’iniquité consacrée par une réforme vouée à l’échec

La faillite patente de la politique éducative passée au crible par le Groupe socialiste-Opposition ittihadie


Mehdi Ouassat
Mercredi 21 Mai 2025

A l’occasion de la séance mensuelle des questions orales adressées au chef du gouvernement, le Groupe socialiste –Opposition ittihadie a livré une critique aiguisée, profonde, et, disons-le franchement, salutaire, de la politique actuelle en matière d’enseignement, et en particulier du projet des écoles dites «de la Riada» (écoles pionnières).

Les députés ittihadis ont porté une charge implacable contre ce qu’ils considèrent comme une dérive technocratique et élitiste de la réforme éducative. Il ne s’agissait pas d’un simple désaccord politique, ni d’une posture idéologique. Ce fut un réquisitoire structuré, fondé sur une analyse lucide de la réalité du système éducatif marocain. Un plaidoyer pour une école publique équitable, inclusive et véritablement réformatrice.

Mahmoud Abba, voix constante des Ittihadis dans l’hémicycle, a rappelé que derrière l’étiquette flatteuse d’«écoles pionnières» se cache une expérience incomplète, déséquilibrée et structurellement inadaptée aux enjeux de l’école marocaine. Selon lui, cette initiative, présentée comme la vitrine du nouveau modèle éducatif, est en réalité le reflet d’une réforme bancale, fragmentée, mise en œuvre sans vision globale.

«Nous approchons de la fin du mandat législatif avec une réforme éducative qui, loin de corriger les écarts, les creuse davantage», a-t-il déclaré, ajoutant que cette politique renforce les disparités internes à l’école publique elle-même. Une réalité insoutenable, illustrée par des enfants passant les mêmes examens nationaux mais avec des niveaux de préparation inégalitaires, dès le départ. Inégalités de moyens, d’encadrement, d’environnement. Inégalités criantes, institutionnalisées.

Le projet des écoles de la Riada a tout d’un mirage technocratique. Les chiffres sont séduisants, les discours bien rodés et les PowerPoint ministériels rassurants. Mais comme l’a souligné avec justesse la députée ittihadie, Hanane Fatras, cette réforme «réussit sur le papier, mais échoue dans les salles de classe». Derrière les statistiques brillantes et les évaluations commandées à des cabinets internationaux, une question demeure: à qui profite réellement cette réforme?

Pour Fatras, la réponse est claire. «Le gouvernement affiche une loyauté quasi doctrinaire envers le privé, alors même qu’il est censé jouer un rôle moteur dans la consolidation de l’Etat social». Elle ne mâche pas ses mots : «Cette réforme n’est pas neutre. Elle porte en elle une logique de démantèlement de l’école publique, une marchandisation rampante du savoir».
Et le procédé est connu. Le recours systématique à des institutions étrangères pour l’évaluation – au nom d’une objectivité présumée – est non seulement coûteux, mais méprisant à l’égard des compétences nationales. Surtout, il est déconnecté du vécu culturel, linguistique et social des élèves marocains. A force de vouloir importer des modèles éducatifs étrangers sans les adapter, le risque est grand d’implanter des dispositifs hybrides, inopérants et, au fond, étrangers aux réalités du pays.

Mohammed Abba a également mis en lumière un aspect souvent négligé, mais ô combien déterminant: la surcharge bureaucratique imposée aux enseignants. «Inondés de circulaires et d’instructions, les enseignants sont paralysés dans leur mission d’éducateurs. Leur liberté pédagogique est muselée, leur créativité étouffée». Il y voit un symptôme clair d’une réforme conçue sans les premiers concernés. Et cela, dans un contexte où les enseignants subissent une dévalorisation croissante, comme l’a également souligné Hanane Fatras: «Le système affaiblit leur rôle, les transforme en simples exécutants de consignes venues d’en haut».

L’iniquité consacrée par une réforme vouée à l’échec
Mahmoud Abba
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L’école publique
n’est pas un vestige
à rafistoler à la marge.
Elle est le cœur battant
de notre avenir commun
Or, si le gouvernement estime qu’un enseignant coûte cher, un mauvais enseignant – découragé, mal formé ou démotivé – coûte infiniment plus cher à la nation. On oublie trop souvent que l’école ne se réforme pas uniquement à coups de briques et de câbles à fibre optique. Les infrastructures comptent, certes. Mais l’âme d’un système éducatif, ce sont ses enseignants, son projet pédagogique, sa cohérence, sa boussole. Et cette boussole, le gouvernement semble l’avoir perdue.

C’est justement cette perte de repères que dénonce vigoureusement le Groupe socialiste. La loi-cadre issue de la vision stratégique du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, fruit d’un long processus participatif, avait balisé une voie claire. Un consensus national rare, que le gouvernement a choisi d’ignorer. «Cette vision stratégique, pourtant approuvée par toutes les forces politiques, est aujourd’hui abandonnée, effacée d’un trait de plume par un ministre de la majorité dans un geste aussi léger qu’irresponsable», s’indigne Abba.

Résultat? On assiste à un retour inquiétant à la case départ: nouvelles consultations, nouveaux diagnostics, nouvelles promesses. Une réforme de la réforme. Un diagnostic du diagnostic. Pendant ce temps, les élèves s’égarent, les enseignants s’épuisent et le système s’enlise. L’éducation devient otage des alternances politiques, piétinée par l’improvisation et le court-termisme.

L’iniquité consacrée par une réforme vouée à l’échec
Hanane Fatras
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Le gouvernement
affiche une loyauté quasi
doctrinaire envers le
privé, alors même qu’il est
censé jouer un rôle moteur
dans la consolidation
de l’Etat social

Le Maroc, lui, continue de glisser dans les classements internationaux. Le dernier rapport mondial sur l’éducation le classe 63ème sur 72 pays. Une statistique douloureuse. Un signal d’alarme. «Ce classement n’est pas seulement une donnée, c’est un verdict», affirme Fatras. «Il consacre l’échec d’un modèle construit à rebours des priorités nationales. Il est le fruit amer d’une logique de réforme dictée par des institutions financières internationales, qui imposent des choix antisociaux: privatisation, réduction des dépenses, démantèlement du service public».

Le constat est implacable : derrière l’étiquette flatteuse des «écoles pionnières», c’est un modèle élitiste qui se construit, aux dépens de l’universalité et de l’équité de l’enseignement. Un modèle où l’on investit massivement dans des vitrines pendant que le reste du bâtiment s’effondre. Un modèle qui tourne le dos à l’engagement national pour une école pour tous, en la réduisant à un laboratoire d’expérimentation au service d’une idéologie libérale importée.

Le Groupe socialiste –Opposition ittihadie n’a pas seulement formulé des critiques. Il a posé les jalons d’un autre chemin. Celui d’une réforme éducative intégrée, inclusive, fondée sur la loi-cadre et la vision stratégique. Une réforme qui donne la priorité à l’école publique, aux enseignants, aux pédagogies adaptées aux réalités sociales. Une réforme qui refuse de choisir entre excellence et équité, mais qui s’emploie à les réconcilier.

Mohammed Abba l’a résumé ainsi : «L’école publique n’est pas un vestige à rafistoler à la marge. Elle est le cœur battant de notre avenir commun. Et si nous échouons à la réformer, nous échouons en tant que nation». Et Fatras d’ajouter: «L’école, ce n’est pas un laboratoire. C’est un contrat social. Un engagement solennel de l’Etat envers ses citoyens. Et cet engagement ne peut être délégué ni marchandisé. Il doit être défendu, renforcé, sanctuarisé».

À l’heure où tant de pays réaffirment la centralité de l’éducation dans leur projet de société, le Maroc ne peut se permettre un pas de côté. L’enjeu n’est pas seulement scolaire, il est civilisationnel. Car «ouvrir une école, c’est fermer une prison». Il ne s’agit pas ici d’un simple aphorisme littéraire, mais d’un acte de foi politique.  Les Ittihadis n’ont jamais cessé de défendre ce principe simple mais fondamental : l’école publique est un bouclier social avant d’être une institution pédagogique. Héritiers d’une tradition politique profondément ancrée dans les valeurs de justice, d’égalité et de progrès, les Ittihadis continuent de croire que chaque école ouverte est une brèche dans le mur de l’injustice sociale et un rempart contre la reproduction des inégalités.

C’est dans cette lignée que Mohammed Abba et Hanane Fatras s’inscrivent lorsqu’ils rappellent, à leur manière, cette conviction forgée au feu de décennies de lutte : l’éducation n’est pas un luxe que l’on optimise, c’est une promesse qu’on honore.

Mehdi Ouassat


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