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L’hôpital a mal, la preuve par le CHU Ibn Rochd : Ces malades qui souffrent doublement


Rida Addam
Mercredi 5 Janvier 2011

L’hôpital a mal, la preuve par le CHU Ibn Rochd : Ces malades qui souffrent doublement
Malheureux est celui qui tombe malade au Maroc. Surtout quand ses
propres moyens ne lui permettent pas l’accès aux cliniques huppées où chaque service est payé au prix fort. Loin des
cliniques, les usagers des
centres
hospitaliers sont dans la galère. Leur calvaire est sans limites.
Et pourtant, tout un tapage
médiatique accompagne
les quelques
tentatives de réformes lancées par le ministère de tutelle, mais qui restent loin des attentes des malades. Les passe-droits font encore des ravages.
Libé a vécu
l’expérience de ce calvaire auquel s’exposent
quotidiennement les malades démunis devant le portail d’accès du centre
hospitalier Ibn Rochd à Casablanca. Cette catégorie de gens qui
souffre
doublement
n’a pas d’autre alternative que d’adhérer à la règle générale ou faire le pied de grue devant le portail. Pour s’en apercevoir, il
suffit de s’y
rendre. Reportage.

Ahmed est un chauffeur de taxi. Ce septuagénaire est malheureux depuis vendredi dernier. Sont fils, Khalid, a eu un accident. Un automobiliste l’a heurté avant de prendre la fuite. Depuis, ce jeune homme de 24 ans est hospitalisé à l’Hôpital Ibn Rochd où il n’a pas été facilement admis. Aux  urgences, il a été obligé de transporter son fils à bord d’une ambulance privée à la clinique que le médecin traitant lui a conseillée pour lui faire des radiographies. «Le médecin des urgences nous a réclamé plus de six clichés en sus du scanner de la tête pour s’assurer que mon fils n’avait rien. Et enfin de compte, il nous a affirmé que Khalid en coma est grièvement atteint à la tête. D’où l’obligation de l’hospitaliser immédiatement», raconte le père que nous avons rencontré lundi soir devant le portail de l’Hôpital Ibn Rochd. Ceci dit, «il fallait payer à la fois les 80 DH de la consultation dans les urgences, les 2800 DH des différentes radiographies et du scanner, les 950 DH de l’ambulance et les frais d’hospitalisation et des soins. Sans oublier les quelques prébendes. En somme, la première nuit nous a coûté plus de 5.000 DH», grogne Ahmed. C’est d’ailleurs le cas de tous les accidentés et des malades qui arrivent aux urgences. A l’instar des autres hôpitaux, le Centre hospitalier Ibn Rochd (Ex-Maurice Gault) ne dispose pas de service de radiologie. Les appareils manquent d’entretien. Ce qui oblige les patients à faire leurs radiographies et leurs analyses à l’extérieur. Souvent dans les centres spécialisés juste en face.
Devant le portail de l’hôpital, Ahmed et les autres attendent leur tour pour accéder au site. Au-delà de cette grille bien gardée par les vigiles, leurs proches attendent leur arrivée avec impatience. Les parents apportent quotidiennement des vivres, des vêtements propres et des couvertures aux malades. Pour ce faire, ils doivent adhérer à la règle du jeu instaurée illicitement par les différents agents de sécurité et certains membres du personnel de l’hôpital pour les visites en dehors des temps réglementaires. «Le favoritisme, le bakchich et les passe-droits demeurent toujours de mise. Nous sommes obligés de verser aux agents la somme de 30 DH pour franchir le portail en dehors des heures de visite réglementaires. Idem pour franchir les autres portes d’accès aux différents services où sont hospitalisés nos proches.», avoue Ahmed, fatigué d’attendre son tour. Les vigiles n’autorisent jamais l’accès à leurs «clients» élus par les gardiens de voitures et le vendeur de détails ayant pignon sur rue juste devant le portail. C’est une opération interdite et risquée qui se passe loin des yeux des professeurs et des différents directeurs. Ces derniers n’autoriseraient jamais ce deal. Surtout que la note affichée sur les murs interdit toute sorte de favoritisme et de corruption à l’intérieur de l’hôpital. Mais personne ne s’en fait outre mesure. A preuve, l’agent fait signe à Ahmed. Celui-ci, rodé depuis quelques jours à cet exercice, ramasse rapidement ses sacs en plastique et un matelas tout neuf qu’il vient d’acheter le matin même du célèbre Derb Omar à Casablanca et court vers la porte. Il nous invite à le suivre. Il paraît qu’Ahmed a déjà payé pour nous aussi les incontournables « frais d’accès ». Cette transaction précède souvent l’entrée et c’est le détaillant de  cigarettes qui s’en charge. Une fois sur la grande cour de l’hôpital, Ahmed se précipite. Il lui est interdit de s’arrêter. Les consignes sont claires : «Ne jamais s’arrêter avant d’atteindre la porte du service concerné. Ne jamais désigner l’agent ou le personnel qui nous ont facilité l’accès et surtout ne pas se plaindre auprès des professeurs et des membres de l’administration.», précise Ahmed. Et ce n’est pas tout : «La plus importante des consignes est celle d’avoir de la monnaie ». Les appariteurs n’en rendent jamais.

               Ils ne veulent pas risquer leurs postes en cas de visite à l’improviste de l’un des cadres de l’administration et des professeurs qui interdisent ce type de deal », nous confirme Ahmed. Des consignes auxquelles même les visiteurs « privilégiés » adhèrent contre leur gré. Surtout ceux qui habitent loin de la métropole et que les horaires officiels des visites  n’arrangent pas. «Pour nous, il est impossible d’attendre 17 heures pour voir notre fils, surtout que nous habitons Bejaad. C’est pourquoi on préfère verser les 30 DH aux gardiens qui nous favorisent l’accès au service où notre fils est hospitalisé que de passer toute la nuit dans la rue à attendre la cohue du lendemain», nous a confié un vieux couple.  Une fois devant la porte d’accès au service de réanimation, Ahmed sort à nouveau son sésame. Une demi-heure plus tard, il quitte ce service. Un sac dans la main, il se précipite vers la sortie de la même manière. Entre-temps, nous avons profité de l’occasion pour faire le tour des lieux. Dans un service de l’autre côté de la bâtisse, nous avons rencontré un vieil homme qui nous a confirmé que lui aussi a bel et bien bénéficié des « largesses » des agents de sécurité. Il nous a même surpris en nous affirmant que ces derniers ont été super gentils avec lui. «Pour 500 DH, on m’a fait faire toutes les radiographies demandées. Ils ont eu pitié de moi, car je suis très malade et je ne peux faire l’aller-retour vers  l’un des centres privés. En plus, je suis fatigué de payer à chaque entrée. C’est pourquoi j’ai préféré verser cette somme une bonne fois pour toutes. Là, il ne me reste plus qu’à acheter les médicaments et à rentrer chez moi», affirme ce vieil homme visiblement satisfait de son acte. Un acte, qui de fait, ressemble à une incurable gangrène.

Ce qu'il faut pour accéder à l'hôpital Ibn Rochd
Accéder à l'hôpital Ibn Rochd n'est certes pas chose facile. Il faut être avant tout un brave «guerrier» et avoir la patience de Job. Mais il ne faut surtout pas oublier de faire la monnaie, car dès le portail d'accès des prébendes sont exigibles du commun des mortels. N'attendez surtout pas de reçu. Il s'agit uniquement d'une «dotation» non réglementaire mais applicable par la force des choses. Souvent des courtiers (le vendeur de cigarettes en détail et les gardiens se chargent de négocier les transactions à la place des vigiles). Les agents de sécurité privée inaugurent ainsi, le bal avec 30 DH pour préparer psychologiquement les «patients-clients» au système qui règne dans l'enceinte de l'hôpital : le favoritisme, le bakchich et les passe-droits. Ici, tout a un prix, loin des yeux des professeurs, des différents directeurs ou tout autres dignes responsables. Outre les incontournables prébendes, les frais de consultation et d'hospitalisation fixés officiellement par l'administration grèvent les budgets des familles. «Pour toute consultation, n'oubliez pas de vous munir d’une bourse (100 DH si vous allez consulter un professeur et 60 DH pour un spécialiste)», stipule l'administration de l'Hôpital Ibn Rochd dans son site web. Celle-ci précise également l'obligation de fournir «la fiche ou la lettre de liaison, la carte de rendez-vous, la carte de mutuelle si le patient en dispose, la quittance de paiement lors de la précédente consultation si celle-ci date de moins de 15 jours, les résultats des examens ou des radios déjà réalisés (le plus souvent à l'extérieur) et le billet de sortie pour les patients ayant été hospitalisés auparavant», énumère une note publiée sur ledit site. 


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