L’homme normal de Youssef Abouali : Un réquisitoire contre la médiocratie


Par Ahlam Eddaou
Jeudi 27 Août 2020

Dans la droite ligne du Passé simple de Driss Chraïbi, le roman de l’écrivain et professeur universitaire Youssef Abouali portant le titre de “L’homme normal” est un virulent réquisitoire contre une société et une culture considérées comme stériles et castratrices. L’action de situe au début du troisième millénaire et se déploie à travers trois miroirsqui correspondent à trois narrateurs. Chacun d’eux propose une vision de la même histoire dans une approche qui n’est pas sans rappeler le choix esthétiques d’un autre parrain littéraire de l’auteur, Albert Camus en l’occurrence. En effet, la première partie est sous forme d’un journal intime auquel ne manque que la précision exacte de l’année. Manque prémédité sans doute. Le lecteur comprend assez vite qu’il s’agit d’ « un écrit sur commande » en faveur du psychothérapeute du héros. C’est un récit de tous les drames qui ont jalonné sa vie et l’ont amené à se faire suivre. Mais à peine l’illusion référentielle créée qu’un nouveau narrateur apparaît pour démentir tout ce qui a été pris pour de l’argent comptant. Les chapitres retrouvent dans la deuxième partie une organisation classique avec des numéros et l’utilisation des temps du récit. Partie où l’on découvre les motivations purement expérimentales du héros qui se plaît à démasquer son thérapeute et sa discipline qui ne lui inspirent aucune confiance ; tout au contraire, il l’assimile à de la charlatanerie moderne et à l’exploitation sans vergogne de la vulnérabilité des souffrances des patients. La partie se termine sur les prémicesd’une histoire d’amour foudroyante. A peine commencée que le narrateur disparaît définitivement pour laisser place à la narratrice de la troisième partie, l’âme de Malak. Profitant de son omniscience, elle livre sa version transcendante de la même histoire. Là encore, des changements profonds sont opérés tant au niveau formel que stylistique. Les chapitres ont désormais des titres. La langue est poétique et les verbes osent les temps du discours. Cette dernière partie, qui constitue la moitié du roman, est là pour montrer que Kaamil le héros et son amoureuse Malak sont des anges déchus dans une société qui cassetout individu qui prétend à une singularité ou une différence, une société qui assassine toute ambition jurant d’avec sa sacro-sainte normalité. Le roman est effectivement une interrogation sur cette notion et l’ironie qui le parsème de bout en bout est une façon de dire que c’est une chimère, voire un frein qui empêche les individus de s’épanouir. Ainsi le héros qui est un professeur de littérature se sentant les capacités de ses grands auteurs favoris se voit récupéré par une réalité médiocre qui le condamne à réaliser non pas ses rêves grandioses de création et d’originalité mais ce derrière quoi toute sa classe socioprofessionnelle court le souffle coupé, les rêves de monsieur-tout-le-monde, des droits primaires transmués par la force implacable de la médiocratie ambiante. Le roman se clôt sur un épilogue d’autant plus captivant qu’il brise l’équilibre parfait des trois parties (15 chapitres chacune) et qu’il n’en finit pas de rebondir jusqu’à la dernière ligne. Lisez-le ! Il ne vous laissera certainement pas indifférent. 

 * Agrégée de lettres françaises


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