L'extradition qui fait jaser

La société civile tunisienne n’en démord pas après le refoulement vers l’Algérie du réfugié Suleiman Bouhafs


Hassan Bentaleb
Mercredi 1 Septembre 2021

L'extradition qui fait jaser
La Tunisie est-elle un pays sûr pour les demandeurs d’asile et les réfugiés ? «Non», à en croire certaines composantes de la société civile tunisienne qui ont révélé dernièrement au grand jour l’extradition d’un activiste algérien vers l’Algérie alors que ce dernier jouit de statut de refugié accordé par le HCR. Selon un communiqué signé par 34 associations et organismes, Suleiman Bouhafs (54 ans), activiste politique algérien, aurait disparu dans des circonstances mystérieuses. Selon la même source, des témoins ont rapporté que des voitures avec des plaques d’immatriculation inconnues se seraient présentées le 25 août devant la maison où réside l'activiste algérien et que ce dernier aurait été conduit à un lieu non identifié. Des médias algériens ont annoncé, par la suite, que Suleiman Bouhafs a été remis par les autorités tunisiennes à leurs homologues algériennes, où il sera présenté devant la justice algérienne. «Ce qui est sûr, c’est que Suleiman est incarcéré auprès de l’un des services sécuritaires. Nous sommes en train d’enquêter sur cette question d’aurant que les autorités tunisiennes gardent le silence », nous a indiqué Moez Jemea, journaliste tunisien. Et d’ajouter : « L’affaire s’avère grave puisque la Tunisie n’est pas à sa première violation des droits des réfugiés. Elle a déjà extradé l’ex-Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi vers la Libye lors du gouvernement de troïka (gouvernement de coalition dirigé par Hamadi Jebali puis Ali Larayedh). A cette époque, le président de la république a déclaré que l’extradition a été effectuée sans qu’il soit informé». Premier ministre jusqu’aux derniers jours du régime Kadhafi, Baghdadi Mahmoudi avait été arrêté le 21 septembre 2012 en Tunisie alors qu’il cherchait à gagner l’Algérie. Il est resté incarcéré depuis, Tripoli ayant réclamé son extradition à deux reprises. La justice tunisienne avait répondu favorablement à cette demande, mais l’extradition contestée notamment par des associations de défense des droits de l’Homme, était restée en suspens. L’ancien président par intérim, Fouad Mebazaa, n’avait, lui, jamais signé le décret d’extradition. Les défenseurs tunisiens de l’ex-Premier ministre libyen ont rappelé que leur client avait fait une demande de statut de réfugié politique auprès du HCR (Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés) et que l’extradition intervenait avant la réponse de l’Organisation internationale. Aujourd’hui, l’histoire se répète avec Suleiman Bouhafs qui jouit du statut de réfugié accordé par le HCR sous le numéro 255-15 C0059 valable jusqu'en septembre 2022. Un statut qui interdit tout refoulement vers un pays où l’intéressé a des raisons de craindre la persécution. Ceci d’autant plus que ce principe est largement accepté par les Etats, y compris la Tunisie, signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967 ainsi que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984. En effet, la Convention de 1951 édicte, au paragraphe 1 de son article 33, qu’«aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques». Il convient également de mentionner la Déclaration des Nations unies sur l’asile territorial, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale en 1967. Au paragraphe 1 de son article 3, cette déclaration dispose qu’«aucune personne visée au paragraphe 1 de l’article premier ne sera soumise à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière ou si elle est déjà entrée dans le territoire où elle cherchait l’asile, l’expulsion ou le refoulement vers tout Etat où elle risque d’être victime de persécutions». Au niveau régional, la Convention de 1969 de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés d’Afrique énonce, sous une forme obligatoire, plusieurs importants principes relatifs à l’asile, notamment le principe du non-refoulement. Selon le paragraphe 3 de l’article II, «nul ne peut être soumis par un Etat membre à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière, le refoulement ou l’expulsion qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour les raisons énumérées à l’article 1, paragraphes 1 et 2». Du côté des autorités tunisiennes, c’est silence radio et en l’absence d’une réaction officielle de leur part, les organisations tunisiennes signataires du communiqué précité affirment que l'établissement de relations d'amitié avec un Etat ami ne devrait pas être au détriment des obligations internationales qui protègent les réfugiés et les demandeurs d'asile et du principe de non-refoulement et de non-extradition. A ce propos, elles invitent l'Etat tunisien à respecter ses engagements internationaux dans cette situation précise et à garantir la protection des droits de l'Homme et des droits des réfugiés. 


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