L’écriture, une maladie ou un pouvoir ?


Azeddine Safi *
Mardi 31 Mai 2011

 L’histoire révèle   que  les grands  mystiques tels  Saint Paul, sainte Térèse et autres sont épileptiques. Certains chercheurs avouent que  l’épilepsie permet une ouverture vers  la révélation intégrale du monde et sublime le dérèglement nerveux qui aboutit à la vision. Les écritures littéraires et cinématographiques sont ouvertes à leur tour  sur une éternelle rumination, hallucination visuelle, propre à la maladie de l’épilepsie. Dans Notes d’un souterrain, 1864,  de  Fiodor, Mikhaïlovitch Dostoïevski, Le narrateur écrit « Je suis un homme malade…je suis un homme méchant. Un homme plutôt repoussant ».  L’écrivain  devient par la force de son manuscrit  un autre être humain attaqué par une sorte de folie, une épilepsie et une démesure que les Grecs ont surnommé l’hybris ou la maladie du pouvoir. Cette souffrance pousse les artistes à défier la volonté de la doxa  en voulant se débarrasser de la réalité vécue. Le châtiment de l’hybris, selon les grecques, était la Némésis ou la « destruction ». Hérodote l'indique clairement dans un passage significatif : « Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure[]. ». La mythologie reflète  des récits mettant en scène des personnages punis pour leur  hybris envers les dieux : Tantale, Minos, Atrée et autres, sont tous maudits pour cette raison. Le châtiment était sévère puisque ces personnages se comparent aux dieux des Grecs par la puissance de donner la mort ou d’octroyer la grâce.  Cette maladie du pouvoir devient pourtant auteur de la création chez les écrivains et artistes. 
L’écriture, par la confrontation aux règles qu'elle est tenue de suivre par l’ordre établi, prend la mesure de l'organisation sociale dont elle devait faire partie. Hors de cet ordre, certains  auteurs ont été condamnés à l’oubli ou à l’emprisonnement par leur audace de révéler le non-dit. D’autres ont été exilées,  notamment dans les pays du tiers monde,  faute d’exprimer le pouvoir de leur témoignage et de leur création. Les auteurs maghrébins  dites  consacrés, comme Mohammed Dib, Rachid Boudjedra ou Tahar Ben Jelloun, se sont  portés volontaires pour vivre en Europe et écrire, en d’autres manières, sur les douleurs de leur pays. Ces auteurs savent bien que le contrat social  a été signé sur leurs dos. Dénoncer la pédophilie, la censure, la corruption, est leur appétit.  Ils  témoignent  d’être dans un monde  schizophrène. Mohammed Dib annonce que  « Notre malheur est si grand qu'on le prend pour la condition naturelle de notre peuple ! »  Tahar Ben Jelloun ajoute que  « nous sommes dans une société d’hypocrites » . Il a fallu donc être contaminé par l’hybris pour pouvoir évoquer les malheurs de sa société et subir la damnation.
Le pouvoir de l’image est pourtant le processus de communication le plus puissant et le plus chargé d’émotion parce qu’il permet de transmettre, en un clin d’œil,  une énorme quantité d’informations dont la plus grande partie sans que nous en soyons conscient. Marguerite Duras était fascinée par le criminel de ses films : Rodrigo Paestra dans Dix heures et demie du soir en été, le meurtrier de trois personnages dans Nathalie Grang pour ne citer que ceux-ci, deviennent  tels  des artistes. Ils possèdent un pouvoir singulier, divin d’une certaine manière, d’être omniscient, voire même celui de donner la mort ou de gracier, et que l’acte criminel possède  d’une transgression analogue à celui de l’écriture. Toute écriture ou travail artistique se trouve néanmoins  en possession d’un pouvoir exerçant  en effet une certaine hypnose incontestable, autant sur ceux qui le subissent que sur ceux qui l’exercent.

Faculté des lettres et sciences humaines- Fès 


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