L’art pictural et l’épistémologie de l’essentiel

De “l’art de la science” à “la science de l’art”…


Ahmed Harrouz
Jeudi 22 Octobre 2020

L’art pictural et l’épistémologie de l’essentiel
L’art pictural, en dessin, peinture, gravure, sculpture, photographie (ou design, installation, performance, vidéo,..), nous propose et nous impose un autre langage qui n’est ni celui du verbe ni celui de la connaissance intellectuelle. Et c’est ainsi qu’il nous pose le défi de voir si notre sensibilité humaine -individuelle ou collective- et notre intelligence visuelle peuvent réellement voir et percevoir le contenu du message et l’esthétique de sa formulation, en termes de questions, de constats, de symboles, de postulats ou de réponses aux manques ou aux questionnements.

La philosophie en tant que « philosophia » (amour de la sagesse), ou recherche de la vérité ou réflexion critique à l’égard de l’Etre, existentiel, spirituel, socioculturel, économique ou politique, nous invite et nous incite à la nécessité -et l’obligation- même- du raisonnement logique pour répondre avec rigueur à la grande question qui découle des petites et relatives réponses à de petites et relatives questions de l’existence. Au sein même de - et dans la profondeur du raisonnable - la philosophie et de la théorie de la connaissance, la verification et la mesure de la philosophie des sciences nous interpellent pour devoir valider et confirmer le raisonnement et la justification scientifique dans tel ou tel domaine, sans aucune implication idéologique, afin de laisser faire construire le raisonnement scientifique sur une base logique qui permet la vérification du constat, du postulat et de la déduction

L’épistémologie, traitant du déterminisme socio-historique et intellectuel, -ainsi que de la validité même- de tout postulat ou « théorie scientifique », nous enseigne et nous impose le devoir et la lucidité à l’égard de la possible (ou impossible) validité de telle ou telle « théorie scientifique » -ou de sciences mêmes-, qu’elles soient celles qu’on qualifie de « sciences exactes » ou « sciences humaines » ou « sciences sociales » (ou dans le domaine technique des arts et des métiers). Dans le même sens, les « modèles théoriques » ne sont pas exclus de la nécessaire vérification de cette même validité scientifique, vu ce qu’ils risquent aussi d’impliquer comme entendement.

Tout cela, en retenant que l’« objectivité scientifique » supposée demeure déterminée par l’ère culturelle et historique dans laquelle elle est affirmée et prétendue, ainsi que de la limite du savoir des « savants » de cette ère ; ceci en sachant -comme l’affirmait Michel Meyer-, que cette même « objectivité n’est autre que l’intersubjectivité de la communauté scientifique ». La limite est bien nuancée et l’épistémologie traite de l’assurance et l’examen de cette vérification et de cette localisation de la logique (même relative) de cette objectivité.

Or, l’étude et l’examen de cette « vérification scientifique » ne peuvent s’exercer encore que sur le « vérifiable » et le « mesurable » dans sa tangibilité même et qui est tout à fait « phénoménal » pour qu’on puisse le mesurer, et non « nouménal », subtil, esthétique, sensationnel, magique, et qu’on ne peut pas mesurer par un « model théorique » (encore moins par celui de l’entendement cartésien), car ceci relève d’une autre dimension de l’Etre et de la perception spirituelle, non « mesurable », sans qu’elle relève nécessairement de ce qui est métaphysique, même si un spiritualisme de source religieuse s’y manifeste pour la douceur mystique de l’appréciable en matière de création.

C’est ici que la conception et l’entendement de l’art pictural -et de tous les arts dans leurs saveurs- nous posent et nous imposent une autre formule de questionnement concernant ce qui est essentiellement évoqué et invoqué et qui ne peut être traité que par une possible « douceur de l’épistémologie », libéré de la mesure physique (ou formelle), afin d’engager une autre vision de l’Etre et des subtilités, naturelles, humaines ou cosmiques. C’est ici que « l’Essentiel » se pose, en profondeur et en traduction esthétique manifeste à travers le langage de l’art -et de tous les arts-, pour stimuler ou exiger une autre façon de « voir » et de « visionner », pour ne pas se limiter à la limite de la « mesure » formelle et standard. Et ce en rappelant que la logique du constat (et de l’explication) nécessite l’éclaircissement -global- de ce qui est manifeste comme de ce qui est latent dans la nature environnementale, humaine ou cosmique ; cela comme formule son expression Gaston Bachelard, en disant que « connaître scientifiquement une loi naturelle, c’est la connaître à la fois comme phénomène et comme noumène ».

Car si les « découvertes scientifiques » dépassent l’utilité des services à rendre à l’humanité et à la nature, pour se justifier par une autre technologie de la consommation et de la guerre destructive de l’environnement, l’art -réellement l’art sans compromisse démarque et échappe au « chantage » et politiques de « l’industrie scientifique », pour faire découvrir les entrées subtiles à la liberté de voir, humainement parlant, par le cœur et l’esprit. Et ainsi, la sensibilité pure et sereine, -« la plus haute forme de l’intelligence humaine » comme disait Jiddu Krishnamurti-, se pose comme l’ultime voie de perception et de conception, libre des conventions socio-politico-économiques, tout comme le fait de témoigner l’Essence des œuvres picturales de célèbres artistes qui ont fini par être « enfermées » dans des coffres-forts de banques internationales, alors que leurs créateurs étaient morts dans l’indifférence sociétale, même si ce n’est que par la suite (en ayant fait « coter » leurs œuvres) « on » fait des livres et des « essais » sur leur travaux artistiques.

Ainsi, l’essentiel épistémologique de considération à ce niveau permet l’introduction à une épistémologie du silence sensuel de la création artistique (picturale), non pour faire fabriquer une « cote » matérielle -ou idéologiqued’une œuvre, mais plutôt conçue pour une autre recherche au sein du questionnement de l’art pictural (en réalisme, symbolisme ou abstrait,..), au fond de l’essence même de l’Etre et du devenir exprimé en langage artistique. Et c’est là encore que l’ouverture de la réflexion et de l’entendement se libère de la pesanteur historique de ce qui avait été limité et formulé par ce qu’on appelé « l’art de la science », pour ouvrir plutôt la voie à un autre entendement et une autre subtile logique de « la Science de l’art », non entendue comme un pouvoir appelé « mesure scientifique » de l’art, mais plutôt comme une recherche et compréhension d’une autre considération de « l’essentiel » qu’on ne peut réduire à une forme (formelle et « mesurable »), mais plutôt saisie par un lucide ressenti du nouménal (essence subtile) du bien, du bon et du beau qu’est l’art Pictural pour toute l’humanité.

Et comme évident rappel encore, depuis l’aube des temps, sont venus au monde l’Homme et l’Art -comme en témoignent de belles et magiques gravures rupestres- dans des « galeries » préhistoriques, pour l’échange et la communication réciproque -du phénoménal et du nouménal-, à travers l’expression sur la solitude, le manque, l’atrocité, la laideur ou encore sur la méditation, la joie et la beauté du quotidien, pour maintenir et adoucir par le langage du silence la trace de l’expression de l’état de l’Etre et du Devenir, et dont la spiritualité demeure incrustée dans les multiples parcours et histoire de l’art.

Par Ahmed Harrouz
Artiste, chercheur.


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