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L'Europe aux Calendes Grecques ?


Par Bichara Khadr
Vendredi 14 Mai 2010

Un vent de panique souffle sur l'Europe. La Grèce lui donne des sueurs froides. Certains en arrivent à se poser la question si la sortie de crise  n'est pas renvoyée aux Calendes Grecques, si j'ose l'expression. Car cette fois, ce n'est pas le système bancaire qui chancelle, mais un pays de la zone euro qui se trouve au bord du précipice. Comment en est –on arrivé là ? Pour répondre à cette question, j'ai consulté les écrits d'un économiste grec de renom, Yannis Stournaras, professeur d'économie à l'Université d'Athènes. Son analyse  ne fait pas dans la nuance : "l'économie grecque" , écrit-il, " est de style soviétique avec de grosses contraintes qui pèsent  sur le droit du travail, avec une fonction publique écrasante, des monopoles contre-productifs dans des secteurs clé comme le transport des passagers par ferries"…Ces contraintes freinent la compétitivité et la productivité grecques. Il est temps de sortir du "modèle clientéliste à la grecque." Mais qu'est-ce qu'il entend par modèle clientéliste à la grecque ? C'est un modèle lié à la vision à court terme des différents gouvernements …Pour gagner des votes, les responsables politiques ont longtemps distribué à tour de bras des postes de fonctionnaires ou autres passe-droits en tout genre. Et notre économiste d'épingler la gestion calamiteuse du précédent gouvernement grec qui  "a augmenté de 100.000 le nombre des fonctionnaires en 3 ans"(interview dans le Soir,  1-2 mai, 2010).
L'explication ne manque pas de pertinence, mais de telles pratiques sont monnaie courante dans de nombreux pays européens démocratiques. Là où la Grèce a péché a été  sans doute le fait qu'elle a laissé déraper les finances publiques et creuser le déficit budgétaire en cachant la réalité aux yeux vigilants de la Banque Centrale européenne et aux autres pays membres.
Comment venir à la rescousse de la Grèce maintenant que le mal est fait ? Y injecter des milliards ? Combien ? 45 milliards ou 130 milliards? Soit, mais aucun Etat européen n'est prêt à faire de cadeaux. Cet argent sera prêté à la Grèce à un taux favorable de 5 % au lieu de 10 % ou davantage, taux pratiqués sur les marchés financiers.
En ficelant un plan de sauvetage de la Grèce, c'est l'Euro que les autres pays européens tentent de sauver, et indirectement c'est la zone euro toute entière, et peut-être même le projet européen lui-même.
Car ce  que craignent les dirigeants européens, au de-là du cas grec, c'est l'effet de boule- de –neige. Après tout, le Portugal et l'Espagne souffrent, à des degrés divers, des mêmes symptômes grecs. D'ailleurs ces deux pays ont vu leur note dégradée par les grandes agences de notation, ce qui les oblige à payer plus cher leurs futurs emprunts, alourdissant à la fois leur dette et leurs déficits budgétaires. On voit bien que ce n'est pas la Grèce qui est le seul sujet d'inquiétude mais bien les faillites en cascade d'autres économies européennes.
L'Allemagne, locomotive exportatrice de l'UE,  a trop longtemps fait la sourde oreille aux appels d'aide, rechignant à jouer " aux pompiers", aux " sauveurs" de dernier ressort.
Mais elle a fini pas se résoudre à la solidarité intra-européenne. Car il y va non seulement de la crédibilité de l'Allemagne, mais aussi de la place de l'Europe sur l'échiquier mondial. Mais l'Allemagne a insisté pour que le Fonds Monétaire International prête son concours.45 milliards d'euros sont promis à la Grèce, somme sans doute insuffisante, car il va falloir mobiliser 3 fois plus pour que le plan de sauvetage ne se réduise pas à un plâtre sur une jambe en bois.
En attendant une éclaircie dans le ciel assombri de la Grèce, pour ses habitants, c'est la grosse galère qui commence, entre austérité budgétaire, gel des salaires, hausse des prélèvements. Il va falloir serrer les coudes, mais aussi les ceintures. Tâche guère aisée            pour ceux qui ont eu la fâcheuse habitude de vivre au-dessus de leurs moyens. On peut s'attendre à des remous sociaux, voire à des révoltes. Certains prônent la sortie de l'Euro et le retour à la monnaie nationale. Comme si la seule dévaluation de la monnaie nationale pouvait sortir la Grèce de l'impasse en rendant les exportations grecques moins chères et donc plus attrayantes. Mauvaise recette, car il faut se détromper : la Grèce exporte surtout à  l'intérieur de l'EUROPE, et de manière générale, ce n'est pas un grand pays exportateur.
Il faut donc sauver les grecs de leurs propres démons, en leur imposant des conditions draconiennes d'austérité budgétaire pour une sortie de la spirale infernale. Si l'UE tergiverse davantage et se montre moins déterminée, l'effet domino, tant redouté, pourrait faire basculer  d'autres pays européens, en accroissant les doutes des marchés sur leur capacité à honorer leurs engagements.
Cette crise grecque a écorné l'Euro. Il s'échangeait à 1.49 $ il y a quelques semaines : il s'échange, ce matin, à 1.32 $. Certes beaucoup de spécialistes s'insurgeaient contre un Euro fort, car il pénalise les exportations européennes. A priori,  la chute de l'Euro face à la devise américaine devrait les réjouir. Mais deux éléments méritent d'être pris en considération : le premier est que l'essentiel des exportations européennes se  fait à l'intérieur de l'Europe et le deuxième seule l'Allemagne, grande économie exportatrice, et ,dans une moindre mesure, la France pourraient profiter d'un Euro faible. En revanche, et c'est le deuxième élément que je voulais signaler, les prix du pétrole et des autres matières premières s'en trouveraient renchéris, car ils sont libellés en $.
La crise grecque a révélé les incohérences et les déchirements européens. Indirectement, elle a provoquée une montée en flèche du Fonds Monétaire International. La crédibilité des instances financières européennes a été quelque peu ébréchée. L'absence d'un gouvernement économique européen y est pour quelque chose.
L'Europe est-elle entrée  dans ce que d'aucuns appellent " la décennie perdue ?". C'est possible. Aussi est-il urgent pour l'Europe non seulement de reporter le risque d'un défaut de la Grèce et des autres économies sud-méditerranéennes, mais de le conjurer. Ce qui signifie de ramener, en trois ans,  le déficit  grec de 13 % du Produit Intérieur Brut à 3 % (ce qui est la norme admise) et de permettre à la Grèce  d'emprunter à des taux supportables de 3 à 4 % et non à  10 ou 12 %,  taux pratiqué actuellement.
Mais cela nécessiterait des efforts homériques Mais, à propos, Homère n'était-il pas grec ?
La crise grecque est un réservoir de leçons pour nous méditerranéens, car elle démontre les ravages du modèle clientéliste et du modèle rentier.  Nos économies souffrent exactement des mêmes travers et des mêmes dysfonctionnements. Que ces économies ne s'écroulent pas ne relèvent pas du miracle, mais de la nature de la dette de nos Etats et  du rôle amortisseur des transferts de l'immigration et des autres multiples rentes.
La crise de la Grèce pourra mettre à mal sa capacité d'accueil des nouveaux migrants. Il n'est d'ailleurs pas improbable qu'elle soit amenée à adopter une législation plus sévère en matière de contrôle et d'accueil. Il se pourrait même que la situation grave que traverse la Grèce soit instrumentalisée par des groupes d'extrême droite ; tentés de trouver des boucs émissaires en développant un discours anti-albanais, anti-turc et anti-musulman , à défaut de trouver une recette anti-crise. Un proverbe arabe  dit : si le minaret s'écroule, on pend le barbier.    


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