Jean Ferrat est mort : Que seraient ses fans sans lui ?


RFI
Lundi 15 Mars 2010

Jean Ferrat est mort : Que seraient ses fans sans lui ?
Le chanteur Jean Ferrat est mort samedi 13 mars à l'âge de 79 ans à l'hôpital d'Aubenas, à une quinzaine de kilomètres de son village d'Antraigues-sur-Volane, en Ardèche. Artiste engagé, au service de tous les combats pour la fraternité, la révolte et l'idéal communiste, il était l'auteur, l'interprète et le compositeur de plus de deux-cents chansons.
Né le 26 décembre 1930 à Vaucresson dans les Hauts-de-Seine, Jean Ferrat, né Jean Tenenbaum, a 11 ans lorsque son père, juif émigré de Russie, est déporté. L'enfant est sauvé grâce à des militants communistes, ce qu'il n'oubliera jamais.  A la Libération, il quitte le lycée pour aider sa famille, et devient aide-chimiste jusqu'en 1954, date à laquelle il passe ses premières auditions dans des cabarets parisiens.
Après avoir écrit la musique des Yeux d'Elsa (1956) pour André Claveau, il chante régulièrement à La Colombe, puis fait sa première grande scène à l'Alhambra en 1961 où il triomphe avec Ma môme, et Deux enfants au soleil. Rapidement, Jean Ferrat choisit d'interpréter des textes plus engagés, comme Nuit et Brouillard (1963), non diffusée par
Compagnon de route du Parti communiste français, sans jamais en avoir été membre, il affirme haut et fort ne pas être un "béni-oui-oui" du parti. Ainsi sa chansons Bilan (1980) fustige la déclaration de Georges Marchais sur le "bilan globalement positif" des pays de l'Est. Camarade qui dénonce l'invasion russe de Prague en 1968 :
En 2007, Jean Ferrat s'était prononcé en faveur d'une candidature de l'altermondialiste José Bové comme représentant d'une gauche antilibérale pour l'élection présidentielle. Son dernier engagement politique était dans le cadre de la campagne des élections régionales le soutien de la liste du Front de Gauche en Ardèche, où il résidait.
A la scène, qu'il quitte après un passage au Palais des sports en 1972, il préfère son Ardèche d'adoption, qui lui inspire La Montagne, l'un de ses plus grands succès.
En 1974 et 1995, Jean Ferrat consacre avec succès deux albums à Louis Aragon dont il met les textes en musique (Que serais-je sans toi ?, Heureux celui qui meurt d'aimer).
Réticent à passer à la télévision, le chanteur sort d'un long silence en 2003, pour l'émission Vivement Dimanche" de Michel Drucker. Il y défend ses deux passions, la chanson et la politique, s'insurgeant notamment contre la grande industrie du disque qu'il estime dangereuse pour la liberté de création

L’artiste engagé

Quel Ferrat la postérité retiendra-t-elle ? L’artiste engagé qui longtemps chanta "rouge" ? L’interprète de chansons populaires immortelles, de la légèreté de Ma môme à la gravité de La Montagne ? Le chantre de Louis Aragon qui œuvra à mettre la poésie dans toutes les maisons ? L’ermite d’Antraigues-sur-Volane qui sortait de temps à autre de sa retraite pour s’en prendre aux mœurs des médias et du show business du moment ?
Pourtant, l’homme semblait, au moral, fait tout d’un bloc. Je ne suis qu’un cri, chantait-il, sur des paroles de son fidèle ami Guy Thomas : "Je ne suis pas littérature/Je ne suis pas photographie/Ni décoration ni peinture/Ni traité de philosophie/Je ne suis pas ce qu'on murmure/Aux enfants de la bourgeoisie/Je ne suis pas saine lecture/Ni sirupeuse poésie/Je ne suis qu'un cri." Un autoportrait, un credo, un aveu…
Jean Tenenbaum est né le 26 décembre 1930 dans la région parisienne. Quatre enfants, père joaillier, mère fleuriste, petits revenus. Mais la guerre vient. Un jour, son père s’en va. Déporté, il ne reviendra jamais. Aussi, à la Libération, Jean doit travailler pour aider sa famille. Mais il rêve de chanter ou de jouer la comédie. Il joue de la guitare dans un orchestre de jazz, écrit ses premières chansons, tâte du théâtre… En 1956, il met en musique Les Yeux d’Elsa, poème de Louis Aragon qui sera interprété par André Claveau, un des chanteurs les plus populaires de l’époque. Deux ans plus tard, il rencontre une chanteuse, Christine Sèvres, qui va devenir son épouse. Mais sa carrière tarde à démarrer : "J’ai chanté sept ans avant de voir une petite lueur, nous dira-t-il plus tard. Sept ans, ce n’est rien du tout à dire, mais quand on les vit journellement, qu’il faut manger, c’est long..."

Le succès de Ma Môme

Son paysage s’éclaire avec Ma môme, en 1960, une chanson prolétarienne comme les années 30 les aimaient tant, mais dans la France en pleine modernisation ("Ma môme, elle joue pas les starlettes/Elle met pas des lunettes/De soleil/Elle pose pas pour les magazines/Elle travaille en usine/A Créteil").
Trois ans plus tard, Nuit et brouillard attire sur lui un double succès commercial et critique en évoquant la déportation : "Ils étaient vingt-et-cent, ils étaient des milliers/Nus et maigres, tremblants, dans des wagons plombés/Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants/Ils étaient des milliers, ils étaient vingt-et-cent." Ce succès se transforme en gloire en 1964 avec La Montagne, hymne à sa chère campagne ardéchoise où il a acheté une maison, et dont il évoque à la fois les mutations et l’intangible beauté : "Ils quittent un à un le pays/Pour s'en aller gagner leur vie/Loin de la terre où ils sont nés/Depuis longtemps ils en rêvaient/De la ville et de ses secrets/Du formica et du ciné (…)/Pourtant que la montagne est belle/Comment peut-on s'imaginer/En voyant un vol d'hirondelles/Que l'automne vient
d'arriver ?"
L’année suivante, il s’impose définitivement avec une autre chanson majeure, Potemkine, qui évoque les combats de la révolution russe de 1905 : "M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde/Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan/M'en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde/Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents/Ma mémoire chante en sourdine/Potemkine."

Amoureux de la poésie

Les années 60, c’est la guerre froide et le règne de l’audiovisuel d’Etat. Potemkine ne passe guère sur les ondes, mais l’audience de Ferrat dépasse de très loin le seul cercle des adhérents et sympathisants du Parti communiste. Il voyage beaucoup, notamment à Cuba en 1967, et partout dans la francophonie. En ces temps d’agitation et de débat politique bouillonnant, c’est avec un disque d’amoureux de la poésie qu’il revient au sommet en 1970 : Ferrat chante Aragon va se vendre à un million d’exemplaires dans l’année, avec notamment Que serais-je sans toi ("Que serais-je sans toi, qui vînt à ma rencontre/Que serais-je sans toi, qu'un cœur au bois dormant/Que cette heure arrêtée au cadran de ma montre/Que serais-je sans toi, que ce balbutiement"). C’est alors que Ferrat annonce qu’il ne montera plus sur scène. Après l’ultime tournée, en 1973, il ne quitte ni les ondes ni les électrophones français : deux ans plus tard, La femme est l’avenir de l’homme est un succès plus spectaculaire encore que La Montagne.
Mais il s’est retiré à Antraigues-sur-Volane, village de 500 habitants en Ardèche et ses incursions dans l’actualité de la chanson deviennent sporadiques.
Pour conserver le contrôle de ses chansons, possession de Polygram (le futur Universal), il réenregistre près de ses 120 chansons qui paraissent en coffret en 1980, la même année que la chanson la plus controversée de sa carrière, Le Bilan. Après une déclaration de Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, à propos du "bilan globalement positif" de l’URSS et des démocraties populaires, la chanson apparaîtra comme une rupture avec le PC : "Mais quand j'entends parler de "bilan" positif/Je ne peux m'empêcher de penser à quel prix/Et ces millions de morts qui forment le passif/C'est à eux qu'il faudrait demander leur avis." Un million d’exemplaires vendus en quelques mois…
Après la mort de sa femme en 1981, Ferrat s’éloigne quelques années des studios. Son retour, en 1985, avec Je ne suis qu’un cri, sera suivi d’autres longs silences, puisque La Jungle et le Zoo ne sortira qu’en 1991 (l’enregistrement d’une soirée télévisée, au cours de laquelle il chante avec un grand orchestre, ne paraîtra qu’en 2002) et le disque Ferrat 95 est consacré à des adaptations de poèmes d’Aragon. Le chanteur, toujours soutenu par un public fidèle, n’était pourtant pas absent des médias : de tribune en interview, il se faisait le défenseur ardent d’une chanson "classique" qui n’a plus droit de cité sur les antennes des grandes radios et des télévisions. Il laisse flotter l’idée que, s’il ne reviendra jamais à la scène, il se remettra à l’écriture de chansons. Dans cette situation d’entre-deux, il laisse tomber dans une interview, au début des années 2000 : "Je suis un ancien chanteur." Un de ceux que la France a le plus aimé.

“Que serais-je sans toi ?”

Que serais-je sans toi
Qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi
Qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée
Au cadran de la montre
Que serais-je sans toi
Que ce balbutiement.
J'ai tout appris de toi
Sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais
Le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi
Comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel
Les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante
On reprend sa chanson
Jusqu'au sens du frisson
J'ai tout appris de toi.
Que serais-je sans toi
Qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi
Qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée
Au cadran de la montre
Que serais-je sans toi
Que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi
Pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi
Qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas
Un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main
Dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus
Ce que c'est d'être deux
Tu m'as pris par la main
Comme un amant heureux
Que serais-je sans toi
Qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi
Qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée
Au cadran de la montre
Que serais-je sans toi
Que ce balbutiement..

Qui parle de bonheur
A souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot
Que la déconvenue
Une corde brisée
Aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis
Que le bonheur existe
Ailleurs que dans les rêves
Ailleurs que dans les nues
Terre, terre, voici
Ces rades inconnues



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