Irons-nous vers une économie verte ?


Par Abdelmajid Iraqui *
Jeudi 24 Novembre 2016

La forte croissance de l’économie mondiale qui a précédé la crise financière de 2008 s’est accompagnée d’une hausse considérable de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le monde peut désormais s’attendre – si rien n’est entrepris rapidement pour inverser la tendance – à une augmentation du nombre de catastrophes naturelles induisant des coûts économiques et humains de plus en plus importants. Le changement climatique ne doit désormais plus être considéré comme une externalité au processus de production.
La production mondiale a plus que doublé depuis les années 90, mais malgré la vive croissance enregistrée avant la crise, le monde n’est pas en voie d’éradiquer l’extrême pauvreté d’ici à 2030  
De plus, le risque  climatique devient de plus en plus préoccupant avec la survenue de grandes catastrophes naturelles : Typhon Haiyan aux Philippines, Ouragan Sandy aux Etats-Unis, sécheresses en Chine, au Brésil et dans la corne de l’Afrique, inondations en  Europe.
Au cours des dix dernières années, on a dénombré annuellement une moyenne de 335 événements climatiques extrêmes, soit une augmentation de 14 % par rapport à la décennie précédente et près de deux fois le niveau enregistré au cours de la période 1985-1995.
La hausse des catastrophes météorologiques et/ou climatiques est donc indéniable, tout comme leur bilan humain avec plus de 600.000 morts en 20 ans, selon l’ONU.
Si le réchauffement climatique
n’explique pas à lui seul ces catastrophes, il est un facteur reconnu aggravant par la communauté scientifique mondiale, augmentant d’autant les attentes des travaux menés à la COP21 et confirmés à la COP22. C’est dans ce cadre que le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR) a présenté dernièrement un rapport soulignant qu’au cours des 20 dernières années, 90 % des catastrophes majeures ont été causées par des événements liés aux conditions météorologiques…

Les limites des modèles actuels

Une prise de conscience générale des limites des modèles actuels  est  en train de se produire. Au niveau humain, il y a lieu en effet de tenir compte  de l’augmentation démographique de la planète qui, en 2050, devrait compter 9,3 milliards d’habitants dont  80%  seront  concentrés dans les villes.
Au niveau alimentaire, aujourd’hui, telle qu’elle est pratiquée, l’agriculture détériore les terres à travers deux mécanismes : la disparition des matières organiques et l’érosion des sols. La première cause provient du labour qui déstabilise le sol et expose la matière organique à l’air libre et au rayonnement solaire, favorisant sa consommation par les bactéries. La seconde cause provient de la faiblesse des apports de matière organique comme le fumier ou le compost que l’on remplace par des engrais chimiques. Cette dégradation des sols oblige les agriculteurs à utiliser de plus en plus d’engrais, de fertilisants et de produits phytosanitaires, tels que les pesticides et les herbicides qui entraînent à leur tour une pollution des sols et des eaux provoquant une surcharge d’éléments nutritifs sous forme d’eutrophisation dans les lacs, les  réservoirs et les mares.
Au niveau économique, nous commençons à entrevoir deux limites écologiques et théoriques au modèle de la croissance perpétuelle décrite par les modèles  classiques.
La première limite tient à ce que l’économie de l’environnement n’explicite pas assez ses fondements éthiques, tels que la valeur accordée dans les taux d’actualisation au bien-être des générations futures.
La deuxième limite tient au fait que l’approche classique  ne traite pas de manière satisfaisante l’incertitude écologique, l’irréversibilité, la perte de la biodiversité et les ressources naturelles comme facteur limitatif.
De ce fait, l’environnement change la nature même de l’économie. Aujourd’hui, nous devons définir l’économie comme l’étude conjointe des systèmes naturels et des systèmes humains. Cette nouvelle discipline doit s’intéresser à l’évolution harmonieuse de la société et de la nature, à l’équité intergénérationnelle, à la valorisation des écosystèmes et au suivi des indicateurs  de durabilité.
Au niveau social, nous sommes aujourd’hui à une période charnière de notre histoire. Beaucoup la présentent comme anxiogène : crise économique, sociale, environnementale, réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, extrême pauvreté, maladies physique, maladies psychosomatiques, crises  de civilisation causées par un environnement de plus en plus pathogène. Nous arrivons, en effet, au bout d’un modèle de société, au bout d’un modèle de développement, à charge pour  nous d’inventer la nouvelle voie à suivre.

Des enjeux considérables

Face à ces limites, les principaux enjeux consistent aujourd’hui à trouver les moyens d’abaisser substantiellement les émissions de GES tout en maintenant un niveau de croissance économique suffisant pour permettre une réduction des inégalités. Il est nécessaire de procéder à de nouveaux investissements, notamment dans les nouvelles technologies, et de recourir à une utilisation plus efficiente des ressources pour relever le défi d’une croissance durable.
Les enjeux liés au changement climatique sont devenus une problématique incontournable pour les entreprises. Ils impliqueront à la fois des effets directs sur les conditions de la production, ainsi que l’émergence d’un certain nombre de services spécialisés, mais aussi une réglementation sévère des activités génératrices d’émissions de gaz à effet de serre et de celles susceptibles de capturer et stocker le CO2. Le secteur productif  étant la source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, les entreprises sont appelées à contribuer à ces efforts de réduction. Le changement climatique constitue donc un défi majeur pour l’entreprise.
 Il nous faut à peu près tout réinventer : un nouveau modèle énergétique, de nouveaux modes de mobilité, de production et de consommation, un rapport revisité aux ressources naturelles et à la biodiversité, un nouveau contrat social générationnel et intergénérationnel, une nouvelle forme de solidarité internationale. Bref, nous n’avons ni plus ni moins qu’à redéfinir un nouveau modèle de développement ancré dans le progrès et le bien-être. Le monde économique, en tant qu’acteur particulièrement structurant de nos sociétés, ne peut s’exclure de ce vaste mouvement et doit s’interroger sur de nouveaux business models permettant de mieux répondre à ces défis. Nous devons  partir à la découverte des business models de demain, qui devront trouver des voies nouvelles de création de richesses compatibles avec les immenses défis de notre temps.
 Plus spécifiquement, nous devons faire face à un enjeu concret : la finitude des ressources nécessaires à nos modes de vie. Il s’agit ici de proposer des réflexions ancrées dans l’action et le pragmatisme propre aux entreprises, pour aider les dirigeants d’aujourd’hui et de demain à devenir eux-mêmes acteurs de ces changements.

Des modèles où la performance devient multiple

La performance environnementale se définit comme “les résultats mesurables du système de management environnemental d’un organisme, en relation avec la maîtrise de ses aspects environnementaux sur la base de sa politique environnementale, de ses objectifs et cibles environnementaux”. Selon l’Association française de normalisation (AFNOR) et l’IMANOR, elle inclut la lutte contre le changement climatique et la protection de l’atmosphère, la préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources ainsi que la promotion de modes de production et de consommation responsables.
Nous passons de la performance économique, financière, boursière, sociale, sociétale vers la responsabilité environnementale. L’actualité nous rappelle chaque jour l’affaire des émissions de CO2 de la firme Volkswagen.

Vers une économie verte ?

L’objectif du développement durable, soucieux de la préservation de l’environnement et des ressources naturelles est donc non seulement de répondre aux attentes actuelles du marché et des clients, mais aussi d’anticiper les besoins futurs.
Les principaux domaines d’innovation  dans l’économie verte pour les entreprises sont :
Production agricole (cultures et carburants bios, éco-matériaux)
Bâtiment (éco-construction, rénovation thermique, éco-matériaux, chauffage, climatisation)         
Distribution (produits bios, commerce équitable)
Déchets (collecte, éco-conception, écologie industrielle, économie de la fonctionnalité, allongement de la durée d’usage,  recyclage et valorisation des déchets ….).
Eau (économies d’utilisation,  réutilisation et  recyclage de l’eau, identification des ressources en eau,  traitement de l’eau et épuration des eaux usées,  gestion des risques relatifs aux événements exceptionnels liés à l’eau, restauration des cours d’eau, génie écologique, prévention des pollutions par les micropolluants,…).
Energies renouvelables (biomasse, éolien, géothermie, hydraulique, solaire)
Forêt (biomasse, bois énergie)
Transport (voiture électrique, véhicules décarbonés, co-voiturage)
Tertiaire (green IT, recyclage papier, cartouches d’encre, conseil en éco-business)
Tourisme vert

Un nouveau défi
pour les entreprises

La présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Miriem Bensalah-Chaqroun, a rappelé en septembre 2016, la nécessité d’inscrire l’agenda et l’action climatiques au cœur du quotidien des entreprises.
L’action des entreprises est importante pour l’atteinte des objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique, car elles devront être les vecteurs de déploiement du développement durable.
L’élaboration d’une stratégie climat du secteur privé,  dans le but d’accompagner les entreprises dans l’adaptation de leur process aux futures contraintes réglementaires et de contribuer à l’identification des opportunités qui permettront l’émergence d’éco-systèmes liés à la nouvelle économie verte.
En effet, toutes les entreprises sont ou seront affectées par les contraintes climatiques, et si les entreprises sont jugées aujourd’hui sur leur responsabilité sociale, demain elles seront évaluées sur leur capacité à produire plus propre.

Repenser l’emploi

L’économie verte présente un grand potentiel de création d’emplois pour deux raisons. La première est que, selon une étude européenne, une diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, contribuerait à créer plus d’emplois que les emplois détruits par la réorientation des secteurs économiques.
La seconde raison de ce grand potentiel de création d’emplois, c’est que l’économie verte va renforcer la capacité de nos économies à conserver la valeur ajoutée dans notre industrie.
Face à la bataille des prix contre des pays comme la Chine, la seule chance pour notre économie de rester compétitive est de se battre sur le front de la qualité et de l’innovation par des normes strictes de qualité et d’exigences environnementales.

 * Membre de la CGEM


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