Institutions et instances publiques hors du contrôle du Parlement et de la tutelle du gouvernement


Pr. Hicham Madacha *
Jeudi 23 Juillet 2020

Institutions et instances publiques hors du contrôle du Parlement et de la tutelle du gouvernement
Aujourd’hui dans notre pays, un courant considère que certaines institutions et instances publiques ne doivent pas être soumises au contrôle du Parlement, ni être placées sous la tutelle du gouvernement. Il s’agit des institutions et instances inscrites au Titre XII de la Constitution et citées dans certains autres de ses articles, désignées par le législateur comme «instances de bonne gouvernance », ainsi que d’autres instances à caractère consultatif.
Ce qui nous intéresse particulièrement, dans le présent article, ce sont les institutions et instances inscrites au Titre XII de la Constitution relatif à « la bonne gouvernance » qui y sont classées en trois catégories : Les institutions et instances de protection et de promotion des droits de l’Homme, notamment : le Conseil national des droits de l’Homme, le Médiateur, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et l’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes les formes de discrimination ;
Les instances de bonne gouvernance et de régulation, notamment : la Haute autorité de la communication audiovisuelle, le Conseil de la concurrence et l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption ;
Les instances de promotion du développement humain et durable et de la démocratie participative, notamment : le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance et le Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative.
Et sans s’arrêter sur les problématiques conceptuelles et le degré «d’exactitude» de cette catégorisation, le présent article ne s’y prêtant guère, il est à souligner que « l’indépendance » des instances en charge de « la bonne gouvernance », telle que consacrée par la Constitution, semble être l’un des principaux arguments vers la soustraction desdites institutions et instances au contrôle du Parlement et à la tutelle du gouvernement.  
Ce qui nous amène à poser la question de la nature et de l’étendue de cette indépendance, qui soulève par ailleurs plusieurs points d’interrogation et de problématiques juridiques, constitutionnelles et politiques par rapport à l’exercice de la démocratie, à l’Etat de droit et au principe de séparation des pouvoirs …  D’autant plus que le Conseil constitutionnel dans le passé et la cour constitutionnelle actuellement sont partis loin et, à notre avis en « s’écartant du bon sens et de la raison », dans l’interprétation du concept d’indépendance de ces institutions et instances, notamment, lors de sa saisine relative à la constitutionnalité du règlement intérieur de la Chambre des représentants en 2012, lorsque  le conseil avait décidé de « l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à la façon de présentation des rapports annuels desdites institutions et instances devant la Chambre des représentants » et qu’il avait décidé « que la discussion de ces rapports au sein des deux Chambres du Parlement s’effectue entre les membres de Chacune des chambres en présence du gouvernement et non pas directement avec les responsables de ces institutions et instances ».
Le Conseil constitutionnel avait considéré que « les instances en charge de la bonne gouvernance ne sont soumises ni à l’autorité d’un ministre donné ni à sa tutelle, ce qui ne permet pas l’application des dispositions de la Constitution tendant à ce que « les commissions concernées dans chacune des deux Chambres peuvent demander à auditionner les responsables des administrations et des établissements et entreprises publics, en présence et sous la responsabilité des ministres concernés ». C’est en vertu de cette disposition que le Conseil constitutionnel a fondé sa décision considérant « la présence des présidents des institutions et instances concernées comme inconstitutionnelle ».  Cette jurisprudence met lesdites institutions et instances en dehors de tout contrôle populaire, particulièrement celui du Parlement qui doit en principe représenter « la volonté générale et la volonté populaire » et vide leurs rapports devant le Parlement, en l’absence de leurs responsables respectifs, de leurs contenus et de leurs substances. En effet, la présentation de ces rapports doit être, à notre sens, une occasion d’évaluer le travail de ces institutions et instances, de faire la lumière sur leurs modes de gestion des secteurs et des champs relevant de leurs compétences et de recueillir leur expérience en matière de gouvernance interne. De ce fait, l’absence des responsables des institutions et instances devant le Parlement en vue de la discussion de leurs rapports annuels est, à notre sens, de nature à pousser vers la création de «méta-pouvoirs  » ou vers un genre de «  despotisme des institutions ». 
Il est vrai que le seul contrôle indiqué au sein des lois encadrant ces institutions et instances renvoie au contrôle judiciaire, particulièrement exercé par le juge administratif en vue de trancher de la légalité des décisions prises par lesdites institutions et instances, notamment celles de nature administrative, ou bien encore le contrôle financier exercé par le comptable public qui leur y est détaché et celui exercé par la Cour des comptes.
Par ailleurs, il est nécessaire de souligner que l’indépendance de ce type d’institutions et d’instances au niveau de l’expérience comparée est souvent appréhendée dans leur relation avec le pouvoir exécutif, prenant en considération que des secteurs sensibles et stratégiques, ou en relation avec les droits et libertés ont été soustraits de son champ de compétence, et qui relevaient à la base de son autorité et étaient sous sa tutelle. Ce retrait de compétence de l’Exécutif, a trait à son incapacité à gérer ces secteurs, de manière impartiale, objective, transparente et performante. C’est ainsi qu’il a été décidé de créer ce type d’institutions particulières agissant pour le compte de l’Etat sans relever du gouvernement. Elles ont été dotées de multiples attributions et compétences dans le domaine réglementaire, voire, l’adoption de règles de nature « législative » et des compétences en matière de sanctions. Ce qui signifie, en langage comparé, que ce type d’institutions exerce des compétences « quasi-réglementaires », des compétences « quasi-législatives » et des compétences « quasi-judicaires ». Elles exercent donc à ce titre une partie des compétences du gouvernement, une partie des compétences du Parlement et une partie des compétences de la justice et ce, sans relever d’aucun desdits pouvoirs ou placées sous sa tutelle, et malgré les questionnements que pose ce choix en matière de séparation des pouvoirs qui constitue le fondement de l’exercice démocratique et de l’Etat de droit.C’est pour cela que nous considérons que la présence des responsables de ces institutions et instances lors de la discussion de leurs rapports devant le Parlement, ne porte aucune atteinte, à notre sens, à leur indépendance puisque celle-ci est garantie par un dispositif légal pléthorique (dont notamment l’indépendance administrative et financière, la personnalité morale…). De plus, on considère, à juste titre, que l’indépendance se pratique et ne s’octroie pas. Elle ne s’impose pas uniquement par des textes, mais se traduit par la crédibilité et les valeurs encadrant le travail de ces institutions et l’action de leurs membres et de leur personnel et ce, à travers le respect de la loi et la réalisation de l’intérêt général, l’efficience et la performance, l’impartialité, la probité, la transparence et la relativité. Toutes ces valeurs, qui seront abordées dans un prochain article, doivent encadrer et diriger le travail de ce type d’institutions.
Par conséquent, il est souhaitable de revoir cette question d’indépendance de ces institutions au niveau de la jurisprudence constitutionnelle ou la doctrine et également au niveau législatif en précisant clairement les dispositions se rapportant à ce volet.
 
* Universitaire spécialiste des sciences 
politiques et du droit public.
 


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