Entretien avec l’écrivain Halim Charef : “Tout apprentissage a des racines”


PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN BOUITHY
Jeudi 9 Avril 2009

Entretien avec l’écrivain  Halim Charef : “Tout apprentissage a des racines”
«Les colombes aussi meurent à l’aube» est l’intitulé du prochain livre de l’écrivain Halim Cherif.
L’auteur de «Couscous amer» (L’Harmattan)
et «De l’autre côté du Détroit» (Société des écrivains) nous donne sa vison du monde
et des maux qui le minent.

Libé : Tout d’abord, comment l’immuno-allergologue que vous êtes s’est-il retrouvé dans l’écriture ?

Halim Cherif : C’est un peu l’effet du hasard, parce que initialement j’avais fait des études de philosophie et étudié la littérature française. C’est d’une manière conséquente et sur les instances de mon père qui voulait que je sois médecin que je me suis finalement décidé à opter pour cette branche.
Mais on peut dire que jadis la plupart des médecins étaient des humanistes, donc il était de bon temps dans la tradition française de faire des études de latin et de grec avant de faire médecine. Alors je me suis retrouvé en France avec des études de médecine qu’il fallait assurer.

Vous préparez actuellement un nouveau livre. Pouvez-vous nous en parler?

Le prochain roman que je compte faire publier est intitulé : « Les colombes aussi meurent à l’aube ». Il s’agit d’un étudiant marocain qui se retrouve par hasard dans une situation presque cornélienne. Car, son destin va croiser celui d’une jeune Juive dont les parents ont été déportés et qui se trouve elle-même en fuite sur le territoire français. 
Après de nombreuses péripéties, le jeune Marocain va tenter de fuir avec cette jeune Française israélite, comme on les appelle au cours des années 40. 
Car, n’oublions pas que nous sommes dans la France de Vichy avec les lois et toute la nomenklatura raciste qui avait fait des Juifs le bouc émissaire et l’ennemi numéro un de l’humanité. 
Retournant au Maroc qui est sous protectorat français, il se verra offert par les autorités françaises d’être mobilisé sous le drapeau français…
Dans la seconde partie du livre, il se retrouvera devant un dilemme: il a défendu la France qui n’était pas son pays, fallait-il défendre son pays qui luttait pour son indépendance? A cet égard, j’évoque le rôle de Feu Mohammed V et de Feu SM Hassan II alors Prince héritier et tous ces héros de la résistance marocaine qui ont contribué à la libération du pays en 1956.

La trame de votre livre renvoie à deux personnages arabe et israélite. Quel message cache-t-il?

Je voulais démontrer dans ce livre que les Arabes n’ont jamais été des ennemis des Juifs. N’oublions pas que Mohammed V fut pratiquement le seul chef d’Etat au monde à défendre ses sujets juifs, qu’il a refusé d’appliquer les lois de Vichy et a payé cher ce refus vis-à-vis des autorités de Vichy et de la résidence française au Maroc.
Il a toujours refusé de sacrifier le moindre citoyen juif marocain. En dehors de tout cela, le Maroc a toujours été une terre d’accueil pour les individus de confession juive.

Sans nécessairement en établir un lien, quel est votre avis sur le conflit israélo-palestinien?

Le problème israélo-palestinien est suffisamment complexe mais ce n’est certainement pas une question raciale. C’est un problème politique. Il s’agit d’une situation coloniale de fait, telle qu’après le vote de l’ONU et la partition de la Palestine en deux Etats qui en est suivie, on sait ce qui s’est passé par la suite. Israël en tant que nation et pays a toujours refusé d’appliquer les résolutions de l’ONU.
Nous nous considérons comme amis du peuple juif, mais être ami de celui-ci ne signifie pas adhérer aux thèses du sionisme qui est un mouvement d’essence fasciste. Et qui a démontré en une quarantaine d’années tout le mal qu’il pouvait faire aux populations palestiniennes.
On ne pourra régler ce problème que d’une façon politique et si Israël persiste à vouloir le faire par la force militaire, il est certain qu’il perdra la guerre. Si une lueur d’espoir pointe à l’horizon depuis l’arrivée du président Obama, nous souhaitons que l’Amérique use de toute son influence pour le régler. Il faudra pour cela éliminer les extrémistes des deux camps pour que la majorité silencieuse et les hommes de bonne volonté arrivent à bout de ce problème. Cela a été possible en Irlande, il n’y a pas de raison que ça ne se passe pas en Palestine.

Etes-vous satisfait du parcours de votre précédent livre, «De l’autre côté du Détroit » ?

Je suis relativement satisfait. Le seul hic pour ce livre c’est qu’il a fallu l’importer, donc payer plus de droits de douane qui sont absolument excessifs. D’où la mauvaise diffusion du livre dans notre pays. Je trouve anormal qu’un livre marocain publié dans un autre pays paie des droits aussi importants et qu’on n’arrive pas à vulgariser et diffuser des écrits qui sont des produits au même titre que les œuvres musicales et picturales importées.

Vous êtes l’auteur de nombreux articles de presse sur la pollution, l’écologie. Un écrivain écologiste avant l’heure…

On a eu de la chance à l’époque d’avoir des maîtres qui avaient fondé l’écologie. Nous étions déjà sensibles dans les années 60 et 70 aux premiers balbutiements de la science écologique,  mais il a fallu attendre au moins deux décades pour prendre toute la mesure de l’ampleur de l’acuité du phénomène. On sait maintenant que le réchauffement n’est pas une vue de l’esprit quoique certains scientifiques persistent à le nier.
Tous les scientifiques sérieux s’accordent sur un certain  nombre de faits qui sont indéniables.
Le réchauffement climatique, l’augmentation du CO2, l’accumulation des gaz à effet de serre ont des conséquences dramatiques dont on n’a pas encore fini de mesurer l’ampleur.
On peut déjà dire que  certains pays ou régions  seront rayés de la carte suite à l’élévation du niveau des océans. Et les conséquences seront dramatiques pas uniquement en termes de biologie maritime, mais toute une perturbation d’écosystème.
On peut dire que la carte du monde ne sera plus la même en 2050. Toute la question est de savoir si les pouvoirs publics voudront mettre le prix économique, financier et politique pour l’enrayer. Plusieurs mesures ont déjà été prises, notamment depuis la publication du manifeste d’Al Gore et la réunion des climatologues mandatés par l’ONU.  On n’est plus au stade des discussions uniquement scientifiques de salon, mais à l’échelle des gouvernements.

A votre avis, qu’en est-il au Maroc?

Il reste encore des choses à faire. Il faut sensibiliser l’opinion de sorte que ces mesures de prévention (économie des énergies et développement des énergies renouvelables) le soient aussi à l’échelle de l’individu.
D’autant qu’on a la chance d’avoir du soleil, du vent et la mer qui sont une source considérable d’énergie. Certes, ils ne règlent pas tous les problèmes, mais contribuent à limiter l’utilisation des énergies fossiles qui sont de grandes pollueuses et pourvoyeuses de CO2, et donc des ennemies de l’atmosphère.
 
Autre sujet de préoccupation, la Francophonie que vous défendez à cor et à cri. Quel est votre regard aujourd’hui? Peut-on parler d’incompatibilité avec l’Arabophonie? 

La Francophonie n’est pas uniquement l’usage du français, elle est aussi une méthodologie, une approche pour appréhender le monde. C’est un outil. C’est une méthode d’éducation, de connaissance et d’ouverture. C’est un pont avec le reste de l’humanité francophone.
Je ne vois pas en quoi elle serait incompatible avec l’Arabophonie. Rien n’empêche les Marocains de rester dans le bilinguisme qui a donné de très bons résultats depuis son adoption par le Maroc en 1960.
Mais il faut pour cela beaucoup d’efforts notamment des réformes au niveau de l’enseignement. Car on a pris un retard considérable depuis trois à quatre ans.
Nous devions prendre exemple sur des pays qui ont réussi dans ce domaine. C’est le cas du Canada, de la Suisse et de la Belgique. On peut prendre aussi l’exemple du Japon où l’on est anglophone au bureau et japonais chez soi.
La Francophonie est une source d’enrichissement, mais elle bat de l’aile aujourd’hui. La cause, c’est la France elle-même qui n’y consacre pas les moyens nécessaires : il y a eu au cours des dernières années un ralentissement considérable des investissements en terme culturel.
Si des mesures urgentes ne sont pas prises, on peut dire qu’elle va péricliter : la France, qui ne représente qu’1% de l’humanité en terme démographique, va se retrouver comme une peau de chagrin au milieu d’un océan chinois et anglophone.

Etes-vous d’avis que les jeunes désertent la lecture?

Il est certain que tout apprentissage a des racines. On ne peut demander à une famille marocaine de la classe moyenne d’apprendre à ses enfants l’anglais ou le français, c’est le rôle de l’école.
Il se trouve que, et beaucoup de spécialistes le reconnaissent, les programmes tels qu’ils sont conçus, contribuent à fabriquer des analphabètes.
Ce n’est pas un phénomène purement marocain puisqu’en France il a été démontré que la majorité des enfants qui arrivent au cm2 ne savent pas lire.
Ce phénomène est dû essentiellement aux méthodes et aux moyens d’apprentissage d’aujourd’hui comme Internet qui ont pris le pas sur le véritable apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Au Maroc, il y a eu au départ un déficit d’apprentissage; ensuite il est certain que les associations ne sont plus nombreuses pour promouvoir un tissu éducatif qui permettra aux enfants d’apprendre à lire, de trouver des livres à lire. Bref, il y a un gros effort à faire au niveau de l’éducation nationale et des bibliothèques.
Les Marocains sont très intelligents, je ne vois pas de raison qu’ils n’apprennent pas autant que les petits Canadiens ou Japonais.

Que pensez-vous des droits de l’Homme actuellement au Maroc?

En matière de droits de l’Homme, des progrès gigantesques ont été accomplis. Le Maroc est actuellement un Etat de droit -n’en déplaise aux détracteurs- et ce grâce à la haute sollicitude Royale et aux efforts de la société civile.

Repères
Halim Charef est né le 1er juillet 1944 à Tiznit dans le grand sud marocain. Après des études secondaires à la mission française (Lycée Lyautey), il regagne la France où il obtient le doctorat en médecine.
Il se spécialise ensuite en immuno-allergologie.
Il partage sa vie entre la France et le Maroc.
C’est un ardent militant de la Francophonie et de l’amitée franco-marocaine.


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