Entrepreneuriat au potentiel mondial et rôle de l’Etat

BYD en Chine. Quelles leçons ?


Abderrazak Hamzaoui
Mercredi 14 Mai 2025

Entrepreneuriat au potentiel mondial et rôle de l’Etat
Schumpeter ne parle pas de l’entrepreneur comme d’un simple rouage administratif, mais comme d’un séisme tranquille. Un être qui fracture l’ordre établi non par révolte, mais par vision. Là où d'autres gèrent, lui invente. Il tisse des combinaisons nouvelles dans le tissu économique, mêlant matière et audace, intuition et rupture.

Chaque innovation qu’il libère ne vient pas flatter le confort des certitudes, elle dérange, elle bouscule, elle détruit — pour mieux créer. C’est le souffle de ce qu’il nomme : la destruction créatrice. L’entrepreneuriat n’est donc pas une quête de rente, mais un désordre fertile. Un dérangement nécessaire. Car l’entrepreneur véritable — celui qui mérite ce nom — ne cherche pas le profit comme fin, mais comme preuve de passage. Ce qu’il poursuit, c’est la conquête, le dépassement, la trace. Ils sont rares, ces défricheurs d’avenir. Tous ceux qui dirigent une entreprise ne sont pas entrepreneurs. Beaucoup perpétuent, d’autres copient. Mais l’entrepreneur schumpétérien renverse, réinvente. Il risque. Il est l’exception qui donne au capitalisme sa respiration profonde.
 
Entrepreneuriat et opportunité historique : BYD
 
Il était une fois, à Shenzhen, un jeune ingénieur nommé Wang Chuanfu, qui ne portait pas les habits d’un conquérant, mais le regard de ceux qui voient ce que les autres ignorent encore. En 1995, il ne rêve pas de voitures. Il fabrique des batteries, à la main, avec rigueur et intuition. Là où les géants misent sur les machines, lui parie sur l’intelligence humaine et la souplesse de l’improvisation industrielle. Mais Wang ne construit pas pour aujourd’hui. Il prépare un autre siècle, un monde où l’énergie serait propre, silencieuse, et intégrée dans chaque roue. En 2003, il rachète un petit constructeur automobile moribond. Les experts rient. Lui, il redéfinit. Il ne veut pas faire de voitures thermiques meilleures : il veut inventer autre chose. Une batterie sur roues. Un système autonome.

Puis vient 2008 : Warren Buffett investit. Le signal est donné. Mais BYD ne cherche pas les projecteurs. Elle tisse son empire électrique, de bus silencieux en panneaux solaires, de logiciels embarqués en batteries maison. Tout est pensé, maîtrisé, intégré. Et en 2023, le renversement s’opère : BYD dépasse Tesla. Non par bruit, mais par solidité. Elle ne vend pas des voitures — elle vend un modèle énergétique, une vision, une autonomie stratégique. BYD n’a pas seulement "buildyourdreams". Elle a fabriqué une souveraineté, pièce par pièce.
 
L’entrepreneuriat et le rôle de l’Etat : La Chine
 
Il n’y a pas d’Empire sans architecte invisible. Et dans l’histoire de BYD, il y a un homme – Wang Chuanfu – et une ombre bienveillante, l’Etat chinois, qui n’a pas créé l’entreprise, mais qui l’a accompagnée comme on prépare une terre fertile. Car BYD n’est pas née dans les bras d’un ministère ou dans les tours glacées de la finance d’Etat. Elle est née d’un homme seul, dans un atelier de Shenzhen, avec pour seul capital une intuition : le XXIe siècle appartiendra à l’énergie propre. Et l’Etat, là, a observé. Il n’a pas subventionné, il a laissé faire. Il a fait ce que peu de gouvernements savent faire : ne pas étouffer la graine au moment où elle tente de percer.

Puis, alors que le monde doutait de la voiture électrique, la Chine a vu dans cette technologie plus qu’une opportunité. Elle y a vu une souveraineté à conquérir. Elle n’a pas cherché à rattraper l’Occident, elle a choisi de changer les règles du jeu. Et dans ce grand virage, BYD est devenue le cheval de tête. Les subventions n’étaient pas des faveurs. Elles étaient des leviers de destin. Des bus électriques déployés par milliers, non pour faire joli, mais pour incarner une volonté nationale. Les appels d’offres, les terrains offerts, les réductions fiscales — tout cela n'était pas clientélisme. C’était stratégie d’empire.

A Shenzhen, la ville devient un laboratoire à ciel ouvert. BYD y teste ce que d'autres promettent. L’Etat ne regarde pas. Il accompagne. Il ne contrôle pas. Il oriente. Et quand BYD veut franchir les frontières, ce n’est plus une entreprise qui voyage — c’est la Chine qui parle par elle. A Rabat, à Santiago, à Los Angeles, on ne signe pas seulement avec un constructeur : on signe avec une vision industrielle portée par un Etat lucide. Mais le rôle le plus fin, le plus profond, est ailleurs : dans le silence des stratégies énergétiques. Tandis que d’autres se battent pour du pétrole, la Chine sécurise le lithium, le cobalt, les batteries solides. Elle ne fait pas la guerre. Elle dessine les routes. Et BYD en est l’avant-poste roulant. Dans le miroir de BYD, c’est un Etat qui ne s’impose pas, mais s’incarne. Qui ne domine pas, mais propulse. Et qui rappelle que dans l’histoire économique, le plus puissant n’est pas celui qui finance… mais celui qui oriente le sens.

Pendant que BYD avançait, guidée non par les marchés mais par une boussole géopolitique, l’Occident, lui, regardait ailleurs. Il croyait encore que l’innovation se décrète dans les labs, que l’avenir se conquiert à coups de pitchs, de licornes, et de levées de fonds. Mais en Chine, on ne cherche pas l’innovation brillante. On cherche l’endurance silencieuse. L’Etat ne distribue pas des prix, il trace des trajectoires. Il ne subventionne pas l’idée la plus séduisante, il nourrit celle qui rend le pays autonome. Là où l’Occident délègue le progrès aux startups, la Chine intègre le progrès dans une stratégie nationale. Là où les Etats-Unis attendent de voir qui sera le prochain Tesla, la Chine fabrique son Tesla, mais sans la bourse, sans le spectacle. Avec de l’acier, de la rigueur, et des plans quinquennaux.

Et pendant que Bruxelles débat sur le libre-échange, Pékin structure des filières. Pendant que Paris rêve d’incubateurs, la Chine forge des usines. Et quand l’Europe parle d’écologie, BYD produit des bus électriques par milliers, non pas pour l’image, mais pour changer les flux réels. Ce contraste n’est pas seulement industriel. Il est civilisationnel. L’Occident a misé sur la disruption. La Chine, sur la durabilité. L’un sur le court terme des marchés. L’autre sur le temps long de la souveraineté.BYD, ce n’est pas qu’une marque. C’est le symbole d’un basculement du centre de gravité industriel mondial. Et l’Etat chinois, en arrière-plan, ne l’a jamais brandie comme un trophée. Il l’a modelée comme un levier.

Quelles leçons pour des pays comme le Maroc ?
 
Des pays comme le Maroc, à la croisée des chemins entre industrialisation ambitieuse et pressions sociales locales, peuvent tirer de précieuses leçons de l’expérience entrepreneuriale de la Chine — et en particulier de l’histoire de BYD. Dans l’histoire de BYD, il ne s’agit pas seulement de voitures électriques, mais d’une stratégie silencieuse. Une entreprise née non pas d’un coup d’éclat, mais d’un temps long, cultivé par un Etat qui n’a pas cherché à briller, mais à bâtir.

Abderrazak Hamzaoui
Abderrazak Hamzaoui
Le Maroc regarde souvent l’entrepreneuriat à travers le prisme de l’événementiel : concours, incubateurs, trophées. Mais ce qu’il nous faut, ce ne sont pas des étoiles filantes — ce sont des architectes enracinés. Des projets qui tiennent parce qu’ils répondent à une vision d’ensemble, à une filière, à un besoin de souveraineté.

Comme la Chine avec BYD, le Maroc a besoin d’un Etat stratège, qui ne distribue pas simplement des aides, mais oriente le sens. Un Etat qui connecte la formation, la recherche, l’industrie et l’ambition entrepreneuriale. Il ne s’agit plus de chercher à séduire les investisseurs, mais de rendre le territoire fertile. De ne pas se contenter d’applaudir les réussites visibles, mais de repérer celles qui germent dans le silence.

Par Abderrazak Hamzaoui
Email : hamzaoui@hama-co.net
www.hama-co.net


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