En Russie, les "zatseperi" courent sur les toits des trains pour braver l'ennui


AFP
Vendredi 5 Septembre 2014

En Russie, les "zatseperi"  courent sur les toits des trains pour braver l'ennui
Depuis ses dix ans, Sacha prend le train une à deux fois par jour pour parcourir la banlieue de Moscou. Mais au lieu de  s'asseoir avec les autres passagers, le jeune homme préfère monter courir sur  le toit des wagons, à parfois plus de 100 km/h.
Comme lui, de plus en plus de jeunes Russes, surnommés les "zatseperi" (les "surfeurs"), risquent leur vie en escaladant les trains de banlieue, bravant intempéries et vitesse pour un peu d'adrénaline et le plaisir d'un pied de nez  aux autorités.
"Je ne compte plus les kilomètres parcourus sur les toits des trains. Quand j'ai commencé, je « surfais » tous les jours, toutes les nuits, je n'allais plus à l'école", raconte Sacha.
Âgé d'à peine 18 ans, Sacha, dont le visage a gardé ses traits d'enfant, assure ne courir aucun danger "à condition de ne pas boire".
"Je rentrais d'une soirée avec un ami, on avait un peu bu. Il est tombé du train, ça l'a tué sur le coup", raconte-t-il. "J'ai arrêté de surfer pendant une semaine, puis j'ai recommencé". "Être sur le toit d'un train à regarder le paysage, c'est ça la liberté, et personne ne nous arrêtera", fanfaronne son ami Vladimir, 14 ans, qui surfe depuis un an.
Un sentiment d'impunité entretenu par la faible amende que risquent les zatseperi s'ils sont arrêtés par la police: à peine 100 roubles (2,5 euros). Elle devrait sous peu augmenter et atteindre la somme plus dissuasive de 5.000  roubles (125 euros), comme l'exige depuis plusieurs années RZhD, la compagnie de chemin de fer nationale. "Ça ne va rien changer, au contraire: on va passer notre temps à tenter d'éviter la police, on va moins se concentrer sur notre sécurité et peut-être que ça va nous coûter la vie", s'inquiète Sacha.
Il y a deux semaines, Micha, 16 ans, voyageait sur le toit d'un train qui venait de s'arrêter dans une gare, lorsque des policiers moscovites l'ont pris en chasse. "J'ai sauté pour les semer, mais je suis tombé la tête en premier sur le goudron. Mon visage était en sang", raconte-t-il. 
Quand il est rentré chez lui, ses parents lui ont tout simplement demandé  "de faire davantage attention".
 
Une jeunesse 
livrée à elle-même 
 
"Mais je m'ennuie maintenant sur les trains de banlieue, c'est trop facile, il n'y a plus d'adrénaline. Je vais peut-être tenter le Sapsan", un train qui  relie Moscou et Saint-Petersbourg, avec des pointes à 250 km/h.
Courir sur les toits des trains, sauter de wagon en wagon ou frôler les  rails en se retenant d'un seul bras... "Ce n'est ni un sport ni une contestation des autorités", assure Aleksandr Tarassov, sociologue spécialisé sur la jeunesse russe et directeur du centre d'études Phoenix. "Mais une façon de s'occuper pour les jeunes dont personne ne s'occupe, ni l'Etat, ni la société, ni leur famille". "Sous l'époque soviétique, les Komsomols -- des organisations de la jeunesse communiste -- prenaient en charge les jeunes et leur proposaient des activités sportives ou artistiques. Aujourd'hui il n'y a plus rien pour nos  jeunes", accuse le sociologue. Face au vide des infrastructures pour la jeunesse, le président Vladimir  Poutine, qui s'est souvent déclaré nostalgique de l'URSS, a annoncé que l'ancien programme soviétique sportif "Prêts pour le travail et la défense" reprendrait dès septembre.
"C'est de la poudre aux yeux! Cela ne va pas empêcher les jeunes de surfer sur les trains", pronostique M. Tarassov. "Il faut s'attaquer au vrai problème: leur milieu sociologique. Les enfants viennent de familles pauvres, où les  parents, alcooliques, drogués, ont eux aussi vécu une jeunesse sans cadre  pendant les années 90 après la chute de l'URSS".
A Tchoukhlinka, petite gare dans le sud-est de Moscou, seuls quelques  passagers passent par les portillons: la grande majorité d'entre eux - adultes  comme adolescents - préfèrent escalader les grilles pour ne pas payer leur  billet. 
"Je n'arrêterai jamais de frauder ou de surfer sur les trains: payer pour  rester immobile dans un wagon, je ne sais plus faire", soutient Sacha. "Et puis  maintenant, je connais toute la région de Moscou par coeur: le train, c'est  devenu ma maison!" 


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