Diam’s, le pouvoir du silence


Par Nadia Fadil *
Samedi 26 Décembre 2009

La chanteuse française Diam’s porte un voile. Et c’est une nouvelle. Dans la France de Sarkozy, certainement, où depuis le début de cet été, un débat sur la burqa fait rage, lequel s’est rapidement étendu à un débat sur le voile et l’identité nationale. Burqa, voile : c’est devenu du pareil au même et cela a surtout servi à situer des pratiques déterminées en dehors de l’identité française. Le fait qu’une Française populaire se soit convertie à l’islam et décide de porter un voile est particulièrement difficile à comprendre selon les « critères rationnels » qui soutiennent la France laïque. La menace semble subitement provenir de l’intérieur, de la part d’une «Française de souche» et non pas des immigrés qui se comportent comme des perturbateurs en raison de leur incompatibilité culturelle. Diam’s, une icône de l’émancipation, avec un style plutôt masculin, cette Diam’s, précisément, décide de porter un voile.
Mais jusqu’à présent, Diam’s refuse de parler de son foulard. Depuis la sortie de son quatrième CD, SOS, elle se mure dans le silence. Au cours de ses rares apparitions télévisées, elle se limite à son activité de rappeuse et refuse chaque interview sur sa vie privée. La raison : la religion est une «affaire privée», et tout ce qu’elle a à dire, elle le dit en rappant. Le silence de Diam’s est en contraste flagrant avec l’attention dont il fait l’objet. Des collègues du hip-hop et d’autres artistes sont questionnés sur leur sentiment concernant son choix, et différentes hypothèses des commentateurs circulent sur les raisons de son silence. Dépression ? Arrogance ? Ou plus grave encore : radicalisation ?
Le silence est généralement associé à la passivité, l’inaction ou l’impuissance. On est silencieux parce qu’on n’ose pas parler. Silencieux parce qu’on a renoncé. Ou parce qu’on part du principe que l’autre ne comprendra de toute façon pas. Le silence est alors l’égal du défaitisme, ou de l’angoisse. Angoisse de la méconnaissance, de l’incompréhension, angoisse d’être ridiculisé, parce que l’on croit que parler ne servira à rien. Ceci est également conforme à l’interprétation du sociologue français Eric Fassin, qui voit dans le silence de Diam’s un «aveu d’impuissance».
Mais dans certaines circonstances, le silence peut devenir une arme particulièrement puissante. Tellement forte qu’il devient une autre langue, porteuse de signification. En faisant le choix de se taire, Diam’s semble rejeter le carcan des questions auxquelles on la contraint. Des questions qui appellent une réponse sur son choix religieux, son choix du voile… Diam’s ne parle peut-être pas, mais elle rappe de toutes ses forces. Aux discours orientés dans l’espace public, où il n’est pas question de sa voix mais bien plus de ce qu’elle représente – une musulmane convertie voilée – Diam’s oppose le hip-hop dans lequel elle raconte son histoire : ses choix de vie, ses convictions, ses espoirs pour la France de ses rêves où les différences n’ont plus d’importance mais sont reléguées à l’arrière-plan. Une langue qui s’accorde d’ailleurs bien avec les jeunes des métropoles, qu’ils habitent à Molenbeek ou à Clichy-sous-Bois. Le hip-hop apparaît comme une langue qui parle à beaucoup d’entre eux, parce qu’elle leur propose des termes pour exprimer leurs ressentis et leurs expériences, et leur permet d’exister.
Pas seulement Diam’s, mais aussi d’autres protagonistes français se sont drapés dans le silence ces dernières semaines – ou à vrai dire, ils refusèrent le débat public. Parmi eux, presque 38.000 Français, y compris des poids lourds de la politique, du monde académique ou de la scène artistique, qui signèrent l’appel «Nous ne débattrons pas», du journal en ligne Mediapart, en réaction au grand débat lancé par Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale. Débattre sur l’«Etre français» signifie d’ailleurs débattre sur qui n’est pas ce dernier. Et cela signifie exclusion.
Ces derniers mois, nous avons à nouveau été témoins, en Flandre et en Belgique francophone, d’une tempête de discussions dans le débat multiculturel. Ce dernier commença avec le voile, se porta ensuite sur les mariages des immigrés et leurs effets sur l’intégration, les minarets suisses ne pouvant pas non plus échapper à notre attention.
En Flandre, on tenta même de reprendre le débat français. En version flamande bien entendu (les différences «inconciliables» entre le Nord et le Sud et les frontières linguistiques ne font subitement plus partie de telles discussions). Le dénominateur commun dans cette cacophonie est à chaque fois, à nouveau, la question des limites de ce que «nous» trouvons acceptable. Ce «nous» implique généralement un groupe spécifique (ce n’est pas l’allochtone, le musulman, l’«autre»).
En Flandre et en Belgique francophone, nous ferions peut-être bien de prendre exemple sur le silence français plutôt que le débat français. Un silence qui revient en fait au refus d’un débat qui est proprement dessiné par les politiciens et les gros bonnets des médias, et qui divise plus qu’il ne rassemble.
Le défi collectif réside peut-être plutôt dans notre capacité à canaliser nos passions et énergies politiques vers des questions centrales qui nous touchent, comme la question de la crise économique, ou de la «justice climatique» qui risque de perdre de son envergure actuelle dans l’après Copenhague. En ce qui concerne la question de l’identité nationale, on ferait peut-être mieux de suivre l’exemple de Diam’s, et simplement nous taire.

* Sociologue, chercheuse FNRS à la KULeuven (Belgique)


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