Démocratie et autoritarisme dans le monde arabe


Par Hassan FAOUZI *
Jeudi 10 Mars 2011

L’autoritarisme n’est pas une espèce politique particulière : si l’on observe la plupart des régimes autoritaires arabes, on s’aperçoit que la quasi-totalité de ces derniers possède les mêmes institutions politiques que les régimes démocratiques, c’est-à-dire des institutions constitutionnelles représentatives. De ce point de vue, l’autoritarisme semble un mode d’organisation des institutions représentatives plutôt qu’une organisation propre, possédant sa propre logique institutionnelle. Juan Linz décrit les démocraties comme des régimes où les gouvernants sont en place pro tempore, autrement dit, comme des régimes où les gouvernants n’ont qu’un temps limité devant eux. Ce n’est pas le cas des régimes autoritaires où les gouvernants semblent l’être ad vitam aeternam. Ceci tient, pour l’essentiel, à la manipulation du vote et à la présence d’un parti, sinon unique, du moins dominant ou, dans certains cas, à l’absence de parti dominant avec une manipulation du vote destinée à produire une forte fragmentation de la représentation (Boutaleb et al., 2005).
L’ouvrage de Pratt Nicola, « Democracy & Authoritarianism in the Arab World », paru en 2007, nous permet de comprendre les évolutions dans le monde arabe. Consacré au potentiel démocratique en Égypte, il nous livre une analyse comparative approfondie des différents régimes politiques existant dans le monde arabe. Il se base, pour ce faire, sur un certain nombre de théoriciens de l’autoritarisme (Linz, etc.).
Le rôle de la société civile dans les pays arabes est plus ou moins actif selon les régimes et elle constitue parfois une alternative démocratique potentielle. La période s’étendant de la première guerre mondiale aux années 1960, se caractérise comme étant la phase initiale de construction et de normalisation de l’autoritarisme. En effet, c’est pendant cette période que des mouvements nationalistes vont surgir et s’activer pour lutter contre le colonialisme européen et que les premiers États modernes vont se construire, après les indépendances parfois durement acquises. Le nationalisme arabe qui prend surtout son essor après la crise de Suez en 1956, va acquérir une immense popularité et déstabiliser les vieilles élites liées à la période coloniale (Petermann, 2008). De fait, de nouvelles hiérarchies sociales et politiques vont apparaître dans le cadre de la construction de l’État nation. À l’époque, la société civile tombera rapidement sous le contrôle de ces nouvelles élites et cette prise de contrôle contribuera à consolider les régimes autoritaires.
Pendant les années 1960, les crises et les changements de régime vont se succéder. Des mouvements d’opposition vont apparaître qui vont remettre en question la capacité des dirigeants à conduire la modernisation sur le plan national. C’est surtout après la défaite des armées arabes en juin 1967 que le panarabisme d’abord, et la rhétorique nationale socialiste ensuite, seront remises en question. C’est à partir de là, en effet, que l’on va voir les régimes arabes se tourner vers le capital privé, national et étranger, en vue de mener la modernisation indispensable à la consolidation de l’État-nation et de leurs propres privilèges. Cette phase est caractérisée par l’introduction de l’infitah (littéralement la politique de la porte ouverte) dans la sphère politique comme dans la sphère économique. C’est l’époque où certains régimes renversent les alliances, se tournent vers les États-Unis (c’est le cas de l’Égypte du président Sadate) et introduisent sous des formes variées une dose relative de libéralisme politique dans le fonctionnement des institutions (Petermann, 2008). Dans le même temps, des mouvements de protestation se développeront dans les mondes étudiant et ouvrier et l’on assiste à l’émergence de mouvements islamistes qui cherchent à récupérer la protestation sociale. Mais les élites en place parviennent à récupérer ces mouvements qui vont, paradoxalement, contribuer à consolider les pouvoirs en place.
Ces élites en place vont gérer la situation à leur profit au moment où la situation économique se dégrade. Tout en cherchant à maintenir le cap de la libéralisation économique indispensable à la modernisation de leur pays, les leaders en place vont chercher à décompresser, c’est-à-dire à canaliser le mouvement de protestation et à contrôler la société civile. La répression a été inopérante et n’a fait qu’exacerber les tensions.
L’échec de ces politiques a permis l’émergence de mouvements d’opinion et de débats entre les différentes composantes de la société civile, y compris les mouvements islamistes, les groupes de défense des droits de l’homme et les groupes qui militent en faveur des droits des femmes. Ces débats remettent en question le rôle de l’État, l’identité nationale, les orientations idéologiques et le statut de la femme. Ils touchent à des questions aussi sensibles que la place de la religion dans la société, la diversité ethnique et religieuse, et cherchent également à formuler des tactiques visant à démocratiser la société dans son ensemble (Petermann, 2008). Une véritable guerre de position va ainsi s’engager entre les élites dirigeantes souvent inamovibles et ces composantes de la société civile. L’existence même de ces débats contribue à saper les fondements de l’autoritarisme bien qu’elle reconnaisse qu’il ne s’agit pas d’un processus linéaire. Ce processus alternatif à l’autoritarisme peut d’ailleurs s’interrompre du fait de l’incapacité de la société civile, de la répression des pouvoirs en place ou de l’intervention d’autres acteurs, y compris internationaux.
L’émergence de liens transnationaux entre les différents acteurs de la société civile dans le monde arabe, va contribuer à renforcer à terme le processus de démocratisation en cours mais selon des modalités diverses et avec des résultats imprévisibles. Le processus est complexe. Ces mouvements transnationaux remettent en question le discours nationaliste qui légitime l’autoritarisme, et qu’ils constituent des moyens de pression visant à amener les dirigeants à démocratiser les régimes. Á titre d’exemple nous citons le mouvement réformiste égyptien Kifaya (dont font partie des islamistes non violents) qui est une émanation de cette vague aux contours imprécis et changeants.
Mais d’un autre côté, ces mouvements peuvent avoir l’effet contraire et consolider soit l’islam conservateur, soit le nationalisme arabe laïcisant. En conséquence, il nous semble clair que ces liens transnationaux peuvent ne pas nécessairement mener à la démocratisation des régimes arabes (Petermann, 2008). Celle-ci ne pourra véritablement aboutir que si elle prend en compte les racines historiques et les dynamiques politiques qui ont porté ces régimes.
Pratt Nicola s’interroge à la fin de son ouvrage sur les méthodes utilisées par les régimes autoritaires pour se maintenir en place (contrôle des ressources matérielles, institutions, corruption, forces répressives et contraintes morales et idéologiques). Ces régimes n’hésitent pas á brandir l’épouvantail de l’islamisme et avancent même l’idée que la culture musulmane est incompatible avec l’idée de démocratie dans un monde arabe divers et complexe. Un monde arabe en pleine mutation et qui risque de nous réserver bien des surprises.

* Docteur en Géographie, Environnement, Aménagement de l’Espace et Paysages
Université Nancy 2, France


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