Chine : crime des mots et prix de la liberté


Par DanielSalvatore- Schiffer Philosophe.
Jeudi 7 Janvier 2010

Le 25 décembre 2009, jour de Noël, n’aura certes pas été un jour de fête en Chine, l’un des derniers bastions de la dictature communiste, quoique celle-ci se voit également teintée, ces dernières années, des pires dérives du capitalisme sauvage et autre mercantilisme boursier : Liu Xiao Bo, dissident chinois âgé de 53 ans, y a été en effet condamné à onze ans de prison, avec enfermement immédiat, pour “incitation à la subversion au pouvoir d’Etat”.
C’est là depuis 1997, date de l’instauration de cet odieux chef d’accusation, la peine la plus sévère qui ait jamais été administrée à un dissident de ce pays. Phelim Kine, responsable, pour l’Asie, de Human Rights Watch, l’un des organismes politico-humanitaires les plus influents et crédibles, avec Amnesty International, ne s’y est d’ailleurs pas trompé : cette très lourde peine sonne comme “un avertissement explicite du gouvernement aux intellectuels chinois, aux militants de la société civile et aux défenseurs des droits de l’homme”, a-t-il très justement déclaré, heurté tout comme nous par cette ignoble et vile inculpation, au lendemain de ce terrible verdict.
La réprobation de ces méthodes aussi répressives qu’arbitraires, qui avaient par ailleurs déjà très largement sévi lors des tristement célèbres événements de la place Tienanmen, en juin 1989, a été, du reste, quasiment unanime aux quatre coins de la planète démocratique. Car que prônait-il au juste, Liu Xiao Bo, écrivain, professeur à l’Ecole normale de Pékin et auteur de la récente Charte 08, sorte de manifeste idéologique calqué sur la fameuse Charte 77 des anciens dissidents tchécoslovaques, et de Vaclav Havel en particulier, protagonistes de ce que l’on appela alors, quelques semaines après la chute du mur de Berlin, la “révolution de velours” ? Rien moins, très exactement, que les principes les plus élémentaires mais inaliénables, dont la liberté d’expression, de toute démocratie digne de ce beau nom !
De fait : “Nous devrions cesser la pratique qui consiste à qualifier de crimes des mots”, y écrit, de manière aussi lucide que courageuse, Liu Xiao Bo. Et, dans la foulée, d’en appeler, pour son pays, à “la rédaction d’une nouvelle Constitution qui garantisse les droits humains, des élections libres, ainsi que les libertés religieuses, de pensée et d’expression”.
Telle est la pure et simple vérité, révoltante pour tout démocrate : c’est pour avoir osé écrire ces mots aussi limpides que sensés, défiant ainsi cette autorité suprême et centrale, à la fois, que représente, aujourd’hui encore, le Parti communiste chinois, que le pauvre Liu Xiaobo vient de se voir infliger onze ans d’emprisonnement.
Qu’il n’en soit que le plus illustre des boucs émissaires, brandi aux yeux des masses populaires à titre d’exemple à ne pas suivre, sous peine d’avoir à endurer les mêmes sévices, voilà qui ne nous étonnera d’ailleurs pas, malgré cette indignation qui désormais nous oppresse, lorsque l’on sait que cette même Charte 08 a été signée par plus de 10 000 personnes, dont 300 intellectuels de tout premier plan, au sein desquels émergent notamment Hu Jia (déjà condamné, en 2007, à plusieurs mois d’incarcération), Jan Jiaqi (président, en 1989, des manifestants de Tienanmen et fondateur, en exil à Paris, de la Fédération pour la démocratie en Chine) et Gao Xingjian (prix Nobel de littérature en 2000).
Les poètes, de Federico Garcia Lorca à Salman Rushdie, en passant par Robert Desnos ou Pablo Neruda, ne l’ont-ils pas d’ailleurs naguère déjà chanté, parfois au prix de leur vie : “L es plus beaux chants sont des chants de revendication.”
D’où, en guise de conclusion à cette réflexion éprise de seule liberté, cet appel que j’adresse, avec tous les hommes de bonne volonté sur cette terre trop souvent martyrisée, à Barack Obama, président de la plus grande démocratie du monde, les Etats-Unis d’Amérique, mais, surtout, prix Nobel de la paix, fraîchement élu, de cette même année 2009 : au lieu de tant baisser le front, pour de sordides et très cupides intérêts économiques, face à cette Chine totalitaire, comme il le fit trop lâchement lors de ce honteux sommet de Copenhague sur le climat, qu’il ose enfin, face à ces mêmes dirigeants, hausser le ton. Il est temps !
Peut-être méritera-t-il enfin ainsi son prix Nobel de la paix, lui qui, il y a quelques semaines à peine, poussa l’impudence, sinon la duplicité, jusqu’à refuser de rencontrer sur son territoire même, par peur de froisser son homologue chinois et de compromettre ainsi les enjeux de sa diplomatie, le Dalaï Lama en personne, pourtant prix Nobel de la paix lui aussi comble du paradoxe !



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