Bernanke nous a-t-il sauvés d'une autre grande dépression ?


Par Georges Selgin *
Mardi 6 Octobre 2009

Bernanke nous a-t-il sauvés d'une autre grande dépression ?
La récession est probablement terminée. C'est ce qu'a déclaré Ben Bernanke dernièrement. Son timing est subtil. Le Président Obama l’a reconduit dans ses fonctions de président de la Fed, et il peut désormais passer son audience de confirmation devant le Sénat cet automne avec la réputation d’avoir étouffé une autre Grande Dépression dans l'œuf. Mais est-ce vraiment le cas ?
Remettre en question les mérites du travail de M. Bernanke s’apparente à essayer de convaincre un citoyen moyen de la Grèce antique que Zeus est un faible empoté. C'est parce que la mystique qui entoure les actions ordinaires de la Fed — sans parler de ses récentes actions extraordinaires — est plus épaisse encore que le brouillard au sommet de l’Olympe. Les gens entretiennent des croyances parfaitement absurdes concernant ce que la Fed peut — et ce qu'elle ne peut pas — faire, et alors que certains se plaisent à blâmer la Fed pour chaque soubresaut économique, d'autres ne sont pas moins convaincus que l'économie pourrait mourir si elle n'était pas constamment là pour en prendre soin.
D’habitude on n’a pas besoin de se tourner vers de vieilles émissions de télévision pour en tirer des enseignements économiques. Cependant, le meilleur moyen de mettre en perspective le rôle de la Fed dans la récente crise est de se rappeler un épisode de « Les allumés de Beverly Hills » — celui dans lequel Mamie convainc tout le monde qu'une cuillerée de son médicament peut guérir le rhume. Effectivement, il le peut : mais cela prend entre une semaine et 10 jours.
Bien sûr, les récessions ne peuvent disparaître dans les 10 jours. Mais elles se terminent finalement, avec ou sans l'aide des banquiers centraux. Selon le National Bureau of Economic Research, les États-Unis ont vécu 32 récessions entre 1854 et 2001, la durée moyenne de chacune était d'environ 17 mois — ou quelques mois de moins que la récession actuelle, à ce jour.
Même un ralentissement sévère peut être suivi d'un rétablissement rapide sans intervention agressive de la banque centrale. Durant la récession de 1921, les prix de gros, la production industrielle, et l'emploi manufacturier ont tous chuté de 30% ou plus en un an. Pourtant, au début de 1922, l'économie américaine s’était rétablie pleinement de sa chute de mi-1921. Qui plus est, elle l’a fait sans l'aide de la Fed, qui a laissé la récession suivre son cours afin de précipiter le rétablissement de l'étalon-or d'avant-guerre.
Bernanke, en revanche, a été loué pour la prise des mesures innovantes pour maîtriser un effondrement de l'économie soi-disant sans précédent. Mais ses innovations comportaient des erreurs, et des omissions, qui ont presque certainement aggravé le ralentissement économique récent, et l’ont fait durer plus longtemps.
Jusqu'à la fin de l'été 2008, la Fed a réagi à ce qui était vraiment une crise de solvabilité comme s'il s'agissait d'une crise de liquidité, instituant la Term Auction Facility en décembre 2007 et abaissant considérablement son taux d'intérêt directeur. Pendant qu'elle prenait ces mesures, les preuves empiriques n’indiquaient pas une pénurie de liquidités, mais des craintes que le risque de contrepartie associé aux titres hypothécaires soit à l’origine du resserrement du crédit. Les actions de la Fed, seules et en collaboration avec le Trésor américain, n'ont rien fait pour dissiper ces craintes.
Au contraire : elles les ont aggravés en déversant inutilement de la monnaie, et en récompensant les entreprises imprudentes financièrement au détriment de leurs rivales plus prudentes, y compris les acheteurs potentiels. Tout ceci en déstabilisant les marchés financiers encore davantage en suggérant que Bernanke lui-même avait abandonné la politique monétaire à l'ancienne.
À partir de la fin de l'été 2008, la Fed a commis une erreur dans l'autre sens. En partie à cause de ses faux pas précédents (et de ceux du Trésor), dont les tactiques d'intimidation utilisées pour conduire le Congrès à approuver le plan de sauvetage du Trésor, une crise de liquidité réelle avait alors émergé. Pourtant, la Fed a résisté à un assouplissement nécessaire de la politique monétaire jusqu'au début octobre. À ce moment, même si elle avait finalement pris des mesures pour étendre agressivement les réserves de crédit des banques, elle a sapé l’effet de relance qu'aurait eu cette stratégie, par le lancement d’une nouvelle politique de paiement d'intérêts sur les réserves des banques. En bref, la Fed a agi comme elle l'avait fait en 1936-37 lorsque, craignant l'inflation, elle avait décidé de doubler les réserves obligatoires des banques, replongeant les États-Unis dans la Grande Dépression dont le pays s'efforçait se sortir.
À bien des égards, Bernanke a été traité sévèrement quand il est devenu président. La Fed a fait beaucoup d'erreurs au début de cette décennie — en premier lieu, le maintien des taux d'intérêt trop bas pendant trop longtemps — qui ne sont pas entièrement de sa faute. Mais quand la crise a frappé alors qu'il était le patron, il eut un choix à faire : il aurait pu s'en tenir aux règles orthodoxes qui auraient aidé à rompre le lien entre l'effondrement du marché immobilier et la récession, en maintenant la Fed fermement concentrée sur l'objectif de préserver la disponibilité globale des liquidités pour le système bancaire. Au lieu de cela, il a pris les devants en accordant des cadeaux inutiles et ad hoc aux banques individuelles qui, souvent, n'en avaient pas besoin ou n’en valaient pas la peine. Un strict respect de son rôle traditionnel de maintien d'un accès sain des banques aux liquidités aurait également empêché la Fed de compromettre effectivement la solvabilité des banques en subventionnant les firmes imprudentes.
Si le Congrès US souhaite réellement encourager Bernanke à lutter efficacement contre les récessions à venir, il doit prendre des mesures pour le contraindre à s'en tenir aux procédures de politique monétaire classiques, au lieu de le féliciter pour ses innovations qui ont fait peut-être plus de mal que de bien.

* Professeur d’économie à l’Université de Géorgie et analyste au Cato Institute de Washington DC.
article publié en collaboration avec  www.unmondelibre.org



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