Benmoussa entre moyens disponibles et ambitions affichées

Placer l’école publique dans le top 60 mondial en la réhabilitant via un enseignement généralisé de qualité. Encore faut-il que la volonté y soit.


Hassan Bentaleb
Lundi 8 Novembre 2021

Placer l’école publique dans le top 60 mondial en la réhabilitant via un enseignement généralisé de qualité

Le nouveau gouvernement a de grandes ambitions pour l’école publique. Il aspire à classer le Maroc parmi les 60 meilleurs pays en termes de systèmes éducatifs via la réforme, la promotion et la réhabilitation de l’école publique pour qu’elle soit attractive et source de compétences futures. Pour y arriver, l’Exécutif mise sur la réhabilitation de la profession d’enseignant considérée comme le point d’entrée principal pour entamer la réforme du système éducatif en améliorant la formation des enseignants et leurs conditions de travail. Mais détrompez-vous, l’accès à une éducation de “qualité” et “généralisée” ne sera pas pour demain. La rentrée scolaire 2021/2022 sera une année transitoire sans grandes mutations. La preuve : le budget alloué au secteur et qui en dit long sur la réforme tant attendue. En effet, et lors de son passage mercredi dernier devant la commission de l’enseignement, de la culture, et de la communication à la Chambre des représentants pour présenter le budget de son département en 2022, Chakib Benmoussa, ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports, a indiqué que son ministère aura besoin d’une enveloppe de 62 Mds de DH en 2022, (plus de 3 Mds de DH par rapport à 2021) dont 80% seront alloués aux salaires des enseignants (50 Mds de DH). Il a également annoncé son intention de créer de nouvelles classes pour accueillir les élèves du préscolaire ainsi que la création de 17.344 postes, dont 11.000 pour compenser les départs à la retraite sans parler de sa volonté de lutter contre la densité dans les classes. Selon lui, 80% des classes comptent plus de 36 élèves dans l’enseignement primaire, entre la 3ème et la sixième année.

Ça commence mal
Et qu’en est-il des attentes des Marocains qui cherchent désespérément l’amélioration substantielle de la qualité des apprentissages et leur adaptation aux besoins du marché du travail, du rehaussement des compétences pédagogiques des enseignants, de l’encouragement de l’ouverture sur les langues étrangères, et de la mise en place d’un système d'orientation efficient pour maximiser les chances de réussite scolaire ? « Le PLF 2022 relatif au secteur de l’éducation nationale ne répond pas aux attentes du personnel de ce secteur concernant sa réforme et l’amélioration de la situation financière des enseignants et ne correspond pas aux annonces faites par le programme gouvernemental», nous a indiqué Sadek Rghioui, SG du Syndicat national de l’éducation – FDT. Et d’ajouter : «Nous considérons également que les insinuations du ministre concernant les salaires des enseignants comme étant source d’épuisement des ressources du secteur, constituent une erreur grave incompatible avec les orientations stratégiques de l’Etat qui considère le dossier de l’éducation nationale comme la deuxième grande priorité après celui de l’intégrité territoriale. Nous nous attendions à plus de compréhension et de réformes, mais la réponse du nouveau ministre a été décevante».

Moral en berne
De son côté, Jamal Akchbab, enseignant à Zagora, estime qu’aucun signe de réforme ne s’est manifesté alors que l’année scolaire a débuté il y a un peu plus d’un mois. D’autant plus que tout changement ne peut pas se produire, selon lui, dans un cadre chaotique marqué par l’encombrement des classes, l’inadaptation des infrastructures scolaires notamment dans le monde rural, la détérioration de la situation des enseignants et la liste est longue. « Aujourd’hui, de plus en plus d’enseignants attendent avec impatience de boucler 30 années de service pour demander leur départ. Nos établissements scolaires sont à présent proie à une hémorragie de ces cadres qui n’ont qu’une envie, celle de quitter le secteur », nous a-t-il confié. Et de poursuivre : « Et rien n’augure que la situation va s’améliorer puisque les enseignants sont appelés à assumer de nouveaux rôles. En effet, un enseignant devra jouer, au-delà de sa mission d’apprentissage, le rôle de conseiller en orientation et celui d’inspecteur de l'éducation nationale veillant à la mise en œuvre de la politique éducative dans les classes ». Pour notre interlocuteur, un sentiment de dégoût et de mécontentement règne parmi les enseignants contre l’absurdité des politiques et programmes de réforme qui se succèdent et se ressemblent sans grand succès.

Improvisation et anarchie
Même son de cloche de la part de Abdeljalil Elbarini, enseignant à Essaouira, qui affirme que la situation demeure identique. «Nous sommes face à la même réalité et chaque année la situation devient davantage pire (insuffisance des cadres, problème des enseignants contractuels, opérationnalisation partielle du programme ‘’Un million de cartables’’, gel des promotions, etc) », nous a-t-il indiqué. Et d’expliquer : « Cette situation de malaise affecte, à la fois, l’enseignant, l’élève et les établissements scolaires. En fait, les élèves se sont transformés en cobayes utilisés pour tester les nouvelles pédagogies et les manuels scolaires. Pis, l’élève est censé apprendre uniquement la lecteur et l’écriture. En effet, il n’y a plus de vie scolaire en dehors des programmes scolaires. Les activités parallèles (club de théâtre, éducation aux droits de l’Homme, presse, etc.) ont disparus. Les écoles en tant qu’infrastructure endurent aussi cette réalité morose. Plusieurs établissements fonctionnent sans eau potable, sans électricité et parfois sans toilettes notamment dans le monde rural». Pour notre source, le secteur de l’éducation nationale avance à l’aveuglette sans une vision pédagogique et didactique claire. « Il y a la multiplicité des avis et des orientations. Chaque ministre arrive avec sa propre vision des choses, ce qui crée des contradictions et de l’anarchie », a-t-il souligné. En effet, et selon les conclusions du rapport du Nouveau modèle de développement, si l’Etat a réussi à garantir une généralisation de la scolarisation, «néanmoins, ces efforts n’ont pas été accompagnés par une amélioration de la qualité des services publics d’éducation-formation. Les performances de l’école marocaine demeurent très faibles, avec deux tiers des élèves qui ne maîtrisent pas la lecture à la fin du primaire et un taux de déperdition scolaire qui demeure très élevé », explique le document.

Il y a encore de l’espoir
Que demandent les enseignants au nouveau gouvernement ? « Nous attendons une véritable réponse à nos attentes et une vraie volonté pour résoudre les problèmes qui ont trop duré, à savoir l’amélioration de la situation morale et financière des enseignants, la résolution des problèmes qui durent depuis 2011, la création d’un nouveau statut en mesure d’intégrer l’ensemble des enseignants et la réforme des programmes, pédagogies et méthodes de travail », nous a répondu Sadek Rghioui. Et de préciser : « Les mesures annoncées par le programme gouvernemental doivent êtres entamées dès aujourd’hui. Notamment dans ce contexte national et régional tendu où le moral de nos concitoyens est en berne. Il faut donner de vrais signes de changement». Pour sa part, Abdeljalil Elbarini soutient que le secteur doit être confié à un ministre technocrate. « Et même si cela paraît anti-démocratique, il permettra, au moins, au secteur de ne plus être balloté entre les positionnements des uns et des autres puisque nous avons besoin d’aller vers une seule direction », nous a-t-il affirmé. Et de conclure : « Nous restons, pour autant, optimistes puisque le dossier de l’éducation nationale a été confié à Chakib Benmoussa qui a supervisé la conception du Nouveau modèle de développement qui a érigé l’accès à une éducation de “qualité” et “généralisée” comme un socle et vise d’ici l’horizon 2035, à ce que 90% des élèves possèdent “les compétences scolaires fondamentales à la fin du cycle primaire” ». 

Une éducation de qualité pour tous

L’ambition du Nouveau modèle de développement est d’initier une véritable renaissance éducative marocaine. L’école marocaine doit permettre à chaque élève d’acquérir les compétences fondamentales pour assurer son insertion sociale, favoriser sa réussite académique et professionnelle. Elle doit devenir le creuset de formation de jeunes épanouis qui façonneront l’avenir du Maroc, en leur transmettant le sens de l’autonomie et de la responsabilité, une éthique empreinte de valeurs humanistes ancrées dans l’identité marocaine, une ouverture d’esprit et une capacité d’adaptation dans un monde en mutation accélérée. La concrétisation de cette ambition nécessite de surmonter la crise à trois dimensions que vit le système éducatif marocain : une crise de la qualité des apprentissages se traduisant par une majorité d’élèves ne maîtrisant pas les compétences de base en lecture, en calcul et en langues au terme de leur parcours scolaire; une crise de confiance des Marocains à l’égard de l’institution éducative et de son corps enseignant ; et une crise de vocation de l’école, qui ne joue plus son rôle d’ascenseur social et de promotion de l’égalité des chances. Ces facteurs de vulnérabilité ont été exacerbés par la crise du Covid-19. Celle-ci, en raison des perturbations induites sur le fonctionnement du système scolaire et la non préparation de ce système à des modes d’enseignement autres qu’en présentiel, a contribué à accentuer les inégalités éducatives et à affaiblir le rendement du système éducatif dans son ensemble. Sans une transformation profonde du système éducatif, aucun des objectifs de développement du Maroc ne pourra être atteint en termes d’épanouissement des citoyens, de cohésion sociale, de croissance économique et d’inclusion territoriale. C’est pourquoi le nouveau modèle appelle à une véritable renaissance éducative pour améliorer substantiellement la qualité de l’enseignement et replacer l’école publique au cœur du projet de société du Maroc. A l’horizon 2035, plus de 90% des élèves devront posséder les compétences scolaires fondamentales à la fin du cycle primaire, contre moins de 30% en 2020. La réalisation de cette ambition requiert une transformation systémique touchant aux déterminants fondamentaux de la qualité de l’enseignement.
Source : Rapport du Nouveau modèle de développement

L’éducation nationale en chiffres

8.736.000 millions d’élèves ont rejoint les bancs de l’école, dont 985.428 inscrits en préscolaire. Le nombre des élèves de la première année primaire devrait atteindre 762.815, dont 351.874 en milieu rural, 107.895 dans le secteur privé et 15.021 dans l’enseignement originel. Quelque 11.685 établissements, dont 139 nouvelles structures et 27 écoles communautaires, ont accueilli les élèves, mobilisant quelque 332.911 enseignants, dont 15.000 nouveaux cadres des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF) et 2.000 cadres de soutien administratif, éducatif et social. Six nouveaux internats ont vu le jour à l’occasion de cette nouvelle rentrée scolaire, a précisé le ministère dans un communiqué, ajoutant que 227.905 élèves (dont 116.392 filles) bénéficient des services d’internats pour poursuivre leurs études. Cette année sera marquée par le lancement d’une étape expérimentale du système de cantines dans toutes les Académies régionales ainsi que par l’augmentation du nombre de bénéficiaires du transport scolaire dont tireront profit 386.478 élèves (196.394 filles). Le chantier de développement et de généralisation de l’enseignement préscolaire prévoit d’atteindre 75.000 nouveaux enfants inscrits dans ce cycle. Pour y parvenir, 3.554 classes supplémentaires ont été mises en place, en coopération avec les différents partenaires du ministère, dont l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Concernant l’éducation inclusive des enfants en situation de handicap, 560 établissements scolaires se sont spécialisés dans ce mode d’enseignement, portant leur nombre total à 2.920 structures au niveau national. Il a été procédé à ce titre à l’équipement de 810 salles pour la rééducation, le suivi et l’accompagnement des élèves en situation de handicap. 140 «écoles de la deuxième chance» ont été aménagées pour contribuer à la lutte contre le décrochage scolaire et permettre aux enfants déscolarisés de reprendre le chemin de l’école. La généralisation du programme «Sport-Etudes» au niveau de cinq AREF supplémentaires, à savoir les régions de Dakhla-Oued Eddahab, Laâyoune-Sakia El Hamra, Guelmim-Oued Noun, Souss-Massa et Draa-Tafilalet. Près de 4.701.432 élèves bénéficieront de l’Initiative Royale «Un million de cartables» au titre de l’année scolaire 2021-2022, dont 233.650 filles. 2,611 millions d’élèves dont plus de 1,2 million de filles devront profiter du programme «Tayssir» des transferts monétaires conditionnels, qui fournit un appui financier aux familles pauvres, en vue de limiter la déperdition scolaire.
 Source : Ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique


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