Au congrès de Bouznika : Qui aura le courage politique d’activer la réforme sanitaire ?


Mohamed Assouali
Jeudi 17 Avril 2025

Au congrès de Bouznika : Qui aura le courage politique d’activer la réforme sanitaire ?
Du 18 au 20 avril 2025, Bouznika accueillera le 47e Congrès du Syndicat national de la santé publique dans un climat tendu, où les attentes sociales croisent l'essoufflement institutionnel. Trois ans après l’adoption de la loi-cadre 06.22, les promesses de réforme peinent à prendre forme. Derrière les discours officiels, c’est l’inertie qui domine. Ce congrès devient alors bien plus qu’un événement syndical : un carrefour stratégique pour poser la question qui fâche — qui osera réellement enclencher la réforme ?
 
Une réforme sans pilote : quand l’Etat ajourne ses propres promesses
 
La Haute Autorité de Santé, censée piloter la transformation du système, demeure à l’état de projet. Son absence signifie une chose : aucun mécanisme indépendant d’évaluation n’a été mis en place. Comment prétendre à une gouvernance efficace sans instance d’audit ni indicateurs de suivi ? L’absence de cette institution clé traduit une fuite en avant politique, où les effets d’annonce remplacent l’action concrète.
 
Professionnels de santé : entre précarité structurelle et désenchantement
 
La réforme de la fonction publique sanitaire devait unifier les statuts et améliorer l’attractivité du secteur. Au lieu de cela, les disparités salariales persistent, les contrats précaires se multiplient, et les perspectives d’évolution restent floues. Les annonces de rémunération à la performance, sans grille équitable ni transparence, alimentent la méfiance. Cette situation fragilise la motivation, accentue la fuite des compétences et affaiblit le service public.
 
Décentralisation en panne : l’illusion des groupements territoriaux de santé
 
Le projet phare des unités territoriales de santé, qui devait incarner la régionalisation avancée, stagne. Faute de cadre juridique et de répartition claire des compétences entre l’Etat central et les régions, ce chantier reste bloqué. L’absence d’autonomie budgétaire, de gouvernance locale et de planification territoriale rend impossible toute égalité dans l’accès aux soins.
 
Une offre de soins déséquilibrée : deux vitesses, une injustice
 
Les inégalités d’accès sont flagrantes. D’un côté, les grandes villes concentrent les équipements et les spécialistes. De l’autre, les zones rurales manquent de tout: personnel, structures, services d’urgence. Le droit à la santé, garanti par l’article 31 de la Constitution, est vidé de son sens. Cette fracture territoriale alimente la défiance envers les pouvoirs publics.
 
Une numérisation de façade : slogans sans infrastructure
 
Si la digitalisation est omniprésente dans les discours, elle reste invisible dans les faits. Manque de matériel, absence de formation, et incompatibilité des systèmes entravent l’interopérabilité. Pendant ce temps, des pays africains comme le Rwanda affichent des succès notables dans la gestion numérique des dossiers médicaux. Le Maroc, lui, s’enlise dans un simulacre de modernisation.
 
Un financement insuffisant : quand l’austérité hypothèque le droit à la santé
 
Avec à peine 7% du PIB affecté à la santé et un budget moyen de 1.000 dirhams par habitant, le Maroc reste loin des standards de l’OMS. Mieux encore, les ménages financent près de la moitié des soins de leur poche. Ce désengagement de l’Etat renforce la marchandisation de la santé et transforme un droit fondamental en produit de luxe réservé aux plus fortunés.
 
L’Etat social dans les mots, le marché dans les actes
 
Le discours officiel continue de vanter l’Etat social. Mais sur le terrain, les dynamiques sont purement libérales. L’intégration des ex-bénéficiaires du RAMED dans l’AMO se heurte à l’insuffisance des prestations. Les allocations familiales et les retraites promises aux plus vulnérables se font attendre. Les politiques sociales s’apparentent à des opérations de communication plus qu’à des transformations structurelles.
 
Gouvernance fragmentée, institutions sans moyens
 
Sur les cinq grandes structures prévues par la loi 06.22 — Conseil scientifique, agences du médicament, du sang, etc. — aucune n’est pleinement opérationnelle. L’absence de décrets, de personnel qualifié, de transfert d’actifs et de coordination entre acteurs empêche toute avancée concrète. La gouvernance sanitaire reste verticale, technocratique et imperméable aux professionnels de terrain.
 
Formation et spécialisation : les angles morts de la réforme
 
Le manque de formation initiale de qualité, l'absence d’un système de formation continue rigoureux, et la faiblesse des politiques d’incitation accentuent la crise. Les spécialités les plus critiques — anesthésie, réanimation, psychiatrie — sont en pénurie. Et face à l’exode des médecins, aucune stratégie crédible n’est déployée.
 
Des décrets toujours absents : une réforme amputée
 
La non-publication des décrets d’application compromet l’opérationnalisation de toute la réforme. Aucun texte ne définit encore les types d’établissements publics de santé, les conditions d’emploi dans le cadre du partenariat public-privé, ni les modalités du nouveau régime contractuel. Cette opacité légale nourrit le flou, la défiance, et l’immobilisme.
 
Groupements sanitaires territoriaux : de la théorie à l’impasse
 
Même là où la loi est votée, rien ne se passe. Les groupements territoriaux n’ont ni locaux, ni statuts, ni personnels. Le transfert du foncier public n’a pas été fait, les conseils de gouvernance ne sont pas nommés, et les budgets ne sont pas définis. L’ambition d’un pilotage territorial reste donc théorique.
 
Institutions fantômes : quand l’Etat légifère sans exécuter
 
La Haute Autorité de Santé, l’Agence du Médicament, l’Agence du Sang… Toutes restent sans effets, faute de textes organiques et de décisions exécutives. Ce paradoxe entre volonté législative et passivité administrative mine la crédibilité de l’Etat.
 
Conclusion : un tournant syndical face à l’impasse politique
 
Ce 47e Congrès n’est pas qu’une instance de débat et de défense des droits syndicaux. Il est un cri d’alerte. L’heure n’est plus aux constats, mais à la confrontation politique des responsabilités.

Trois questions clés s’imposent :

•     Le Maroc a-t-il réellement la volonté de transformer son système de santé ? et comment ? et dans quel délai ?
•     Les citoyens seront-ils toujours réduits à des statistiques dans des rapports institutionnels ?
•     Jusqu’à quand le droit à la santé restera-t-il une promesse creuse pour les plus vulnérables ?
La réforme n’aura de sens que si elle change la vie des gens. Elle doit redonner confiance, créer de l’équité, reconnaître la valeur des soignants, et bâtir un système pour tous.
La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Mais le syndicat, lui, doit prendre le flambeau, hausser le ton, défendre les acquis, exiger le respect des engagements et rappeler que la dignité des professionnels de santé n’est pas négociable.

Par Mohamed Assouali
Membre du secrétariat national du secteur santé – USFP


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