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Leur enseignante a fui au printemps sans jamais revenir. Depuis, c'est Bushra qui, du haut de ses dix ans, s'improvise maîtresse de classe dans ce village où les fillettes sont déjà condamnées à abandonner leur rêve comme les élèves des milliers d'autres "écoles fantômes" du Pakistan.
A l'entrée de Chancher Redhar, bourgade du sud perdue à deux heures de route de la métropole Karachi, aucun taliban, aucune menace, que des champs de blé, des arbres aux bras tendus vers le ciel, le tronc prisonnier de la terre salée, des hommes qui refont le pisé de masures et des femmes qui lavent le linge.
Dans la minuscule salle de classe aux murs blancs décatis, une dizaine de gamines s'amusent, courent et crient dans un joyeux tintamarre. Bushra se lève et lance le +bismillah+, formule répétée au début de chaque sourate du Coran: "Au nom de Dieu, le clément et miséricordieux".
En ce matin d'automne, ses élèves, assises sur leurs bancs en bois, répètent devant l'ardoise sur laquelle la maîtresse - la vraie - a laissé ses derniers mots et une date: avril.
"Nous voulons un professeur, mais pas comme la dernière, Mme Farida", lance en sindhi, langue locale, Bushra, tête enserrée par un foulard léopard, piercing traditionnel au nez, yeux étincelants, qui rêve de devenir "docteur" et d'apprendre l'informatique.
"La dernière enseignante nous avait dit qu'elle cesserait de venir si nous ne payions pas pour son transport jusqu'au village", relate le vieux Salim Samoon, barbe blanche, dont sept de ses petites-filles fréquentent l'école de ce hameau de 600 âmes. "Mais nous n'avons pas d'argent et les autorités n'ont pas mandaté de nouvelle institutrice", se plaint-il.
Au Pakistan, les attaques contre les écoles publiques sont monnaie courante dans certaines zones conservatrices du nord-ouest, près de la frontière afghane, une situation dénoncée par la jeune Malala Yousafzaï, devenue un symbole international du droit à l'éducation après avoir survécu par miracle à une attaque des talibans.
A Chancher Redhar, point de rebelles islamistes mais une autre plaie pour l'éducation au Pakistan: les "écoles fantômes" ces établissements où aucun cours n'est dispensé, soit parce que les lieux ont été abandonnés, détruits, soit parce que les enseignants en sont absents.
"Les médias parlent beaucoup des attaques (des talibans) contre les écoles car cela est visible, mais le problème des +écoles fantômes+ est encore plus criant", déplore Rahmatullah Balal de l'ONG Alif Ailaan, qui vient de publier un palmarès sur l'état de l'éducation dans 144 districts du pays.
Le district méridional et paisible de Thatta, où vivent Bushra et ses camarades, y figure en 140e position, loin derrière les repaires talibans du nord-ouest.
Alertée l'an dernier sur les "écoles fantômes", la Cour suprême du Pakistan a demandé aux provinces un rapport détaillé sur ces établissements, où les élèves sont officiellement comptés comme scolarisés. Les résultats, rendus publics fin novembre dans l'indifférence générale, laissent pantois.
Enseignants qui touchent leur salaire en restant tranquilles chez eux, écoles où aucun instituteur n'a été nommé, établissements annexés par de riches propriétaires terriens, budgets approuvés pour des ordinateurs jamais arrivés... les exemples fourmillent à travers le pays de ces quelque 7.000 écoles qui ne remplissent pas du tout leur rôle, selon les données mêmes des autorités.
Dans un district du nord-ouest, "la majorité des écoles n'en ont que le nom: il n'y a aucun étudiant et les enseignants touchent leur salaire en restant à la maison", souligne le rapport. Dans un autre, "plus de 50% des écoles primaires sont des écoles fantômes".