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Au Gabon, le “foot est mort”


Jeudi 21 Juin 2018

Sur le terrain d'entraînement du Football Canon 105, club mythique de Libreville, Koumba Leylo fait la moue: comme une très large majorité des joueurs professionnels de foot, il n'a plus touché de salaire depuis plusieurs mois.
Loin des centaines de milliers d'euros mensuels qui irriguent certaines stars qui seront présentes au Mondial, au Gabon, petit pays d'Afrique centrale, ballon rond ne rime plus avec rémunération.
"C'est dur, on ne supporte plus", explique Koumba, qui est aussi capitaine du club. "On est sans maillot, il n'y a pas d'argent depuis qu'on a commencé le championnat. Ça fait cinq mois que je n'ai pas été payé. On subit..."
Selon une étude en 2016 de la Fifpro, syndicat mondial des joueurs professionnels, 96% des joueurs professionnels gabonais ne reçoivent pas leur salaire.
"Rien n'a changé depuis, c'est le même problème", explique Rémy Ebanega, président du syndicat des joueurs gabonais et ancien défenseur des "Panthères", la sélection nationale.
Alors, Koumba et ses congénères se "débrouillent": "Moi, j'ai la chance d'être Gabonais, j'ai mes parents ici. Je suis (revenu habiter) dans la famille, on ne peut pas louer (un logement) sinon le bailleur va nous chasser. Mais pour les étrangers, c'est encore plus dur, ils n'ont pas la famille ici pour les aider".
Pas d'argent pour payer le transport pour venir à l'entraînement, pour acheter la bouteille d'eau, de nouvelles chaussures... Les griefs que soulèvent les joueurs sont nombreux.
Au FC 105, qui a gagné par le passé une dizaine de fois le championnat gabonais et participé à plusieurs reprises à la ligue africaine des champions, il n'y a plus d'eau courante.
"Comment les joueurs peuvent faire à la fin de l'entraînement sous 40 degrés? Ils ont besoin de prendre une douche!", peste anonymement un des employés du club.
Ce club a pourtant été la fierté de Libreville. "Même le chanteur congolais Franco a fait une chanson sur nous", sourit-il, ajoutant, amer: "Ah, ça a changé!".
"Aujourd'hui, on ne peut même plus parler de maladie, le football gabonais est mort, et il faut carrément changer de système", affirme Rémy Ebanega.
En 2012, un processus de professionnalisation a bien été lancé, par lequel deux ligues (D1 et D2) ont été créées et un salaire minimum de 400.000 francs CFA (609 euros) introduit, alors que la plupart des Gabonais vivent avec quelques dizaines de milliers de francs CFA chaque mois.
Mais "les présidents de club ont décidé d'attendre l'argent de l'Etat pour payer leurs joueurs, tous les clubs paient en fonction de ce que l'Etat donne, alors chaque année, le salaire baisse", indique le président du syndicat des joueurs.
Aujourd'hui, le salaire moyen d'un joueur de D1 est de 250.000 francs CFA (380 euros), et de 150.000 (228 euros) pour un joueur de D2, selon lui.
"Et quand l'Etat ne paie pas ses subventions, le championnat (qui a débuté en janvier) est arrêté", se désole-t-il. Entre février et mai, les D1 et D2 ont ainsi été suspendues pour "manques de moyens".
"Le vrai sujet, c'est de se dire que l'Etat met de l'argent dans le sport, mais pas forcément au bon endroit, et l'argent ne va pas forcément aux bonnes personnes", reconnaît le ministre des Sports Alain-Claude Bilie-By-Nze.
"Il n'est pas dans la vocation de l'Etat de payer les joueurs de football", tranche-t-il, en affirmant que le Trésor avait décaissé une enveloppe de 500 millions de francs CFA (762.000 euros) pour le secteur du foot.
Début mai, la Confédération africaine de football (CAF) avait sommé la fédération "de trouver une issue à ce problème le plus rapidement possible", faute de quoi la participation des clubs gabonais aux compétitions africaines pourrait être "affectée".
Sur la pelouse du FC 105, les joueurs se moquent de savoir à qui incombe la responsabilité de les payer. "Les dirigeants de clubs sont des politiciens ou des proches du président (Ali Bongo Ondimba), qu'ils nous paient eux ou que l'Etat donne l'argent, nous on veut juste être payés", dit l'un d'eux.
Aucun des joueurs rencontrés n'avait touché son salaire depuis le début du championnat en janvier. Alors, certains demandent le "coca" ou "un petit quelque chose" à qui passe les voir à l'entrainement.
"Ces joueurs se battent. Parfois ils viennent à l'entraînement et n'ont pas mangé. Alors on essaie de baisser la charge de travail pour les uns, avec ceux qui sont bien, on se dit +ok on va pousser avec ceux-là+", explique au bord du terrain Fabrice Minko, entraîneur-adjoint du club depuis cinq ans.
Avant de repartir s'entraîner pour le match du lendemain à Port-Gentil, capitale économique du Gabon, le capitaine Koumba conclut: "Si on est payé, le seul moyen, c'est d'économiser et sortir du pays. Ici, il n'y a plus rien".


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