Aller à l’école à l’âge de 2 ans : mode ou nécessité ?


Gervais Nitcheu (MFI)
Mercredi 25 Février 2009

Aller à l’école à l’âge de 2 ans : mode ou nécessité ?
Les enfants vont de plus en plus tôt à l’école. Dès l’âge de 2 ans, ils sont inscrits à la « petite section des petits » de l’école maternelle. Le phénomène, connu sous le terme « d’éducabilité précoce » est observé, depuis quelques années, dans plusieurs pays d’Afrique au sud du Sahara. Son développement, encouragé par les autorités, est décrié par certains professionnels de l’encadrement de la petite enfance.
C’était impensable, voire inimaginable il y a moins de deux décennies. Depuis quelques années, le phénomène est devenu courant : l’inscription d’un enfant de 2 ans à l’école est rentrée dans les habitudes un peu partout en Afrique au sud du Sahara. Au Cameroun, rien que dans le Wouri, le département dont Douala est le chef-lieu, les enfants de cette tranche d’âge accueillis dans les 1 200 écoles maternelles ou centres d’éducation pré-scolaire se comptent par centaines. Ils sont plusieurs dizaines de milliers inscrits régulièrement dans les 10 000 structures de cette nature ouvertes sur toute l’étendue du territoire national. Le niveau d’éducation auquel ces enfants de 2 ans appartiennent a été baptisé la « petite section des petits ». Avec cette nouvelle donne, à l’école maternelle, le nombre de sections passe désormais de trois (petite, moyenne et grande) à quatre.
En la matière, le Cameroun n’est pas une exception sur le continent. Loin s’en faut. Au Congo-Brazzaville comme au Sénégal, l’éducabilité précoce des enfants est aussi une réalité. Dans ces deux pays, les parents sont de plus en plus nombreux à inscrire très tôt leurs enfants à l’école. « Au niveau des chefs-lieux de districts notamment, la demande est très forte », constate Rosalie Kama, la ministre congolaise de l’Education. Même constat au Sénégal, où le président de la République Abdoulaye Wade a instauré, en 2004, les cases des tout-petits.
Comme les femmes doivent participer aux charges du ménage…
A la fois école maternelle, centre de santé et de distribution gratuite de repas, la structure créée à l’initiative du chef de l’Etat sénégalais va au-delà de la demande formulée par les parents. « Aujourd’hui, nous accueillons et encadrons, dans nos 223 cases réparties sur le territoire national, près de 9 000 enfants dont l’âge varie entre 0 et 6 ans », souligne Awa Lo Gueye, une proche collaboratrice du directeur général de l’Agence nationale de la case des tout-petits. A l’origine, l’âge des enfants devait se situer entre 2 et 6 ans.
Les causes de l’éducabilité précoce des enfants en Afrique sont nombreuses. Le phénomène est d’abord lié à la nécessité pour les femmes de participer aux charges du ménage, d’une part, et à leur volonté de protéger leurs enfants, d’autre part. « Pour pouvoir apporter leur contribution aux charges de la famille, elles doivent travailler et gagner de l’argent ; autrement dit, plus question pour elles de rester cloîtrées pendant plusieurs années à la maison pour élever les enfants », explique Kala-Lobé Kutta, la fondatrice de l’école maternelle “Les enfants de Maman Nono” à Douala au Cameroun. Et d’ajouter : « Mais ce n’est pas parce qu’elles cherchent de l’argent que ces femmes sont prêtes à accepter de compromettre l’avenir de leurs enfants, en les laissant entre les mains de nounous inexpérimentées et sans formation ; elles sont convaincues que l’école maternelle reste le meilleur endroit, en dehors de la famille, où les enfants peuvent bénéficier d’un encadrement sûr et adéquat, car c’est une institution qui emploie, en général, un personnel bien formé et compétent. »
L’émergence d’un nouveau type d’Africains
L’éducabilité précoce des enfants est également due aux mutations intervenues dans les cellules familiales en Afrique. De plus en plus jeunes, les grands-parents n’ont plus le temps de rester à la maison, pour s’occuper de leurs petits-enfants, comme cela se faisait dans les sociétés ancestrales. « Devenus grands-pères ou grand-mères à 45 ou 50 ans, ils sont encore actifs et préfèrent se livrer à des activités lucratives et génératrices de revenus plutôt que de passer des journées à transmettre des valeurs traditionnelles aux enfants de leurs enfants », explique un sociologue gabonais.
Même s’il est établi qu’aujourd’hui, sur le continent, l’éducabilité précoce s’impose comme une réelle nécessité, il n’en demeure pas moins que le phénomène reste controversé. De plus en plus de professionnels de l’encadrement de la petite enfance y voient un danger. « C’est dangereux d’inscrire un enfant de 2 ans à l’école, car, biologiquement et morphologiquement, cet enfant ne peut pas supporter le rythme de vie suivi à l’école », affirme Kala-Lobé Kutta. Et d’expliquer : « A 2 ans, l’enfant est toujours à la recherche de l’équilibre. »
De nombreux politiques africains, en revanche, considèrent la scolarisation précoce comme une chance pour les enfants. La chance d’acquérir très tôt les connaissances pour s’insérer efficacement dans la société. « Dans une perspective de développement, le programme de la Case des tout-petits contribue à l’émergence d’un nouveau type d’hommes et de femmes mieux préparés à faire face aux exigences du IIIè millénaire et d’un environnement communautaire apte à défendre et à appliquer les droits de l’enfant », martèle sans cesse le président Abdoulaye Wade. Deux points de vue sur l’éducabilité précoce des enfants difficilement conciliables. Preuve que le phénomène est un véritable casse-tête.


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