Afghanistan, pays d'une voiture


AFP
Mercredi 24 Juillet 2013

Afghanistan, pays d'une voiture
"La Toyota Corolla existait déjà en Afghanistan avant d'être produite au Japon". Mohammad, un trentenaire employé par une société étrangère, résume d'un trait d'esprit ce qui s'impose à l'oeil averti dès la première minute à Kaboul: un peuple, une voiture.
Elle peut être noire, bleue, verte, jaune, rose, nacrée, teintée... Ses phares ronds, carrés ou courbes, ses lignes plus ou moins modernes. Dans un pays où les bonnes routes sont rares, la capitale afghane offre un catalogue unique de ces berlines plus rares en Europe mais qui font ici le bonheur de nombre d'Afghans, sauf les plus riches qui leur préfèrent de rutilants 4X4.
Mais pourquoi un tel "corollisme", dans un pays qui ne produit aucune voiture ?
"Beaucoup de gens en achètent car elles sont robustes, moins chères et qu'on trouve des pièces de rechange partout", explique Mirwais Nabizada, 38 ans et vendeur de voitures d'occasion depuis 21 ans. Ce jour là, dans le hangar de sa concession du quartier de Qasaba sont garées 70 voitures, dont... 64 Corollas.
Les acheteurs la préfèrent souvent en blanc, "car cela montre moins la poussière, qui est partout ici", explique-t-il. Et les talibans ne sont pas les derniers, qui s'en servent régulièrement en guise de voitures piégées. Dans ce pays englué depuis plus de dix ans par une guerre sans fin entre les forces occidentales et gouvernementales et les rebelles, la Corolla est aussi la voiture préférée des kamikazes.
Corolla par ci, donc, et Corolla partout par là. Lors d'un récent court trajet de 10 minutes entre le centre-ville et le quartier des ambassades à Kaboul, l'AFP a compté 194 Corollas pour 89 autres véhicules, bus, camions et voitures de police inclus.
Les propriétaires adorent leur Corolla, la chérissent. Lui déclarent leur amour par autocollants interposés sur leur pare-brise arrière. Les "Beautiful Corolla" ne se comptent plus. Les "Super Japan saloon" ("Super berline du Japon") non plus. Plus rarement, des "Corolla I love you" surgissent au détour d'une rue.
Nombre de chauffeurs de taxi roulent en Corolla peinte en jaune et blanc. Les compagnies privées, à l'appel d'un client novice s'interrogeant sur le véhicule venant le chercher, ne s'embarrassent même plus à mentionner son nom. Ce sera une "2002 grise" ou une "2007 marron", répond leur standard.
Un chauffeur à peine expert sait reconnaître la provenance du véhicule - Amérique du Nord ou Europe - à la taille de ses pare-chocs et à l'emplacement de la plaque minéralogique à l'arrière. Au volant à droite, des voitures également présentes en nombre, on reconnaît une provenance généralement du Japon et d'Australie.
Selon le général Asadullah Khan, chef de la police routière de Kaboul, environ 80% des 700.000 véhicules parcourant les rues congestionnées de la capitale -- 500 à 600 véhicules neuf ou d'occasion sont immatriculés chaque jour, selon lui -- sont des Corollas. "C'est la voiture du peuple. Et elle ne consomme pas beaucoup", souligne-t-il.
Son succès est tel que des marques de moto s'en sont emparé. Le deux-roues "Corola", avec un "l" seulement, fait concurrence au "Landcruiser", en un seul mot, en hommage au légendaire 4x4 Land-Cruiser, utilisé lui par les riches Afghans et, dans sa version blindée, par les ambassades et l'Otan.
Les berlines japonaises se monnayent pourtant au prix fort: de 3.500 dollars (2.700 euros) pour une épave rouge ayant dû réaliser vingt fois le tour de l'Afghanistan à 26.000 (20.000 euros) pour une Corolla blanche d'un an à faible kilométrage, la faute à de lourdes taxes de douane.
La marche triomphale des Corollas aurait commencé à la chute des talibans, chassés du pouvoir fin 2001 par les troupes internationales, raconte Mirwais Nabizada, sans pouvoir expliquer totalement l'ampleur du phénomène.
Les ventes se sont toutefois essoufflées ces dernières années, nombre d'Afghans hésitant à investir dans leur pays où l'on craint un nouvel embrasement général après le retrait des troupes de l'Otan prévu à la fin 2014.
Aujourd'hui, Mirwais ne vend plus qu'une seule Corolla par jour, contre 5 ou 10 par le passé.
Les heureux propriétaires, eux chouchoutent tous leur Corolla. En Afghanistan, laver sa voiture s'apparente à un passe-temps national. "Dans l'Islam, la propreté est une valeur importante", analyse Shaker Bakhter, l'un des rares concessionnaires de Kaboul, dont le garage a vendu "au moins 10.000 Corollas" au prix fort (26.000 dollars l'unité, avec peu d'options) depuis qu'il y travaille.
Pourquoi les Afghans paient-ils autant pour leur voiture? Shaker répond simplement. "Vous étrangers dépensez votre argent en allant danser ou jouer au bowling. Nous, nous investissons dans ce qui est utile."


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